Destruction systémique de l’environnement : dites-le avec des fleurs

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màj en mars 2024

Sous couvert d'œuvres parfumées et délicates, l’artiste plasticien Antonin Detemple explore le rapport de la société occidentale à la nature, et dénonce les mécanismes de transformation du vivant en marchandise. 

Quelle est la différence entre un étal de fleurs et un rayon de bouteilles en plastique ? Pour Antonin Detemple, il y en a peu : si les pétales ont tendance à attendrir les cœurs, beaucoup d’entre eux ne sont, à notre époque, plus qu’une marchandise comme une autre. C’est en tout cas la conclusion que l’artiste a tirée le jour où il a réalisé, le nez collé à la vitre d’un train Paris-Strasbourg, que les kilomètres de champs verdoyants qu’il traversait n'hébergeaient pas la moindre fleur sauvage. 

Que s’est-il passé, pour que nous ayons plus de chances de voir ces plantes colorer nos villes que nos campagnes ? En cherchant la réponse à cette question, l’artiste plasticien a appris que les fleurs vendues dans les grandes enseignes poussent majoritairement dans des pays étrangers tropicaux, dans des conditions de monocultures intensives proches de celles pratiquées dans ces champs de Champagne-Ardenne qui avaient inspiré sa réflexion. Délocalisation, exploitation, standardisation : tel est le credo de cette industrie au parfum envoûtant, à l’image de la logique capitaliste qui régit encore la majorité de nos modes de production.

Des bouquets mondialisés

Plus que par la formidable capacité des humains à transformer le vivant en marchandise, la fascination d’Antonin Detemple est surtout captée par le contraste entre la symbolique dont les occidentaux chargent les fleurs et la manière dont elles sont produites. « Nous les utilisons pour les offrir dans des cadres très liés à l’affect : depuis des temps très anciens, les fleurs symbolisent les liens que nous entretenons les uns avec les autres, remarque l’artiste. Il y a quelque chose de très sensible dans l’expression de la proximité, qui dénote radicalement avec le fait qu’elles soient rationalisées et délocalisées »

Bouquet mondialisé issu de l’installation Anémochorie 1 exposé au Confort Mental en 2021 © Antonin Detemple – Photo Lucas Charrier

C’est bien cette dissonance que l’artiste met en lumière dans Anémochorie Volet 1, l’une de ses installations qui explorent le rapport de la société occidentale à la nature. Conçue avec la commissaire Fiona Vilmer, l’installation met en scène 16 bouquets de fleurs reconstituant des tableaux de nature morte peints par des artistes issus de puissances coloniales entre 1490, date de la réalisation du premier tableau de fleurs coupées par Hans Memling, et le milieu du 20ème siècle correspondant au début du processus de décolonisation. Chacun de ces bouquets est constitué de vraies fleurs que l’artiste a identifiées avec l’expertise de deux fleuristes. À l’exception de quelques espèces demeurées introuvables ou qui étaient le produit de l’imagination du peintre et qu’Antonin Detemple a remplacé par de délicates boules de verre soufflé, la composition florale est reproduite à l’identique. 

Ou du moins, à quelques détails près : s’il est probable que les fleurs peintes avaient été fraîchement cueillies à proximité de la maison des artistes, les reconstitutions végétales de Detemple sont pour leur part issues du marché de Rungis, à l’image de la majorité des tiges vendues en France. Chaque jour, cette immense plateforme internationale de produits frais réceptionne des dizaines de milliers de fleurs en provenance de pays lointains comme le Kenya, la Colombie ou l’Ethiopie avant de les expédier vers tous les fleuristes de l’hexagone, dont 85 % des ventes sont issues de l’importation. Résultat : la version 2.0 des bouquets est mondialisée, et leurs fleurs n’ont plus grand chose à voir avec celles du tableau. « Quelque part, j’ai retracé une espèce d’histoire du capitalisme pour comprendre comment nous en sommes venus à cette pensée d’exploitation du vivant pour la transformer en marchandise », partage l’artiste. 

Photo d’un outil de mesure de fleurs issue d’une plantation horticole colombienne. Anémochorie édition, 2021 © Antonin Detemple – Photo Lucas Charrier

La nature millimétrée 

À côté de ces statues organiques trône discrètement une planchette de bois aux rayures multicolores parsemée de trous de différentes tailles. Issu d’une plantation horticole colombienne, cet outil mesure la dimension des fleurs pour s’assurer qu’elles correspondent bien à la taille standard acceptable pour être commercialisées. « Avant que les fleurs ne soient passées sur cette planche, pour moi elles sont encore de l’ordre du vivant : elles sont mélangées, de toutes tailles et formes, détaille Antonin Detemple. Puis elles sont catégorisées, et selon le lot qui leur correspond, on leur attribue un prix et elles entrent dans un schéma capitaliste »

Cette dénaturalisation de la fleur passe aussi par l’effacement de ses origines et de son contexte de production. C’est en tout cas l’idée derrière les quatre flacons de parfum présents dans l’installation et qui, tous, retranscrivent l’odeur de la rose Red Naomi, la variété la plus commune en termes d’esthétique et d’odeur. Elle est donc produite un peu partout dans le monde, et en humant chaque liquide, on remarque que son parfum diffère d’un flacon à l’autre. Une manière pour l’artiste de rappeler qu’une fleur ne peut jamais être dissociée de son territoire, de l’eau et de l’ensoleillement qu’elle reçoit… ni des produits chimiques qui ont accompagné sa croissance. En France, une rose commercialisée dans une grande enseigne florale contiendrait entre 3 et 25 substances chimiques, dont certaines sont interdites en France. 

Un sujet dramatique selon le plasticien, mais qu’il est difficile de rendre visible tant les végétaux produits à grands coups de glyphosate et de nicotinoïdes parviennent flamboyants dans nos étals. C’est à ce versant-là de l’impact du capitalisme sur le vivant que s'attaque l’artiste avec son nouveau projet Mon Amour, où il détourne des images issues des sites web de grands producteurs industriels d’agrochimie en versant du glyphosate dessus. En observant l’encre s’altérer jusqu’à flouter tout à fait les visuels, il est plus compliqué de croire aux messages de promotion où ils se positionnent comme les sauveteurs du vivant. « Voici pourquoi nous sommes optimistes à propos du futur », « Laisser notre planète mieux que nous ne l’avons trouvée »... Chaque tableau est titré à partir de phrases trouvées sur les sites où les images ont été recueillies. 

Tirage issu du projet Mon Amour (travail en cours) © Antonin Detemple

« Assurer qu’on est là pour un monde meilleur tout en vendant des produits qui tuent le vivant, c’est à la base de la mécanique qui est en train de détruire la biodiversité », s’indigne Antonin Detemple. Un appel assumé à prendre conscience des grandes thématiques de notre époque, poussé par une volonté d’impact fort sur son public. « J’aimerais que le monde de l’art se saisisse plus des thématiques environnementales qui sont des éléments charnières comme jamais dans l’histoire de l’humanité. Beaucoup d’artistes ne s’y autorisent pas parce que ces sujets sont complexes et qu’ils requièrent une réflexion profonde, mais on n’a pas toujours besoin d’être très frontal pour parler de ces sujets-là ». Quand il s’agit de voir les consciences éclore, tous les bouquets sont permis. 

Photo à la Une : Bouquets issu de l’installation Anémochorie 1 exposé au Confort Mental en 2021 © Antonin Detemple

Mathilde Simon
Mathilde est journaliste spécialisée sur les problématiques environnementales, les sujets artistiques et l'impact du numérique sur la société, le tout sous un angle résolument optimiste.
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