Friends : l’écologie selon Phoebe 

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màj en décembre 2023

Pas toujours simple de se replonger dans les grands classiques des 90s avec nos yeux de 2022. L’an dernier, la mythique sitcom américaine Friends était taxée de grossophobe, sexiste, et homophobe. Et sur l’écologie ? En l'occurrence, la série n’était peut-être pas (complètement) à côté de la plaque. Merci qui ? Merci Phoebe. 

Végétarienne, animaliste – voire animiste –, anticapitaliste, militante, spirituelle et sexuellement libérée, Phoebe Buffay pourrait être une adolescente engagée et écolo de 2022. Elle est pourtant une américaine fictive de 27 ans en 1994, imaginée par deux scénaristes nés dans les années 1950. Pendant 236 épisodes de 22 minutes étalés sur dix ans, l’actrice Lisa Kudrow porte à l’écran devant plusieurs dizaines de millions de téléspectateurs le sujet encore marginal de l'écologie à travers son personnage loufoque, hippie et éco-conscient. Sur l’ensemble des dix saisons de Friends, le mot écologie n'est jamais prononcé – ni le sujet discuté – et pourtant trois des préoccupations les plus chères aux écologistes sont là : végétarisme, respect du vivant et refus de l’hyperconsommation. Visionnage accéléré et décryptage. 

Le végétarisme

L’engagement de Phoebe le plus présent à l’écran est sans doute son régime végétarien. Avec son style bien à elle, elle annonce dès la première saison qu’elle refuse d’avaler « des aliments qui ont un visage » (« food with a face »). Dans un autre épisode, les paroles d’une chanson laissent entendre qu’elle pourrait également être vegan : « La ville de New York n'a pas d'électricité. Et le lait est en train de tourner. Mais moi, je n’ai pas peur parce que je reste loin des produits laitiers ». 

Plusieurs scènes montrent que cet engagement est marginal pour une grande partie de la société : les parents de son nouveau compagnon Mike, pourtant bien conscients de son régime, lui forcent la main – ou plutôt l’estomac – avec une assiette de veau, avec laquelle elle se rendra malade pour tenter de garder la face. Dans un autre épisode, Monica confesse lui avoir fait manger du pâté d’oie en lui faisant croire à une recette végétarienne. Phoebe rend bien cette animosité à la société : pendant Thanksgiving, elle leur souhaite une « joyeuse journée du meurtre inutile de la dinde » (“happy Needless Turkey Murder Day”), et décide dans un autre épisode de chanter devant un groupe d’enfants : « Oh la vache dans le pré va meugler, puis le fermier va la frapper, puis la broyer, et c'est comme ça que nous obtenons des hamburgers ». Ambiance.

Dans d’autres cas, c’est elle-même qui peine à être à la hauteur de son engagement. Ponctuellement, sous le coup des émotions, elle flanche : quand Monica lui rappelle que son premier mari l’a quittée, elle s’enfile un cheeseburger, de colère. À Las Vegas, elle attrape un bon pour un dîner « steak & homard à 99 cents ». Quand Monica lui fait remarquer qu’elle ne mange pas d’animaux, Phoebe réplique : « Pour 99 cents, je pourrai te manger toi ». Mais à part ces rares écarts, elle met un point d’honneur à ne jamais rompre son respect de la vie animale. Affamée de viande pendant sa grossesse, elle scelle un pacte avec Joey pour qu’il devienne végétarien à sa place, le temps qu’elle consomme de la viande. Une manière d’éviter que « des vaches supplémentaires soient tuées ». 

Le respect du vivant

On s’en serait doutés : pas fan à l’idée de manger les animaux, Phoebe ne veut pas non plus entendre parler d’utiliser leurs peaux. La mode et la maison vegan avant l'heure. Elle stigmatise ainsi Joey et Chandler affalés dans leurs sièges en cuir : « Je ne peux pas croire que deux vaches aient fait le sacrifice ultime pour que vous puissiez regarder la télévision les pieds levés ». Cela ne l'empêche pas pour autant de rêver d’un pantalon en cuir, qui lui sera d’ailleurs offert lors de sa baby shower. Sur les fourrures, même combat : elle ne manque pas une occasion de clamer haut et fort son dégoût pour les vêtements en poils de bêtes, mais finira par s’enticher d’un manteau orange en vison – puis à finalement le jeter pour de bon sous le regard moralisateur… d’un écureuil. 

