Qu'est-ce-que la culture vélo ?

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màj en mars 2024

Initialement réservée aux fans du Tour de France et quelques hipsters essentiellement masculins, la « culture vélo » gagne du terrain et transforme avec elle les Français, leurs usages et leurs paysages. Tour d’horizon de ce qu’incarne le vélo pour ses adeptes. 

Un jeune homme sort de l’eau, les longs cheveux décolorés goûtant abondamment sur ses épaules musclées. Planche sous le bras et leash encore attaché au pied, il signifie à ses comparses d’un balancement du pouce et du petit doigt avançant sur la plage que la session était bonne, qu’il y avait du swell, qu’il a pris des tubes incroyables. On a tous en tête une idée plus ou moins clichée de ce qu’est la culture surf. Bientôt, nous aurons peut-être autant d’images en tête lorsque nous parlerons de la culture vélo. 

Tout comme la voiture a longtemps symbolisé la liberté, le biclou est pétri de représentations qui parlent de notre époque

Ouvrez les yeux, tendez l’oreille : partout en ville et ailleurs, les pistes cyclables se remplissent, les ateliers de réparation Do It Yourself fleurissent, les récits de vacances vallonnées et courbaturées s’échangent. Largement accéléré par la crise de Covid-19 et le déploiement des vélos électriques, l’attrait des français pour le vélo est en pleine expansion, jusqu’à devenir pour certains un élément central de leur identité. Tout comme la voiture a longtemps symbolisé la liberté, le biclou est pétri de représentations qui parlent de notre époque, et coche de nombreuses cases pour devenir l’égérie du XXIe siècle décroissant. 

Le cœur dans le guidon

Bien souvent, la mise en selle a lieu pour des raisons très utilitaires : en ville, les distances sont parcourues plus rapidement à vélo qu’en voiture, avec l’avantage d’allier mobilité avec pratique sportive. Sans oublier les bénéfices environnementaux apportés par le vélo : amélioration de la qualité de l’air, réduction des nuisances sonores, faible utilisation d’espace… De quoi se faire du bien à soi, aux autres, et à la planète.

« On dit “faire une trace“, pour évoquer un trip vélo. C’est quand tu parles le même langage un peu cryptique que le sentiment de communauté arrive »

Alors, c’est la découverte que l’univers se divise en trois catégories : le monde piéton, le monde automobile, et au milieu, en file indienne sur une fine bandelette de bitume, le monde cycliste. Et que l’aménagement des villes a été essentiellement pensé selon les besoins de la voiture : à Paris, 50 % de l’espace public était dédié aux voitures en 2016, qui n’y représentent pourtant que 10 % des déplacements. Slalomer entre pare-chocs et pots d’échappement peut vite ramener quiconque à sa fragile condition d’humain en équilibre sur une mince ossature métallique, et cela peut se révéler un peu stressant. Dès lors, être cycliste devient une place à prendre dans l’espace public, une posture existentielle à revendiquer, un florilège de stratégies de survie à développer et à transmettre. Bref : rouler un deux roues non-motorisé devient un acte quasi-militant. 

Cyclistes à Amsterdam, dont les habitants sont connus pour leur usage du vélo © Wikimedia Commons

Si cette communauté ambulante devait définir un siège de campagne, elle choisirait très certainement un atelier de réparation DIY : qu’il le veuille ou non, tout·e cycliste doit un jour ou l’autre se métamorphoser en bricoleur·euse, avec l’aide de bénévoles et d’outils mis à disposition. Car une crevaison est si vite arrivée, et qu’il est si agréable de rouler sans freins qui grincent ni roue voilée. Parallèlement à l’autonomie gagnée, c’est tout un monde qui se déploie entre les odeurs de pneus neufs et de cambouis. « Quand j’ai commencé à fréquenter des ateliers de vélo, j’étais paumée, il y avait plein de termes techniques et de chiffres que je ne comprenais pas, raconte Oriane, cycliste aguerrie de 25 ans. Puis à mesure que tu intègres le cercle, tu comprends mieux, et tu rentres dans le délire. Par exemple, on dit “faire une trace“, pour évoquer un trip vélo. C’est quand tu parles le même langage un peu cryptique que le sentiment de communauté arrive »

Rouler contre vent et marées

À partir de là, le basculement peut s’opérer très vite : pour peu qu’on s’attache un peu à sa bécane, cette dernière peut devenir le réceptacle de désirs insoupçonnés, tels que celui de gravir des collines à la seule force de ses mollets. Les chemins de campagne commencent à bien connaître ces nouveaux voyageurs·euses avides de vacances locales et autonomes. Format intermédiaire entre la randonnée et le road-trip automobile, le cyclotourisme permet d’éprouver physiquement les paysages traversés, tout en offrant de visiter une région dans ses recoins les plus reculés. 

