« Petits tréteaux d'écologie sauvage » : au théâtre, nature et culture se mélangent

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màj en mars 2024

Inspirée par la BD Petit traité d'écologie sauvage d'Alessandro Pignocchi, la compagnie Le Marlou a créé une pièce qui questionne la distinction entre nature et culture, invitant à réparer les liens qui nous éloignent des autres êtres vivants.

Face à la salle encore éclairée, quatre acteurs observent notre « masse d'individus bariolés » comme le ferait un anthropologue épiant les us et coutumes d'une société. Au théâtre, on place souvent « un mur entre soi et le reste du monde ». Un quatrième mur symbolique (en plus des trois qui entourent déjà la scène) qui « mime notre comportement envers les autres êtres vivants », lance l'un d'entre eux, juché sur le bord de la scène du Théâtre universitaire de Nantes où se sont tenues les premières représentations de Petits tréteaux d'écologie sauvage début mars. Il va s'agir cette fois de briser ce quatrième mur, entre nous et les acteurs, métaphore de celui qui se dresse entre nous et le reste des êtres vivants. « On va interroger le concept de naturalisme, pour détricoter ensemble la fiction dans laquelle on barbote depuis trois siècles à propos de l'idée de nature », complète un autre comédien.  

Petits tréteaux d'écologie sauvage transpose sur le plateau les interrogations soulevées par Alessandro Pignocchi dans sa bande dessinée Petit traité d'écologie sauvage (Steinkis, 2017). L'ancien chercheur en sciences cognitives et en philosophie y mettait en scène avec une ironie tantôt douce, tantôt mordante, une société française où l'animisme des Indiens d'Amazonie était devenu la pensée dominante. Un moyen de dépasser l'embarrassante distinction « nature contre culture » à l'occidentale, déjà remise en question via sa précédente bande dessinée, dans laquelle il revenait sur les traces de l'anthropologue français Philippe Descola auprès du peuple Jivaro. 

© Alexandre Berquin - Metlili.net

Dialogue entre culture et sciences face au travers du monde

Et pour oublier la distinction entre « nature » et « culture », quoi de mieux qu'un bol de culture qui tente de ranimer notre part de nature ? C'est ce à quoi s'emploie avec brio la compagnie Le Marlou avec Petits tréteaux d'écologie sauvage. La compagnie s'est appuyée sur son « labo sauvage » pour concevoir cette pièce : des rencontres dont les échanges irriguent la création. Car la compagnie Le Marlou, créée en 2008, a ceci de peu ordinaire qu'elle s'appuie sur le dialogue entre deux sœurs, l'une metteuse en scène, Marion Delplancke ; l'autre, Malou Delplancke, docteure en ethnobiologie, une discipline qui étudie les rapports entre les humains et leur environnement. Leurs pièces – une adaptation de Moby Dick ou Amamonde, dystopie dans l'univers de l'entreprise Amazon – interrogent les travers du monde. 

En 2020, elles ont initié les rencontres de leur « labo sauvage » pour s'interroger sur la façon dont « la crise écosystémique vient tous nous chambouler, dans nos pratiques de recherche comme de création », nous explique la metteuse en scène Marion Deplancke. Un premier échange a eu lieu à l'île d'Yeu, où la compagnie a été fondée. Malou avait réuni des personnes issues plutôt de la recherche universitaire : Alessandro Pignocchi lui-même, ainsi que Ruppert Vimal, chercheur en géographie au CNRS de Toulouse, Nicolas Martin, chercheur en écologie à l’INRAE, et Thibaut Labat, architecte et membre du collectif Défendre.Habiter. De son côté, Marion a plutôt rassemblé des « chercheurs des planches » lors de résidences, soit les quatre acteurs et actrices de la pièce, invitées à la co-concevoir.

Malou et Marion © Le Marlou

Plusieurs rencontres et résidences ont ainsi nourri Petits tréteaux d'écologie sauvage, dont la création s'est terminée à l'issue de dix jours passés au Théâtre universitaire de Nantes. À partir de lectures d'anthropologues ou philosophes comme Baptiste Morizot, Nastassja Martin ou Isabelle Stengers, l'équipe a d'abord réfléchi à la relation entretenue avec le monde vivant. Puis elle a beaucoup improvisé pour trouver une nouvelle manière de la raconter. Le matériau de la bande dessinée d'Alessandro Pignocchi a ensuite servi de support pour « apporter un peu d'humour et de joie sur ces questions qui nous bouleversent et nous terrorisent », commente Marion Delplancke. Loin d'être une adaptation collée au texte, la compagnie en a retenu l'esprit ainsi que le point de départ : le jeu d'inversion exercé par l'anthropologue Jivaro observant la culture occidentale sur le déclin. Un « bon tremplin pour voir ce qui grince dans nos outils de composition du monde »

© Alexandre Berquin - Metlili.net

Failles béantes de la culture occidentale

Sur scène, peu d'artifices pour arriver à un résultat éloquent. Des tréteaux du titre de la pièce, faisant ainsi référence à l'univers du théâtre et évoquant le théâtre permanent dans lequel l'humain organise son rapport à la nature. Des livres, comme supports de la distinction entre nature et culture, mais aussi comme nouveaux supports de réflexion pour réenchanter ces liens. Un portant à vêtements avec habits et costumes, dans lesquels les acteurs et actrices viennent piocher au gré des scénettes qui s'enchaînent pour incarner plusieurs personnages. 

Des anthropologues d'abord, qui tentent d'interpréter le chant d'oiseaux ou de décrypter les « peintures rupestres » que constituent les logos de marques sur les vêtements de spectateurs. Des mésanges punk aussi, qui viennent fissurer ce monde et ses incohérences, tout en piratant la représentation théâtrale. Elles rôdent dans le public, débranchent l'électricité. Elles dénoncent le capitalisme et chantent une ode au « sauvage ». L'angoisse monte chez plusieurs figures archétypales : une journaliste qui ne sait plus raconter le rapport au monde en-dehors du conflit ; un adolescent en pleine crise d'écoanxiété ; un Premier ministre dépassé par les événements qui n'aspire qu'à voir des toucans et à bichonner ses plantes. La musique de Jules Beckman – lui-même sur scène, comme un acteur à part entière – fait monter ces angoisses. Les failles de la culture occidentale deviennent béantes. 

© Alexandre Berquin - Metlili.net

Mais si la crise n'accouchait pas forcément du chaos ? Le Premier ministre finit par mettre le « pays en pause » et par affirmer : « Je vous fais confiance sur l'autogestion ». « Bifurquez, dansez », propose alors l'un des personnages, tandis que des créatures chamaniques prennent possession de la scène. S'ouvre une porte à l'arrière d'où sort de la fumée. C'est un échappatoire mystérieux. Comme une issue de secours qui emmène vers l'au-delà, où un autre modèle de société nous attend. Ne reste qu'à la franchir.  

Photo à la une : © Alexandre Berquin - Metlili.net

Mathilde Doiezie
Mathilde est journaliste. L'écologie, c'est son dada, pour changer positivement la face du monde. La culture, elle en est gaga, pour affronter tout ça avec entrain.
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