Dans son dernier ouvrage, le journaliste écolo Fabrice Nicolino décortique les raisons pour lesquelles le changement climatique n’a jamais été pris au sérieux par les instances internationales, et appelle la jeunesse à prendre en main son destin. Poignant.
Le doigt là où ça fait mal
Faut-il lire Le grand sabotage climatique à la veille de la COP28 (30 novembre - 12 décembre) qui doit se tenir à Dubaï aux Émirats Arabes Unis et dont l’organisation revient à un magnat du pétrole ? Le risque est bien sûr de vous énerver durablement. Cependant, si vous avez le cœur suffisamment bien accroché et que vous tenez à comprendre pourquoi ce « rendez-vous diplomatique et mondain des négociations climatiques » promet, comme les éditions précédentes, de déboucher sur du néant, alors ce livre est fait pour vous.
Le journaliste Fabrice Nicolino, vieux routier des questions écologiques, met le doigt là où ça fait mal. Alors que le monde prévoit depuis cinq décennies de réduire ses émissions de gaz à effet pour stabiliser le climat, ces dernières n’ont pas cessé de grimper. Tout aussi inquiétant, alors que les pays auraient dû mettre un terme à l’agriculture intensive et à la bétonisation tous azimuts pour sauver la biodiversité, « la vie disparaît, comme au comme goutte d’eau au soleil. Elle se perd dans l’azur » écrit-il. Déchirant constat donc.
… Et le doigt pointé sur les responsables
Qui sont les coupables ? Les multinationales bien sûr mais aussi l’ONU, mille fois complice. Et le journaliste de Charlie Hebdo de nous dérouler, implacable, la liste des responsables onusiens en charge de l’environnement ayant été, au mieux passifs, au pire des soutiens actifs d’une économie ultra-libéralisée, forcément destructrice. Prenons par exemple le canadien Maurice Strong, qui fut à la fois le patron du Programme des nations unies pour l’environnement (le PNUE, cette institution qui publie régulièrement l’écart entre les réductions de de gaz à effet de serre nécessaires pour respecter l’Accord de Paris et la réalité) et qui a également, pendant trente ans, travaillé pour l’industrie pétrolière. Dans les coulisses de cette ONU moribonde, on retrouve également son collègue suisse Stephan Schmidheiny, criminel de l’amiante et milliardaire, condamné en juillet 2023 à douze ans de prison pour ne pas avoir protégé les salariés italiens de son entreprise Eternit. Les morts se comptent par milliers.
Les deux compères constituent les figures saillantes du livre de Nicolino mais le journaliste n’oublie pas d’épingler aussi la ribambelle de fonctionnaires grassement payés ayant énergiquement participé au statu quo climatique. Ceux-là même qui, après avoir pondu quantité de rapports plein de bons sentiments et de recommandations jamais suivies, ont ensuite travaillé pour des piliers du libéralisme économique comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Organisation européenne de coopération économique (OCDE) ou encore l’entreprise KPMG, aujourd’hui commissaire aux comptes en France de Vinci et TotalEnergies. Ceux-là constituent cette « tribu autoproclamée et interchangeable qui a pris la délicieuse habitude de voyager d’un bout à l’autre de la planète et d’y être reçue avec les honneurs ». Pour quoi y faire ? Participer aux COP bien sûr, ces grands messes n’ayant servi à rien sinon à accoucher d’accords non contraignants.
Les travers de la « novlangue »
Outre l’établissement des liens sulfureux entre l’ONU et les industries les plus polluantes, Nicolino décortique par le menu la « novlangue » responsable du désastre actuel. Car « dans l’affaire du climat, les mots des dominés que nous sommes, nous, écologistes, ont été écrasés, battus en rase campagne par ceux-là mêmes que l’on retrouve à chaque page ou presque de ce livre ». Exemples : le « développement durable », ce mythe né à la fin des années 1980 et que l’auteur décrit comme « un cache-sexe universel pour tous ceux qui souhaitent continuer comme avant » mais aussi la fameuse « transition énergétique », « l’économie verte » ou encore « la neutralité carbone », concepts fumeux repris allègrement par les tenants du grand capitalisme, notamment les majors pétrolières.
Du cauchemar au rêve
Si le livre constitue dans l’ensemble un cri de rage, le fondateur du mouvement « Nous voulons des coquelicots » dessine en creux un monde où l’obsolescence programmée serait définitivement bannie, où chacun pourrait changer le moteur de sa voiture sans avoir besoin d’être polytechnicien, où le climato-scepticisme cesserait de s’étendre sur les réseaux sociaux. Bref, un monde où les écolos du monde entier auraient gagné la partie. Le dernier chapitre du livre, très émouvant, appelle d’ailleurs les jeunes à se réveiller pour entrer en guerre – ce sont ses mots – contre l’extermination du vivant. Difficile de ne pas avoir la gorge nouée en lisant ces dernières lignes. Du haut de ses presque soixante-dix ans, le « vieux combattant » nous insuffle l’envie folle de nous battre jusqu’au bout. Et pour cause : « La cloche sonne d’un bout à l’autre de cette Terre que nous aimons tant, et fou qui ferait semblant de ne pas l’entendre. C’est l’heure, et il n’y en aura jamais une autre. C’est maintenant. Debout ».
Le grand sabotage climatique, Fabrice Nicolino, Les liens qui libèrent, 349 pages, 22,50€