On a vu le premier passage sur scène de l'activiste Thomas Brail avec les complices du pianiste Patrick Scheyder pour la Nuit Blanche, événement artistique annuel organisé dans tout Paris. Chronique d’une jolie soirée par moments trop consensuelle à nos yeux mais qui, vu la réaction du public, a largement séduit.
Ce soir-là, des relents d’automne flottent dans l’air parisien. Basculer l’événement Nuit Blanche d’octobre à juin pour profiter des beaux jours ? Ce sera pour l’année prochaine. 12 degrés, des écharpes mais on échappe à la pluie. À 22h00, les passants se pressent devant l’entrée de l'Académie du Climat près de l'Hôtel de Ville. La troupe qui joue à du retard. « On s’assoit ? ». Dans la foule, on parle français mais aussi chinois derrière moi, américain à ma droite, allemand un peu plus loin. Des enfants, des parents, des jeunes, des moins jeunes. Savent-ils qu’ils vont voir Éloge de la forêt ? Pas tous·tes. Sur scène, un grand piano Yamaha blanc se pare de projections lumineuses, à ses côtés un pupitre de ministre en plexiglas, une bétonnière et des néons verticaux au look plus artisanal que le reste. Ce décor et l’ambiance donnent une impression familière, souvenir des fêtes de fin d’année qui rassemblent au lycée. Clic, clic, amateurs et pros mitraillent les objets en photos.
« Ahhhh », Patrick Scheyder, l’instigateur du spectacle, s’avance face au public. Il promet du rire, des larmes et l’envie de s’adresser à tous·tes, en particulier à celleux qui n’aiment pas l’écologie. Le piano démarre, accompagné d’une voix off - Patrick Scheyder lui-même - qui sera le fil rouge de la pièce. Au premier jour était la femme ; la voix off narre le combat de celle qu’il nomme « Première écologiste de France », l’écrivaine George Sand et sa bataille pour sauver la forêt de Fontainebleau. On revoit les bases. Fin du premier acte. Arrive la comédienne Emma Variche en robe noir sixties dans le rôle de la présidente de la République. Au micro, elle annonce un monde où la technologie nous sauvera du déluge tout en essuyant un violent orage qui l’oblige à couper court à son discours. S'enchaînent alors des extraits vidéos de politiques, Emmanuel Macron et Bruno Lemaire en guest-stars, partageant leur amour des forêts et du vivant, juste avant quelques archives malmenant légèrement leurs opérations greenwashing. Fin du second acte.
« Au fait, il n’y a personne en haut »
Trompette. Ça vient du premier étage, on lève la tête. « Oh c’est l’activiste ! ». Depuis la rambarde du balcon, l’arboriste grimpeur le plus célèbre de France s’élance dans le vide : Thomas Brail en rappel sur un bâtiment public. L’applaudimètre s’échauffe. On l’imagine descendant d’un arbre, un feuillage projeté sur la façade aidant. Thomas n’est pas seul à camper là-haut. Veste de costard bien coupée, baudrier et cordes, le voici qui raconte être devenu « conseiller de Christophe Béchu », le ministre de la Transition écologique. « Un ministre accroché à un arbre, ça remonte dans les sondages », qu’il lui a dit et Christophe a répondu banco. Thomas déclame son texte avec d’autant plus de naturel qu’il joue son propre rôle. Il lance des blagues, le public rit. Ça "s’émotionne" quelques secondes plus tard lorsqu’il lit une belle lettre à son fils, Patrick Scheyder assurant au piano un accompagnement mélo-dramatique. Mais là-haut, Christophe et sa trompette s'impatientent. Hop, ça repart à la corde, Thomas fait tomber la veste, « Wouhou », les fans se délectent et Thomas souffle « Au fait, il n’y a personne en haut, mais on a le droit de rêver ? ». Troisième acte, fin.
À présent, plein feu sur la bétonnière. La voix guide confie avoir rencontré un paysan sur le chemin de Fontainebleau, inventeur d’un mouvement sacré : la danse de la bétonnière. C’est Yanis Gilbert, acrobate professionnel dans une combinaison de chic garagiste à double fermeture éclair qui l’exécute. Il s’approche, caresse l’engin capitaliste, le cherche, le survole, s’y glisse jusqu’à disparaître à l’intérieur avec beaucoup de poésie. Forts applaudissements. Le ballet est terrible, Yanis grimace, on le comprend ; comment peut-il tenir dans un si petit espace ? (« 1m73, 68 kilos » peut-on lire sur sa bio). La présidente, de retour sur scène, vient le secourir ; la sortie n’est pas aisée, trop tard surtout, le corps semble sans vie. Déposé à terre face à sa cavalière mortifère, un mapping lumière tourne sur la peau du danseur. Fin du quatrième acte.
« Le jour d’espoir est arrivé »
Mais feu la mort, ce soir on danse. D’un coup, le spectacle fort charmant, mais qui manquait un peu de piment à notre goût, se réveille. Gaël Faye, Eddy de Pretto et Grand Corps Malade ont eu un fils : Lémofil - 24 ans, rappeur, engagé, talentueux- enchaîne des punchlines sur un beat rythmé signé iMan (l’un des producteurs de Damso). Lémofil "crève l’écran", trébuche sur quelques syllabes mais emporte tout l’espace scénique. 400 personnes battent la mesure et répètent en chœur « Le jour d’espoir est arrivé », le nom du morceau. N’allez pas le chercher sur les plateformes, c’est un inédit. « Pas sûr de le sortir », nous a-t-il dit. Le show tire sur sa fin. Les acteurs et l'actrice se rassemblent sur le dernier refrain, lèvent le poing, la foule avec. Applaudissement général, le public semble conquis. Dommage que les scénettes n’usent pas plus de liant entre elles et de suggestif pour questionner et imaginer le monde qui vient. L’ensemble restant très plaisant.
« Let’s have a drink ». Un groupe d’étudiant·es navigant entre français, anglais et italien s’apprête à filer vers la buvette. « Votre moment préféré ? », ils sont unanimes, « La danse avec la bétonneuse », « et Thomas Brail », ajoute le seul garçon du groupe, qui se présente comme fan absolu. En direction du bar, beaucoup, BEAUCOUP de monde pendant la pause avant une seconde représentation. On me tape sur l’épaule, le fan de Thomas Brail me demande si je sais où trouver l'écureuil pour lui témoigner « tout son soutien ». Un compte-à-rebours sur la façade indique qu’une séance va reprendre. À 23h00, le public est plus épars, 200 personnes au moins tout de même, et ça repart. Le difficile pari de toucher les moins sensibles à l’écologie a-t-il été gagné ? Ce soir, le public semblait acquis à la cause. Éloge de la forêt se veut populaire, à raison. On a hâte de voir la suite. À quand la Nuit Verte ?
Infos pratiques :
Éloge de la forêt, création originale de Patrick Scheyder, durée : 45 minutes.
Pour voir ou revoir Éloge de la forêt, rendez-vous le 22 septembre à la Gaîté Lyrique dans le cadre du festival Anticipation.
Photos de l'article : © Alexia Luquet