“L’arbre” comme concept unique et universel existe-t-il vraiment ? En réalité, il y a des milliers d’arbres, tous différents : les touffus, les galbés, les déconstruits, les luxuriants, les mystiques… En France, trois lieux atypiques s’allient pour explorer ses multiples facettes, dans une exposition intitulée Forest Art Project, L’arbre dans l’art contemporain.
Du 21 mai au 30 octobre, le Musée de l’eau de Pont-en-Royans, le Couvent des Carmes de Beauvoir-en-Royans et le Grand séchoir de Vinay accueillent l’exposition « Forest Art Project, L’arbre dans l’art contemporain » curatée par le critique d'art Paul Ardenne et portée par l’association Forest Art Project. L’exposition réunit près d’une centaine d’œuvres de trente-six artistes internationaux engagés, dont les approches permettent d’affiner le regard sur nos relations aux arbres et aux forêts. Une nouvelle étape d’ouverture et de développement d’une pensée collective pour l’association, née en 2016 suite à la rencontre des artistes Vincent Lajarige et Mark Alsterlind avec le botaniste Francis Hallé. Et une occasion rêvée pour revisiter la figure familière de l’arbre à travers le regard d’artistes aussi riches que variés.
Faire œuvre de pédagogie
Au Musée de l’eau, pôle pédagogique situé dans la vallée de la Bourne, les œuvres de l’exposition apportent des réponses aux questions urgentes liées au changement climatique. Comme l’écrit Paul Ardenne, « l’artiste qu’intéresse l’arbre et qui s’applique à en multiplier la figure et l’aura peut dès lors être considéré comme son meilleur allié. De l’arbre, s’il en fait le thème principal de sa création, l’artiste dendrophile (qui éprouve du désir pour les arbres, ndlr) va accroître la représentation, la visibilité, l’importance symbolique et factuelle. Il va aussi affirmer un autre potentiel de l’arbre, outre ses ordinaires capacités à être, à occuper de l’espace et à absorber du CO2 – faire que l’on chante sa gloire ».
Les artistes contemporains nous donnent à voir diverses caractéristiques des arbres, ces êtres vivants non humains, avec lesquels nous entretenons des relations. À ce titre, l’exposition brosse large : avec son animation vectorielle Arborescence, l’artiste français Rodolphe Barsikian dévoile l’intérieur d’un arbre dans une démarche sensorielle et quasi abstraite. À proximité, les films documentaires de Francis Hallé permettent d’aborder la complexité de l’écosystème forestier avec une approche bien plus scientifique.
Réfléchir le monde
Poussant un cran plus loin l’engagement envers les enjeux environnementaux, l’univers de certains artistes invite à réfléchir à la place de l'humain dans la nature. C’est le cas de l’artiste et sculpteur français Matthieu Faury : ses sculptures en grès - teintées d’un certain humour - nous invitent à réfléchir à l'empreinte que nous laissons sur terre. À proximité, le travail de Carlos Castillo, artiste originaire du Nicaragua est marqué par la déforestation de la forêt équatoriale, ses peintures mettant à l'honneur ce « poumon vert » soumis à la surexploitation. Plus loin, invitant à la contemplation, la vidéo Cèdre du Liban de l’artiste multidisciplinaire Christiane Geoffroy interroge l’acclimatation des espèces à travers la figure d'un cèdre tricentenaire planté au Jardin des Plantes à Paris. On médite ensuite face aux photographies Matière-lumière de l'artiste plasticienne allemande Evi Keller.
Le voyage à travers les forêts continue avec Mathusalem, une œuvre naturelle recueillie par les cofondateurs de l’association Forest Art Project. Des sculptures de différentes essences de bois de Vincent Lajarige, et des peintures de Mark Alsterlind, dans lesquelles sont incrustés des éléments naturels, composent une forêt à traverser. La circulation entre ces œuvres, également à observer de près, des chemins nous mène vers une diversité de pratiques artistiques, de la couleur au noir et blanc.
Les arbres peints par Cyrille Borgnet semblent sacrés. L’artiste utilise les feuilles de cuivre pour faire ressortir son sujet, inépuisable source d’inspiration.
