« Mtoulou fait son safari musical », présenté à Avignon OFF 2023, est un conte traditionnel comorien, revisité par le multi-instrumentiste Ahamada Smis, où la musique change les cœurs et peut-être même … le cours des océans.
Près des remparts de la Cité des Papes, dans le théâtre de l’Archipel à la programmation éclectique - du one-man show du journaliste explorateur Antoine de Maximy, à une pièce déjantée d’une troupe internationale sur l’Écosse, en passant par de grands auteurs revisités comme Beckett et des classiques tels Lysistrata - s'est glissée une épopée qui a emporté Carbo sur les rives de l’enfance et du voyage. Mtoulou raconte en 45 minutes l’histoire d'un « guerrier pacifique » combattant l’injustice avec sa musique. Sacré défi !
Un conte des Comores revisité dans une sobriété poétique
Depuis les années 90, son auteur et interprète, Ahamada Smis, explore une musique éclectique depuis ses terres de Marseille. Entre slam, jazz et racines comoriennes, il a créé des albums et spectacles pour les petits, « Les Chants de la mer » en 2012, « Kipépéo » en 2017, mais aussi pour les plus grands comme son dernier album « Air », sorti en 2021, ou « Sabena » performance présentée au MUCEM l’année dernière, sur le massacre de Majunga à Madagascar. À Avignon, Ahamada reprend avec « Mtoulou » l’ADN qui lie toutes ses créations : son âme de poète.
Sur scène, on retrouve un festival OFF pur jus dans toute sa simplicité. Quelques objets bien choisis de bric et de broc nous emportent dans un autre monde. Un miroir, la marionnette d’une chauve-souris accrochée au plafond, des bouts de scotchs dorés au sol pour mimer le sable et le mouvement des vagues, deux musiciens, une modeste toile où sont projetées des images, et cela suffit.
Inconnu en Europe, sur certaines îles des Comores Mtoulou est pourtant une figure aussi légendaire que populaire, peuplant les fêtes et animant les récits. Ce guerrier a le malheur d’être né sur la cinquième île de l’archipel (composée de Grande Comore, Anjouan, Mohéli et Mayotte) : Mdjumbi, disparue dans les abysses de l’océan indien près de Madagascar. Ahamada Smis s’est inspiré de cette mythologie pour la transformer en un conte musical. Sous sa plume, le jeune garçon part en quête d’un mystérieux trésor qui pourrait faire ressurgir son île perdue et ramener paix et harmonie dans la région. Mais comment faire lorsque l’on est un guerrier pacifiste ?
Musique et animaux à rescousse d’un monde en péril
Mtoulou a bien des atouts. Pour chevaucher les mers, il trouve l’aide de Déma la chauve-souris et de son fidèle destrier, le gombessa, un poisson aussi gros qu’un homme - si vous le croisez dans l’océan indien, ne soyez pas effrayé·e par son apparence de bête préhistorique, il est inoffensif. Mtoulou peut aussi compter sur le pouvoir de ceux qu’il appelle « le cœur d’ange », le public, avec lequel Ahamada interagit tout au long de la pièce en l’invitant à chanter. Et l’âge n’y fait rien, tout le monde participe ! Le dispositif vidéo aussi beau que malin, créé par Christophe Mentz et l’illustrateur Mothi Limbu, partage les refrains des chants et les dessins des monstres rencontrés par le héros. Certains sont terrifiants comme ce sultan tyrannique qui promet à ses sujets de leur donner sa place s’ils survivent à une nuit dans un bassin d’eau gelé.
L’arme fatale de Mtoulou pour les défier ? Ses instruments de musique. Et Carbo ne vous « divulgâche » rien, ici, le son des cordes et percussions triomphe bien vite sur le cœur des ennemis … et sur les nôtres. Ahamada Smis en maître conteur pédagogue prend soin de présenter aux spectateur·ices son mélodieux orchestre avec son complice, le guitariste Christophe Isselée. Où l’on apprend à reconnaître les sonorités du oud, du dzendzé, du gaboussi, du kayambe, et où l’on découvre que certains sont faits à partir d’anciens instruments recyclés. Mtoulou serait-il un guerrier à la fois « pacifique » et écolo ?!
Sans en avoir l’air, cette odyssée fantastique raconte la disparition d’un monde et la quête du retour à la nature originelle. Une façon subtile de parler aux enfants d’écologie sans l’aborder de front. Les plus grands y liront également une fable faisant écho à la montée des eaux qui menace la région des Comores, en première ligne. Quant à la forme, elle n’est pas sans rappeler Kirikou et la sorcière de Michel Ocelot, et l’on se dit d'ailleurs que cette histoire ferait un magnifique film d’animation. Pour l’instant, un livre album et quelques dates de tournées sont dans les tuyaux. Carbo ne vous dévoilera pas la fin des aventures de Mtoulou mais retient sa morale : l’art au combat face à une nature malmenée, en chaussant ici et là ses lunettes d’enfants.
Informations pratiques :
Théâtre de l’Archipel : Jusqu’au 29 juillet à 10h00, 25B rue du rempart de l'Oulle, Avignon, France, dans la cadre du Festival OFF
Théâtre de l’Oeuvre : Le 16 décembre 2023, 1 Rue Mission de France, 13001 Marseille (d'autres dates et lieux devraient bientôt être annoncés)
Colombe records : maison de disques d’Ahamada Smis