En ce jour nommé « Journée internationale de la montagne », retour sur le court-métrage Perspective (sorti en 2023 et disponible gratuitement en ligne) qui retrace l'itinérance sportive – mais aussi intellectuelle – de deux skieurs freeride, entre Morzine-Avoriaz et Chamonix. Le film est une escapade en pleine nature, entrecoupée par les interventions de chercheurs et scientifiques, spécialistes des sommets. De quoi amener un peu de recul et de réflexion sur un sport perturbé de plein fouet par le dérèglement climatique. Vivifiant.
De la poudreuse étincelante, des masques propres qui reflètent le relief inondé de soleil, de l’ASMR partout grâce aux craquements de la neige et des branches sur le passage des skieurs... Dans les belles productions audiovisuelles de ce genre, la possibilité prochaine d’une disparition des domaines skiables – ou plus probable, de l’amenuisement d’entretien du manteau neigeux – n’est presque jamais abordée. Pourtant, l'hiver dernier, le manque de neige s’est fait ressentir sur les stations des Alpes françaises et suisses. Les saisons sont plus courtes, la possibilité de réaliser des traces fraîches plus rare, et l’occasion de filmer de belles sorties en altitude fond comme neige au soleil. « Notre terrain de jeu était en train de changer, confie Louis Baud, l’un des réalisateurs du court-métrage. On devenait de plus en plus tributaires de la météo et de l’état des manteaux neigeux. Cela n’avait aucun sens, pour nous, de faire “juste” un film de ski, sans histoire. »
Passionnés mais réalistes
De là, est né Perspective, une sorte de ski-docu d’une quarantaine de minutes tourné entre Avoriaz et Chamonix, deux stations françaises proches de la Suisse, et surtout du Mont Blanc. Louis Baud et son cousin Valentin Garreau reprennent dans ce court-métrage les codes du film de ski classique, tout en y intégrant une réflexion sur l’impact du dérèglement climatique dans les Alpes. Météorologue, glaciologue, alpiniste ou skieur professionnel : tous témoignent, au micro des deux sportifs, des changements majeurs actuels ou à venir.
Pour les plus sensibles aux enjeux environnementaux, rien de nouveau, mais pour le grand public, fasciné par la vie en montagne et les sports extrêmes, ces discours font mouche. « On savait que ça allait surprendre, mais on a longuement réfléchi à notre approche. Face au déni, on ne voulait pas faire la morale. Le choix a été fait d’expliquer, de vulgariser, avec des mots simples et des constats simples », confirme Louis Baud. Projeté dans un cinéma à Morzine (Haute-Savoie), le film a fait salle comble. À la surprise de ses deux réalisateurs et de Corentin Croisonnier, réalisateur et producteur, qui les a accompagnés tout au long de leur projet pour tourner, monter et finaliser le court-métrage.
Ils connaissent la montagne sur le bout des doigts
Leurs skis crissent, la neige craque sous leur passage. Le temps est parfois mitigé, couvert. L’herbe pointe même le bout de son nez. En prenant un vieux bouquin bourré de clichés photographiques d’Avoriaz, force est de constater que l’enneigement a changé. En moins de trente ans, les sommets ne sont plus si blancs et certains glaciers ont considérablement fondu. Les paysages, comme le rappelle Anselme Baud, alpiniste chevronné vivant à Chamonix et interrogé dans Perspective, ne sont plus les mêmes. Il faut constamment s'adapter.
Mais pour le météorologue Arthur Garreau, qui participe aussi à ce ski-docu, la neige n’a pas totalement disparu. Elle se montrera plus rare, « avec un gros hiver neigeux plus que tous les 20 ans, ou des saisons plus courtes, de janvier à fin mars » (au lieu de décembre à avril). On a aimé la franchise et l’attachement de ce jeune chercheur pour ces reliefs, lui qui ne cesse d’observer et d’analyser toutes les variations climatiques et météorologiques captées par les stations météo de la station de ski d’Avoriaz. Du côté des scientifiques, le discours est bien rodé. L’éminente glaciologue Heïdi Sevestre confie, avec beaucoup d’émotions, ses craintes et ses espoirs pour les monstres de glace qui dévalent les pentes du plus haut sommet d’Europe, le Mont Blanc. Avec toujours… Une pointe d’optimisme. « C’est ça qu’on voulait aussi montrer », confirme Louis Baud.
Ski pro : à côté de la plaque, niveau enjeux environnementaux
La réalisation même de ce film vient appuyer leurs propos et confirmer leurs inquiétudes. Après chaque interview, certains scientifiques ou professionnels du ski les accompagnent dans une de leurs excursions à ski. Mais rien de plus complexe que d’obtenir les conditions idéales : de la neige fraîche, un temps ensoleillé, un risque d’avalanche faible… « On ne peut plus filmer comme on veut, où on veut. C’est une réalité », confirme le réalisateur Corentin Croisonnier.
Depuis trois ou quatre ans, la communauté freeride est de plus en plus sensible au dérèglement climatique, mais il reste beaucoup à faire, selon Louis Baud. « Le bilan carbone de la compétition “Freeride World Tour” n’est pas beau. Les athlètes vont dans un pays pour les courses, partent au Japon pour trouver de la bonne neige, retournent au Canada pour filmer dans de la poudreuse… Il est plus que temps de voyager plus responsable ». Heureusement, de plus en plus d’athlètes refusent de courir certaines compétitions pour des raisons environnementales. « Dans Perspective, on a donné la parole à ceux qui réfléchissent à partir en train, à mutualiser leurs déplacements, mais si un jour un athlète comme Kévin Rolland (skieur français, médaillé olympique, ndlr) pouvait montrer l’exemple… ça ce serait un geste fort ! », conclut le sportif haut-savoyard.
Depuis la sortie de leur film, les deux cousins et Corentin Croisonnier se sont lancé un nouvel objectif : décliner en série les valeurs promues dans leur documentaire. Dans chaque épisode, ils souhaitent mettre en lumière le combat d’un·e habitant·e des montagnes qui agit concrètement pour le climat, l’environnement ou la préservation de l’eau et de l’agriculture dans nos sommets français. Moins d’images, mais plus d’actions.
