Dans son spectacle de stand-up La Fièvre, joué jusqu’en juillet 2024 à la Fondation Good Planet, l’humoriste Certe Mathurin est piquant. Et se moque volontiers du « manque de charisme » des écolos, convaincu que l’humour peut aider à aller les uns vers les autres. Interview.
L’humoriste et producteur Certe Mathurin a des obsessions, et la crise climatique en fait partie. Il lui a donc consacré un spectacle, son sixième spectacle thématique, depuis ses premières sur les planches des comedy clubs, il y a 10 ans. Ce qu’il aime, c’est décortiquer un sujet pour en faire un spectacle, avec une vision naïve. D’ailleurs, son prochain spectacle s’intéressera aux « affaires de famille ». À première vue, pas grand-chose à voir avec la choucroute. Sauf quand c’est l’humain qui passionne l’humoriste.
On comprend que vous êtes venu sur le sujet de l’écologie un peu par hasard. Qu’est-ce que ça a changé dans votre quotidien ?
Certe Mathurin : Je n'ai jamais été un gros pollueur, mais depuis le spectacle je suis un peu plus prosélyte. Je fais plus attention aux actions des autres. Si j’étais niveau 3 à l'époque, aujourd'hui je suis plutôt niveau 4 ou 5, pour être cohérent avec les mots de mon spectacle et moi-même. Maintenant je donne des conseils à mes parents, mes sœurs, mes ami·es.
Quel rôle peut avoir le stand-up, art populaire, pour faire descendre l’écologie et ses concepts experts ?
C. M. : En stand-up, il faut partir de l’humain, quel que soit le sujet. C’est ce qui nous intéresse. Il faut prendre le sujet et le mettre en filigrane pour recentrer sur l’humain. Où est notre place par rapport à l’écologie ? Un technicien expert n’aura pas cet objectif : il va parler de chiffres, de trucs précis. En humour, la porte d’entrée c’est : pourquoi les gens s’en fichent ? Et après je parle du sujet. Le public commence donc par se dire : « Ah purée, c’est vrai qu’on en a rien à faire. » Il sent que j’ai raison. L’égoïsme c’est la porte d'entrée. L’humain, s’il ne parle pas de lui, ça ne va pas l’intéresser.
Votre spectacle est une sorte de radiographie de notre espèce. Pourquoi rire de l’écologie c’est avant tout rire de nous, de nos défauts et de nos travers ?
C. M. : Aucun être humain n’est parfait. Mais si mon spectacle te gêne, c’est peut-être que ça te dérange qu’il te remette en question. Tout le monde doit faire un pas, se repenser. J’espère que l’écolo qui verra mon spectacle se dira : « Il n’a pas tort. On n’est pas très pédagogues. » Si tu rigoles de quelqu’un, il y a un attachement qui se crée. Quand tu n'aimes pas quelqu’un, tu ne peux pas rigoler de cette personne. En rigolant, tu les humanises, donc tu peux plus facilement les écouter. C’est un sujet anxiogène, donc j’ai dû trouver une manière de le traiter qui soit proche de nous. C’est nous, la source de pollution ultime : nous sommes à la fois les pollueurs et les pollués. En ayant parlé avec pas mal de monde du sujet, je me suis dit : « Je vais imaginer une porte d’entrée accessible pour les gens. » On sait que notre mode de vie pollue, mais c’est flou. C’est comme les maths. Si tu n'as pas envie de comprendre tu ne vas pas comprendre.
Mon spectacle est pour les non-initiés. Ils m’ont suivi sur d'autres spectacles et viennent à nouveau me voir, sans avoir aucune idée que ce spectacle parle d’écologie. Mais c’est trop tard, ils sont là. Mon spectacle n'est pas pour ceux qui lisent le GIEC et regardent les confs de Thunberg. Mon but c’est de montrer que ça n'est pas si désagréable que ça, et qu’il y existe un autre profil d’écolos, ça n'est pas que les bobos du 11ème. Je suis écolo dans ma démarche, mais pas depuis longtemps.
On prétend souvent que l’humour a un rôle de facilitateur pour aborder des sujets difficiles. Est-ce que vous le percevez concrètement ? Après votre spectacle La Fièvre, que vous disent les gens ?
C. M. : Je vois des gens qui ne seraient pas entrés sur le sujet par un documentaire par exemple. Ils ont rigolé, donc l’humour a servi de facilitateur. Si j’étais juste intéressant, je n'aurais pas eu d’intérêt. C’est parce que c’est drôle que ça les intéresse. Je ne dis pas qu’ils ressortent écolo. Mais je veux qu’ils sortent en se disant : « Il a raison, viens je me comporte moins en connard. » C’est déjà pas mal.
Vous informez aussi. Sur l’avion, par exemple, tu donnes des ordres de grandeur. Quelle place est donnée à l’information dans ton spectacle ?
C. M. : C’est primordial. Il faut que ce soit vrai. Mais dans l’humour, l’information ça peut juste être un constat. Pas forcément un pourcentage. Le train pollue moins que l’avion. Ok go. Ou bien, les entreprises sont une des sources principales de pollution. Il faut un vrai constat quoi. Si à côté du rire il y a du fond, j’ai l’impression que mon travail a plus de sens.
Comment ne pas tomber dans le cynisme ?
C. M. : En testant les blagues, des choses moins drôles ont disparu. C’est l’avantage du stand-up. Pendant la préparation, j’avais tout un truc sur le rapport du GIEC et c’était anxiogène, ça ne marchait pas.
« Si le peuple se met à l’écologie, les politiques vont le faire. Ils n'ont pas le choix. »
Vous dîtes : « Imaginez Jul il se met à l’écologie. » Qu’est-ce qu’il manque encore, au-delà de l’humour, pour en faire un sujet populaire ?
C. M. : Le messager est aussi important que le message. Quand un messager est populaire, il facilite le message : on l’écoutera plus facilement. Dire Jul, c’est le contre-pied, parce qu’il remplit des stades. L’écologie est déjà plus populaire qu’avant, et l’est de plus en plus. Je suis en lien avec Banlieues Climat, qui vient de lancer une école de l’écologie (avec Haïti Futur, c’est l’une des deux associations auxquelles il reversait 50 % des recettes de son spectacle, NDLR). Des choses avancent. L’humour est un miroir de la société. Il y a quinze ans, personne n’aurait parlé de ça.
Est-ce que l’humour est politique ?
C. M. : L’humour est populaire, et ce qui est populaire est politique. Les politiques font ce que le peuple instille. Si le peuple se met à l’écologie, les politiques vont le faire. Ils n'ont pas le choix. Il faut continuer à pousser et les politiques vont continuer à s’approprier le sujet. Avec l’humour, le but c’est de toucher les masses. On est connectés d’une manière ou d’une autre.
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