« La transition écologique ne va pas sans transition artistique »

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màj en mars 2024
Transition ecologique transition artistique Ronan de la Croix

Quel est le point commun entre une constellation dans le Grand Palais, une sculpture à base de déchets industriels, et des peintures abstraites qui défendent la biodiversité ? Ce sont des projets menés par Ronan de la Croix, un mordu d’art et d’écologie. Carbo l’a rencontré pour en savoir plus sur ce que l’art peut faire pour la société.

Peux-tu te présenter ?

Ronan de la Croix : Je suis entrepreneur culturel – c’est le terme que j’utilise pour ceux qui travaillent dans la culture mais ne savent pas vraiment définir leur boulot ! J’essaie de faire des ponts entre le monde de l’art et de l’impact, deux mondes qui ne se parlent pas beaucoup a priori. Et le monde gagnerait à ce qu’ils se parlent plus. Je définis le « monde de l’impact » comme l’ensemble des acteurs qui essaient d’améliorer le monde qui les entoure, qu’il s’agisse d’entreprises qui doivent présenter un bilan comptable à la fin de l’année ou de citoyens regroupés en association.

Tu écris dans un manifeste pour ChangeNOW : « nous vivons une transition esthétique » : peux-tu nous en dire plus ?

R. dl.C. : On parle tous les jours - pour qui veut bien l’entendre - de transition écologique et sociale, mais les transitions sociales ont toujours été accompagnées de transitions esthétiques, avec la naissance de nouvelles écoles ou l’apparition de nouveaux médiums.

Il y a plein d’exemples dans le passé : je pense au Dadaïsme au moment de la Première Guerre mondiale, qui s’est fait le porte-parole de l’absurde après la catastrophe. Aujourd’hui, il y a une école d’artistes qui n’a pas encore de nom mais qui travaille seulement à partir de matériaux naturels ou ressourçés. Ces artistes refusent le plastique, ce qui change forcément leur esthétique.

Les artistes mettent en forme nos désirs, nos rêves, nos complexes, nos contrariétés dans les œuvres d’arts. Et toutes ces images sont amenées à changer. Il faut comprendre que ces transitions seront liées : notre société a deux jambes, elle avance aussi bien sur l’aspect social qu’esthétique.

Avant, tu travaillais dans la pub. Est-ce que tu essaies maintenant de créer des désirs durables ?

R. dl.C. : Je dis souvent que je suis un pubard repenti. Je n’essaie plus de créer des désirs. Ce que j’essaie de faire, c’est de faire émerger, à travers des expositions présentant le travail des artistes que je suis, des questions dans la tête et les tripes des spectateurs.

On vit dans un monde peuplé de réponses, et on a besoin de plus de questions. Il y a même des questions qui sont elles-mêmes des réponses ! « Comment limiter le réchauffement à 1,5 » par exemple, c’est une question qui est le fruit d’une réponse, elle repose sur un certain nombre d’idées préétablies. Les artistes ont le potentiel d’aller plus loin, ils secouent les certitudes. « Où te situes-tu dans l’histoire ? » : ça c’est une question que j’aimerais poser.

Les lieux de culture peuvent-ils être des lieux de débat, plus que des lieux de conservation ou de présentation ?

R. dl.C. : Je suis un amoureux absolu des musées. Ce sont des lieux où je me sens très bien, car je m’y sens en contact avec une altérité totale : les œuvres présentées sont loin de moi, soit soit par la distance géographique, soit par l’histoire. Je déteste qu’on dise « cette ville est muséifiée », ça donne un côté poussiéreux. On oublie trop souvent que le musée est le « Palais des Muses ». Il faut en refaire un lieu vivant, ouvert sur la société, et utile localement. Le Louvre, c’est le faire-valoir de Paris mais les voisins du Louvre n’en profitent pas assez. Je rêve d’un musée qui soit un lieu de recherche, un lieu de mise en pratique : on parle de think tanks et de do tanks alors qu’on a un outil sous les yeux, le musée ! Je cite une personne que j’avais interviewée pour mon blog : je rêve que le musée soit un espace de libre expression où l'on puisse parler des sujets que l’on ne peut pas aborder ailleurs.

Tu travailles sur un projet de réutilisation des déchets industriels par les artistes. C’est une sorte d’alternative au recyclage ?

R. dl.C. : Alors non, ce n’est pas une alternative au recyclage. Le programme MANIFEST, qui consiste en la création d'œuvres à partir de déchets ou de co-produits de l’industrie, c’est la mise en valeur d’une filière durable d’économie circulaire. L’humain est la seule espèce vivante qui produit des déchets, disons que l’économie circulaire essaie simplement d’en créer le moins possible.

Les industries produisent des déchets à l’échelle… industrielle. Donc je cherche des déchets qui soient les plus beaux médiums du monde à mettre dans les mains des artistes. Les matériaux de demain, les nouveaux marbres, les métaux précieux, les bois exotiques, les coquillages et les cornes, seront issus de l’économie circulaire. Ce sont aussi des matériaux nobles, durables, qui ont eu parfois mille vies antérieures. Cette histoire ajoute une dimension aux œuvres qui sont créées avec.

Attention, pour collaborer avec nous, il faut que l’entreprise ait un impact positif dans l’économie circulaire. C’est un autre apprentissage de la pub : j’ai vu le green-washing, le art-washing… pour en envoyer plein les yeux alors qu’il s’agit seulement de paroles. Je prends le contre-pied : je mets l’innovation durable entre les mains des artistes, pas les artistes dans les griffes des entreprises.

La première œuvre réalisée est « Météolithes » de Caroline Desnoëttes, à partir d’une matière qui s’appelle l’anthropocite. Il s’agit d’un composite créé par la société Néolithe à partir de déchets industriels, fossilisées pour en faire du granulat béton. L’œuvre consiste en deux signes de l’infini entremêlés et en dialogue, représentant l’économie circulaire du vivant et celle de l’homme qui tente de l’imiter.

Est-ce que la culture peut changer les pratiques en faveur de l’écologie ?

R. dl.C. : Les pratiques de qui ? D’abord pour l’artiste, il y a des produits à bannir : des solvants, des matières non-renouvelables. J’essaie d’inciter tous les artistes avec lesquels je travaille à adopter soit une charte d’éco-conception, soit à se poser des questions sur la provenance et la destination des matières qu’ils utilisent. L’artiste ne peut pas être dans sa tour d’ivoire et vouloir avoir un impact s’il ne change pas ses pratiques.

J’accompagne avec la Fabrique des récits et l’Office français de la biodiversité une cohorte d’artistes dans le cadre d’une masterclass Biodiversité & Art. Et je voudrais donner l’exemple de Caroline Deveaux, une peintre qui intervient beaucoup dans l’espace public. En neuf mois, elle a décidé d’intégrer beaucoup plus de conscience et de connaissances en terme de biodiversité dans son œuvre, même si elle reste très abstraite.

En ce qui concerne la société au sens large, est-ce que la culture doit la changer, non, est-ce qu’elle le peut, oui. L’écologie, étymologiquement, c’est un discours sur le monde qui nous entoure, sur notre maison commune. Ce n’est pas à l’artiste de dire « remplacez vos ampoules par des LED », pour que cinq ans plus tard, les scientifiques se rendent compte qu’il faut plutôt un autre type d’ampoule. Je préfère que la culture aide les citoyens à prendre conscience de leur place parmi les vivants, et ensuite ils en déduiront d’eux-mêmes les pratiques quotidiennes à adopter.

Renée Zachariou
Renée est autrice et plume freelance. Elle écrit sur la technologie, les esprits et la nature.
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