Petit guide de l'effondrement : du rire contre l'écoanxiété

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màj en avril 2023

Et si le meilleur remède face à l'écoanxiété était le rire ? Dans les deux tomes de leur Petit guide de l'effondrement, réunis fin novembre dans une intégrale, Émile Bertier et Yann Girard « recyclent » des vieux comics américains pour se moquer par l'absurde et avec un regard politique acéré les pratiques de greenwashing et nos angoisses face à la crise écologique. 

C'est par la naissance du divin messie Pablo de Servigneth que commence Le Petit guide de l'effondrement. Toute ressemblance avec l'auteur français spécialiste de la collapsologie Pablo Servigne est – absolument – fortuite. Aux rois mages qui viennent lui porter leurs offrandes, le petit Pablo de Servigneth répond : « Mes oncles, vous êtes bien généreux, mais ces breloques chinoises en plastique sont très probablement bourrées de bisphénol A et d'autres perturbateurs endocriniens […] Qui plus est, cette surabondance de biens matériels n'est guère compatible avec le frugalisme auquel j'aspire. » 

Vous êtes-vous reconnu, ou l'un de vos proches, comme l'écolo pisse-froid de ces quelques lignes... qui déclenchent facilement un sourire aux lèvres ? Se moquer de nos travers d'écolos et de ceux des climatosceptiques, c'est la voie humoristique suivie par les tomes 1 et 2 du Petit guide de l'effondrement d'Émile Bertier et Yann Girard (éditions Bandes détournées), réunis dans une intégrale de 200 pages sortie fin novembre. À côté de Pablo de Servigneth, on peut y suivre les aventures de Captain Atome, de Bob le Surviveur, de Papy Boomer ou de David Côtelette. Ces héros ou anti-héros sortent tout droit de vieux comics américains désormais libres de droit, qu'Émile Bertier et Yann Girard s'amusent à détourner. L'écologie incarnée jusqu'au bout, avec ce recyclage de la pop culture comme matière première !

Les profils des écolos selon Bandes detournées
© Bandes Détournées


Les deux auteurs sont des amis de longue date. Émile et Yann se connaissent depuis le collège, « où [ils] se tiraient la bourre » lors des rédactions de français, nous confient-ils. Pas de quoi les mettre aussitôt sur les rails de la fiction ou de la bande dessinée pour autant. Émile poursuit des études d'architecture, Yann d'ingénieur. Mais vers 2017, les deux comparses se retrouvent autour de cet engouement pour les vieux comics américains des années 1950, qu'ils s'amusent à détourner pour leur faire dire de nouvelles choses.

Ils commencent d'abord à faire des « strips » sur Internet pour réagir face à l'actualité en quelques cases. L'idée, c'est de « croiser l'humour et un positionnement politique ancré à gauche », décrit Émile. Puis ils lancent un fanzine de « bandes détournées décomplexées et désopilantes ». Manque de chance, les gens « passaient en partie à côté » de ces caricatures potaches, parce qu'« ils ne comprenaient pas le principe ». « Certaines personnes nous disaient même que nos dessins étaient ringardos », se souvient-il, encore amusé. La BD s'impose alors, « plus identifiée en termes de format », et Yann et Émile commettent une première série à base de comics recyclés avec pour héros Paul Lamploix, une « saga sur un chômeur intergalactique ».

Ils aiment cet effet de balancier ou d'inconfort qu'ils créent : regarder la crise écologique en face, les travers des uns, les fausses solutions des autres


Parallèlement aux réflexions sur le monde de travail, les deux amis qui s'envoient des vannes à tout-va se confrontent de plus en plus sérieusement à la crise écologique. « On regardait plein de conférences en ligne, de Jean-Marc Jancovici ou Pablo Servigne, toute cette clique. On s'est rendu compte que c'était un sujet qui définit un peu tout, sinon "le" sujet majeur du moment, raconte Yann. Alors on s'est dit qu'on allait essayer de faire des blagues dans cet univers-là, autour de l'effondrement, tout en essayant de faire passer de vrais messages derrière. » Oui pour rire beaucoup, oui pour rire de tout. Mais toujours en enrobant l'humour d'une pensée politique. C'est l'ADN de Bandes détournées.  

Rire de la crise écologique s'est presque imposé comme une nécessité. « Être toujours dans le constat, c'est fatiguant et déprimant, commente Yann. Beaucoup de gens sont dans cette étape de lutte pour démontrer que la raison est de notre côté. Nous, on a choisi de se placer un peu au-delà. Ça nous sert de catharsis. » Émile complète : « Le rire était effectivement une inclinaison assez naturelle. En regardant dans le rétro, on se rend compte aussi que l'intérêt de l'humour, c'est peut-être de rendre les questions écologiques plus accessibles, de permettre aux gens de ne pas se sentir seul face à l'absurdité des choses et de leur faire comprendre qu'on est plein d'autres à réfléchir sur les mêmes sujets. »

Pablo Servigne selon Bandes Detournées

Le Petit guide de l'effondrement est ainsi une sorte de manuel potache qui digère les codes et débats internes au mouvement écologiste, par exemple sur la question du nucléaire, de l'utilisation de la violence ou de l'impact des « petits gestes individuels ». À l'instar de ce que peuvent faire aussi les dessinateurs Alessandro Pignocchi ou Loïc Sécheresse. De quoi aller jusqu'à plaire à des climatosceptiques ? C'est ce que des personnes leur ont déjà rétorqué. Et si ça permet de ratisser large et de faire lire à un tonton récalcitrant des aventures qui se moquent aussi des technophiles, finalement pourquoi pas. 

Eux estiment tout de même que leur BD propose plutôt un humour d'initiés. Et ils aiment cet effet de balancier ou d'inconfort qu'ils créent : regarder la crise écologique en face, les travers des uns, les fausses solutions des autres. Quitte à caricaturer des écologistes mordus comme les « colibris » et ceux qui écoutent religieusement – comme ils l'ont fait – les conférences de Pablo Servigne et consorts. Jusqu'ici, tous ceux croqués ont l'air d'avoir très bien pris la blague. L'association des Colibris leur a même commandé plusieurs centaines d'exemplaires. Peut-être que pour les plus engagés, ça fait du bien de rire de soi, après avoir mis tant de sérieux dans les actions.  

On se rend compte aussi que l'intérêt de l'humour, c'est peut-être de rendre les questions écologiques plus accessibles


Au-delà de la catharsis par la blague, l'humour permet aussi de remettre à l'endroit le débat. « Ce qu'on adore surtout, c'est se moquer de la pensée dominante. Dans les grands médias, des idées comme la décroissance ou la sobriété sont représentées comme des choses absolument fantaisistes, non pragmatiques... Alors que les utopistes, c'est ceux qui pensent qu'on va continuer comme ça pendant des millénaires, énonce gravement Émile. Le Petit guide de l'effondrement, ça nous a permis de créer un espace dans lequel on remet les choses en place. »

L'art du détournement permet aussi de retourner la veste de BD qui représentaient l'ancien monde. « On utilise de vieux comics qui sont hyper outranciers et datés : ils sont misogynes, racistes, impérialistes... Nécessairement, on avait besoin de créer un décalage par un humour très second degré », décrit Émile. Alors les deux éditeurs et auteurs ne cachent pas leur plaisir d'avoir reçu une photo de Michel Hazanavicius – réalisateur de La Classe américaine, classique du cinéma détourné –, un Petit guide de l'effondrement entre les mains.


Mathilde Doiezie
Mathilde est journaliste. L'écologie, c'est son dada, pour changer positivement la face du monde. La culture, elle en est gaga, pour affronter tout ça avec entrain.
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