Son respect pour le règne animal va plus loin. Phoebe se désole ainsi, dans un épisode, de s’être assise par mégarde sur une colonie de fourmis. Et imagine, dans un autre, que le peuple des fourmis forcera à l'avenir l’humain à vivre sur une île flottante (!). Dans un autre style, elle accueille chez elle Bob et Susie – un rat et une souris – dans son appartement, et se met en tête d’élever leur portée après la mort de Bob – qui s'avère donc être une femelle. C'est Mike, plus traditionnel, la ramènera à la « raison » en la forçant à s'en séparer.

Au-delà des mammifères et des insectes, c’est l’ensemble du vivant que Phoebe Buffay entend bien respecter. Lorsqu’une passante écrase sa cigarette sur le tronc d’un arbre devant le café Central Perk, elle hausse le ton et lui demande de présenter ses excuses au végétal. Elle pleure également lorsque des fleurs meurent, et va jusqu’à leur organiser des funérailles. À Nöel enfin, la vue des arbres coupés la plonge dans une grande torpeur, poussant Joey et Chandler à la rassurer à leur manière : pour eux, c’est la « vocation » des arbres, et ils pourront ainsi « voir du pays ». Juste après, la vue de la broyeuse, dans laquelle les « vieux sapins » sont envoyés, la saisit d'effroi. Compréhensifs, Chandler et Joe et Monica sauvent les arbres défraîchis et les rapatrient dans le salon de cette dernière. L'histoire ne précise pas combien de temps Monica a supporté les épines sur ses tapis…

Le refus de la société de consommation

On retrouve ce même schéma narratif sur l’engagement anticapitaliste de Phoebe. Elle qui n’hésite pas à rappeler son dégoût de la société d’hyper-consommation et des grandes chaînes de magasin est régulièrement mise en difficulté face à ses propres pulsions d’achat. Quand elle réalise que la table d’apothicaire achetée par Rachel – avec qui elle est alors en colocation – ne vient pas d’un marché aux puces mais de la chaîne américaine de magasins de meubles Pottery Barn, elle se braque à nouveau. Mais quand l’ensemble du salon se retrouve finalement meublé sur catalogue, elle finit par craquer pour acheter la lampe qui va avec l’ensemble. Son aversion pour les grandes entreprises – dont elle explique qu’ils menacent les petits indépendants – la pousse également à mentir pour dissimuler le fait qu’elle travaille dans un salon de massage qui appartient… à une chaîne. À plusieurs reprises, elle avoue également à demi-mot qu’elle aurait secrètement rêvé d’être pilote de ligne ou courtière en bourse. Pas vraiment les emplois les plus compatibles avec ses valeurs. 

Dissonant ? C’est normal ! 

Au fil des épisodes, ces scènes peuvent donner l’impression que le personnage est hypocrite, ou que les scénaristes minimisent le sujet. Mais cette dissonance fait partie à part entière du genre de la série. « ​​La sitcom américaine est un genre qui négocie sans cesse les tensions sociétales de son époque et de son pays, rappelle Jessica Thrasher Chenot, Docteure en études anglophones, sur le média The Conversation. Le personnage de Phoebe incarne ainsi la montée progressive des préoccupations écologiques au sein de la société. Les difficultés auxquelles elle fait face ne sont que le reflet de la difficulté avec laquelle ces enjeux s’imposent progressivement au sein de la société. « [La sitcom] est un espace au sein de la culture populaire qui présente et interroge les points de vue variés, parfois diamétralement opposés ; qui questionne les normes sociétales d’une époque et qui propose éventuellement des possibilités dissidentes », ajoute Jessica Thrasher Chenot dans le même article.

La chercheuse rappelle aussi le contexte tout particulier dans lequel cette série est produite et financée. ​​Dans la seconde moitié du 20ème siècle aux État-Unis, le paysage télévisuel est très dépendant des publicités. « Une grande chaîne comme NBC doit s’assurer que son contenu sera « vendable » aux publicitaires, qu’il réponde aux goûts du plus grand nombre de spectateurs », précise-t-elle. « La sitcom, le genre le plus populaire de cette période, est ainsi le genre qui, historiquement et grâce à son déploiement de l’humour, cherche systématiquement le consensus culturel ». Alors si la série nous choque aujourd’hui pour son manque de considération sur l’écologie, c’est sûrement bon signe. Cela veut sûrement dire que le paysage télévisuel et médiatique - tout comme nous - a bien évolué. Une évolution à laquelle la série Friends, parmi tant d'autres, a certainement contribué. 

Millie Servant
Millie est journaliste et rédactrice en chef. Elle défend un journalisme écolo, joyeux, sans anxiété ni techno-solutionisme.
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