Convoquer l’ailleurs
Les forêts tropicales constituent des milieux fascinants dont l’expérience reste en mémoire chez les artistes amoureux des arbres. Des présences animales se découvrent dans les peintures sur bois de Ti’iwan Couchili, artiste originaire de Guyane. À proximité, Mille-feuille, triptyque pictural de Rachel Renault évoque un paysage luxuriant de forêt guyanaise.
Les toiles au lavis de la plasticienne française Ursula Caruel montrent des formes palmaires, l'une de petite forme originaire du Mont Ventoux et l'autre de plus grande taille, le palmier de cire de la cordillère des Andes. Rubén Fuentes, lui aussi, chérit les arbres et s’inquiète de leur disparition. Dans ses dessins et peintures, il révèle leur résilience.
Au Couvent des Carmes, à Beauvoir-en-Royans, Claude Como installe Révolutions, des formes colorées tuftées qu’elle déploie sur un mur composant ainsi un paysage, comme une nature qui renaît. La visite de ce lieu se poursuit à l’étage où chaque œuvre invite à voyager dans le lointain, et à prêter attention à la végétation foisonnante.
Naïmé Amelot porte son regard sur une liane de la forêt de Banco en Côte d’Ivoire. Sa peinture à l’acrylique sur toile de jute nous incite à nous approcher pour découvrir la force de cet élément naturel.
Inspirée par les souvenirs de son expédition au cœur de la Mata Atlantica au Brésil, Mathilde Wolff poursuit une œuvre où elle préserve la beauté de cette forêt fragilisée. Le foisonnement végétal s’incarne également dans l’œuvre intitulée Arbre d’Aurélie Gravas, mêlant peinture, sculpture et installation, et déployant des formes découpées qui suggèrent un feuillage porté sur un tronc.
S’enraciner
Une autre forêt imaginaire, composée des œuvres de Vincent Lajarige et de Mark Alsterlind, occupe le hall du Grand séchoir - lieu consacré à la culture de la noix - à Vinay. Suite au parcours dédié à la culture de ce fruit sec, les dessins de Francis Hallé retracent son étude des arbres, des plantes, son émerveillement, son intérêt et sa connaissance de la biodiversité des forêts tropicales.
La suite des œuvres invite à se replonger dans l’histoire de nos relations à l’arbre, figure qui ponctue les mythes et les récits dans différentes cultures. L’installation Olivier de l’artiste palestinien Abdul Rahman Katanani évoque ainsi aussi bien la propre histoire de l’artiste que celle, collective, de la violence au Moyen-Orient.
Avec Tree Pose, Linda Molenaar s'inscrit dans la lignée des performances d’Ana Mendieta, artiste cubaine. Ici, l'artiste hollandaise cherche à devenir arbre avec une combinaison constituée de bois de Cèdre. Quant aux photographies de Laure Molina, elles renvoient à l’énergie de l’arbre, reflété dans l’eau.
Chaque artiste, à sa manière, transmet son attachement aux arbres, sa connexion à ces vivants qu’il observe avec bienveillance. Chacun maintient une expérience de l’ordre de l’émerveillement : les œuvres ici réunies nous font éprouver des émotions fortes, celles, expérimentées en forêt, qui imprègnent, et inspirent à rêver. Il faut dire qu’il en faut, de l’inspiration, pour porter le projet de renaissance d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest, tel que l’a entrepris l’association Francis Hallé.
L’arbre constitue un sujet d’autant plus sensible que la période actuelle est marquée par la destruction par l’humain de son propre lieu de vie. Au moment où la préservation des forêts constitue un enjeu majeur, l’exposition ouvre des pistes pour mieux comprendre leur fonctionnement. Elle fait également preuve d'une grande richesse, tant par les techniques utilisées par les artistes que par les fils de pensées qui se tissent au fur et à mesure que l’on entre dans leurs différents univers. L’expérience de la beauté se double de la nécessité d’apprendre des arbres. Ainsi, il est grand temps de renouer de nouveaux liens avec ces êtres vivants afin de prendre part à leur préservation et à leur restauration. Et, in fine, contribuer à nous sauver de nous-mêmes.