Les forages sont lointains, les câbles souterrains, les réacteurs barricadés… Les sources d’énergie qui rendent possibles toutes nos activités quotidiennes sont invisibles – à moins qu'on se décide à les regarder. C'est notamment le cas de quatre artistes contemporain·es, qui nous invitent à voir ce qui se passe derrière la prise ou la pompe.
Un monde dopé au pétrole
Ah le pétrole, ce pote que l’on fréquente encore alors qu’on s’était promis de ne plus jamais l’inviter… Bien que la COP28 ait invité les pays du monde entier à « effectuer une transition hors des énergies fossiles », la consommation d’or noir continue de croître.
C’est aux États-Unis, et particulièrement au Texas, que la folie du forage a commencé, du moins à échelle industrielle. L’artiste John Gerrard nous invite notamment à découvrir le champ pétrolifère de Spindletop, foré à partir de 1901 et aujourd’hui épuisé. Il le recréé numériquement pour y planter un nuage de fumée, générant une vidéo en temps réel qu’il a installée dans le désert entre la vallée de Coachella et la ville de Palm Springs.
Ce drapeau noir représente-t-il les États-Unis, qui sont le plus grand pays producteur de pétrole ? Ou bien le monde contemporain, dopé à cette énergie qui illumine apparemment nos vies tout en noircissant notre futur ? Chacun se fera son opinion.
Le charbon, on l’a dans la peau
70% de l’énergie polonaise provient actuellement du charbon, la deuxième source d’énergie au niveau mondial. Le pays a longtemps tenté de ralentir les politiques européennes visant une sortie rapide de cette énergie très polluante, mais qui employait des milliers de personnes dans le pays, avec une empreinte économique et culturelle importante.
Le photographe Michał Łuczak a grandi en Haute-Silésie, au sud de la Pologne, et surtout haute terre minière depuis le 19e siècle. Sa maison familiale est tordue à cause de l’exploitation minière qui creuse le sol, et la fermeture de toutes les mines du pays, enfin prévue d’ici 2049 par le gouvernement, ne la redressera pas. Dans sa série Extraction, l’artiste documente les minéraux et les mineurs, dont la peau devient la carte d’une géographie qui se perd et se perpétue à la fois.
« Je sais à quoi ressemble une veine de charbon, j'ai été témoin de son attrait troublant dans les couloirs souterrains », raconte-t-il. « Mais je peux aussi sentir les conséquences de l'exploitation du charbon. Le paysage modifié, les maisons de travers et l'air qui devient visible l'hiver. »
Tisser l’emplacement des déchets radioactifs
Les déchets radioactifs peuvent « vivre » plusieurs centaines de milliers d’années. Comment prévenir les générations futures qu’il ne faudra pas creuser là où ils sont enfouis ? « Actuellement il n’existe pas de solution technique à ce problème, alors en tant qu’artiste, je me suis dit que toute recherche à ce sujet serait la bienvenue », introduit Kaspar Ravel.Artiste numérique en résidence à Sorbonne Université, iel a rencontré des enseignant·es-chercheur·euses et des professionnel·les du secteur pour recueillir leur avis, s’intéressant d’abord à l’encodage via ADN puis au tissage.
Le résultat est une écharpe qui encode les coordonnées géographiques du site d’enfouissement de déchets radioactifs français, le projet Cigéo à Bure. « Elle n’est pas vraiment pratique à porter, reconnaît l’artiste, mais l’objectif était avant tout d’en faire une œuvre d’art, c’est donc plus un exercice de style, qu’une solution directe et prête-à-porter, enfin qui sait, d’autres pourraient s’emparer de l’idée », conclut-iel.
« Le tissage est une technique, mais aussi un langage universel, présent sur tous les continents et qui a traversé le temps. Même l’informatique y trouve ses racines via les premiers langages de programmation utilisés sur les métiers à tisser Jacquard. En collaboration avec la designeuse textile Camille Ferrer, nous avons choisi de tisser avec du cuivre, pour rappeler le complexe électrique. »
L’éolien ? Yes in my forest
L’éolien fournit moins de 4% de l’énergie mondiale (presque à égalité avec le nucléaire), mais alors que la COP28 a acté l'objectif de triplement des capacités de renouvelables à l'horizon 2030, l’installation d’éoliennes partout dans le monde est un enjeu majeur. Or ces projets d’infrastructures ne sont pas toujours appréciés des riverains. Cette opposition est résumée par l’acronyme NIMBY pour « Not In My Backyard » (« Pas Dans Mon Jardin »). Une préoccupation parfois instrumentalisée par des gouvernements souhaitant implanter des champs d’éoliennes dans des zones naturelles précédemment protégées…
On l’aura compris : l’énergie est loin d’être un sujet exclusivement technique, et les débats qui l’entourent n’aident pas à garder la tête froide. « Fin du mois versus fin du monde », lors de l’augmentation des taxes sur l’essence, technosolutionnisme qui veut nous faire croire que les énergies renouvelables nous permettront de continuer à consommer comme si de rien n’était, conflit d’usage autour de diverses infrastructures…
Alors, pour finir cet article (qui aurait aussi pu évoquer le gaz, la biomasse, l’hydroélectricité, le solaire, la géothermie…), un moment de grâce musicale capturé au sommet d’une éolienne en Gaspésie, au cœur du Québec.
Photo de couverture : © Desert X 2019