Ravitaillement de cyclotouristes au cœur du marché de Souillac, en Dordogne.

Mais si le choix de l’itinéraire est important (en témoigne le florilège de blogs décrivant la qualité de bitume du moindre chemin), le lieu de visite est en réalité quasiment anecdotique. « Le fait de partir à vélo est un voyage en soi, témoigne Antoine, adhérent de l’atelier solidaire bordelais Récup’R. Si tu choisis d’aller en Bourgogne, tu ne pars pas en voyage en Bourgogne : tu fais un voyage à vélo, qui s’avère avoir lieu en Bourgogne ». Le tout à moindre frais, pauvre en émissions carbone et ajustable sur mesure en fonction des envies et capacités de chacun·e.

Être cycliste devient une place à prendre dans l’espace public, une posture existentielle à revendiquer, un florilège de stratégies de survie à développer et à transmettre.

Mais pas sans quelques contraintes logistiques, puisque dès lors que l’on sort des zones urbaines, le vélo va souvent de pair avec son meilleur ennemi : le train. Or l’enthousiasme face à l’intermodalité train-vélo croissante n’est pas égal au sein des différents services ferroviaires français : la plupart des trains Intercités (gérés par l’État) proposent huit emplacements vélos, réservables moyennant 10 euros et dans la limite des places disponibles. En fonction de la saison et des heures de pointes, les cyclistes peuvent connaître de longs moments de solitude sur les quais de gare — de quoi refroidir les travailleurs souhaitant mettre de côté la voiture pour se rendre au travail. Les adeptes du vélo dans le train ne sont pourtant que 3 % en France, contre 30 % aux Pays-Bas. Si le retour des « fourgons bagages » en queue de train est populaire auprès des cyclistes, les néerlandais ont de leur côté relevé le défi de l’intermodalité massive en proposant d’immenses parkings vélo à proximité des gares : les vélo-travailleurs·euses sont ainsi munis d’un vélo pour rejoindre la gare de départ depuis chez eux, et d’un deuxième pour effectuer le trajet entre la gare d’arrivé et leur lieu de travail.

Parking à vélo à proximité de la gare centrale d’Amsterdam © Flickr

Ces solutions ne répondent pas aux enjeux spécifiques au cyclotourisme, que certaines régions prennent plus à cœur que d’autres : connue pour ses voies cyclables reliant domaines et châteaux, les Pays de la Loire proposent par exemple en été des TER disposant d’un wagon entier pouvant accueillir entre 50 et 83 vélos… mais moins de passagers, qui eux aussi se bousculent au portillon des gares. 

Les freins du genre

En plus d’être un moyen de transport particulièrement flexible et écolo, le bicycle peut devenir un outil émancipateur, et ce en particulier pour les femmes, généralement moins encouragées que leurs amis hommes à exercer des activités extérieures. C’est en tout cas ce que raconte Soraya Samet, guide conférencière à vélo pour Paris à Vélo et Feminists in the City dans Les Échappées, un documentaire retraçant le voyage d'un couple de femmes, parti à la rencontre d'autres femmes qui roulent et participent à la démocratisation du vélo au féminin. Dès sa création en 1860 rappelle-t-elle, être une femme cycliste était perçu comme obscène du fait du potentiel plaisir qu’elle pourrait ressentir au contact de son clitoris sur la selle. Aujourd’hui, les inquiétudes se sont déplacées sur d’autres incompatibilités liées au corps : « lorsque je discute avec les gens croisés sur ma route, je m’aperçois qu’ils sont souvent inquiets de ma capacité à remplir mes objectifs, ou bien de ma sécurité sur la route, témoigne Oriane. On me dit souvent que je suis “courageuse“. C’est gentil, mais je fais attention à ce que les gens ne créent pas des peurs chez moi que je ne ressentais pas à l’origine ».

En ville, le vélo peut d’ailleurs être vécu par les minorités comme un moyen de se sécuriser. « Je me sens comme dans un monde parallèle, dans une bulle où je suis moins vulnérable face au reste du monde urbain. C’est presque un bouclier », raconte la jeune femme. Ce sentiment d’empouvoirement n’est pour autant pas partagé par la majorité des femmes, comme en témoigne une étude du CNRS détaillant les freins liés aux inégalités entre cyclistes. Design des vélos, élargissement des pistes cyclables pour inclure les enfants, multiplication des parkings à vélo pour s’adapter aux plus nombreuses étapes effectuées par les femmes dans le cadre des fonctions ménagères et familiales… La route vers l’inclusivité est encore longue et pentue, assurant à la culture vélo de rester majoritairement masculine aussi longtemps qu’elle restera essentiellement conçue par et pour des hommes. 

Mathilde Simon
Mathilde est journaliste spécialisée sur les problématiques environnementales, les sujets artistiques et l'impact du numérique sur la société, le tout sous un angle résolument optimiste.
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