Bon Pote, Camille Étienne, Claire Vallée, Salomé Saqué… 40 figures de l’engagement écologique prennent la parole dans une nouvelle collection d’ouvrages pour raconter leur bifurcation. Ingrid Kandelman, créatrice de la collection, et Anne-Sophie Novel, marraine et coordinatrice, racontent le projet.
Présentés officiellement mardi 15 octobre lors d’une soirée parisienne chez Makesense, les 4 premiers ouvrages de la nouvelle collection Sous le pavé la plage des Éditions La Plage sont disponibles en librairie depuis le 25 septembre. Intitulés « Le monde face à l’urgence écologique », ils sont consacrés pour ce démarrage au monde de la gastronomie, de la mode, du journalisme et de l’influence. À l’occasion du So good MAIF Festival, nous avons pu découvrir les livres en avant-première et discuter avec Ingrid Kandelman, créatrice de cette nouvelle collection engagée, et la journaliste Anne-Sophie Novel, marraine du Carnet sur le monde du journalisme et rédactrice des interviews. L’objectif des Carnets : « montrer comment on peut faire les choses autrement dans un secteur d’activité bien précis. »
C’est quoi le point commun entre l’influenceur Bon Pote, la cheffe Claire Vallée et la créatrice de mode Valentine Gauthier ? Pourquoi leur avoir donné la parole ?
Anne-Sophie Novel : Ça fait un peu kaléidoscope de croiser tous ces regards et surtout ça donne plein de chemins de faire différents. Je trouve ça chouette de dire qu’il n’y a pas qu’une façon de bifurquer. Et c’est parce qu’il y a ces variétés d’approches qu’on peut toucher des publics différents. Pour le journalisme, par exemple, il y a ceux qui sont dans le monde du journalisme indépendant, ceux qui sont dans des médias plus mainstream, ou encore au Monde.
La question qu’on a posé à toutes les personnalités des Carnets, c’est : « Comment tu arrives à faire l’alchimiste pour transformer ta prise de conscience en quelque chose de constructif ? ». C’était important pour nous de les interroger sur leur parcours personnel, cela permet aux lecteurs et lectrices de s’identifier. Leur cheminement personnel peut faire écho chez des personnes qui se poseraient des questions. Ce qui est intéressant, c’est de creuser ce qu’il se passe au moment de cette bifurcation, montrer qu’il n’y a pas que des réactions de dépression ou de down…
« La société neutre en carbone ne m'intéresse pas si on continue à avoir de la violence ou du racisme. »
Bon Pote
Pas de dépression, pas de down, mais peut-être des envies de retour en arrière ?
Ingrid Kandelman : Je n’imagine aucun d’entre eux changer de trajectoire. Après la bascule, il n’y a pas d’alternative ! On voulait d’ailleurs, pendant longtemps, appeler ces Carnets, « Une fois que tu sais » (en référence au film du même nom, d’Emmanuel Cappellin, ndlr). Même si à la fin des entretiens on les interroge sur leur quotidien, comment ils se sentent, ce qu’ils traversent, et qu’il peut y avoir des enjeux économiques ou financiers, des pressions – c’est rarement un long fleuve tranquille –, pour autant pour aucun d'entre eux, jamais, ça ne pourrait être autrement. Ils ne questionnent pas du tout ça, cet engagement les porte individuellement, c'est leur identité, au-delà de faire leur travail autrement.
Avez-vous eu des surprises ?
A-S. N. : Le secteur qui m’a le plus marquée, c’est celui que je connaissais le moins, le secteur des créateur·ices de contenus. J’avais sous-estimé la masse de travail que ça représente et surtout le fait qu’il n’y a pas de modèle économique, et que c’est donc à chaque individualité de choisir son modèle en fonction de ses valeurs. Entre un Mateo Bales, que j’adore parce que je le trouve très subtil, très fin, très drôle, qui dit qu’il refuse tout parce qu’il est très exigeant et qui, du coup, se met en danger, mais est plus à l’aise comme ça, et d’autres qui vont accepter des partenariats avec des marques ou encore un Gaëtan Gabriele qui se fait embaucher par un média (il a rejoint l’équipe de Vert, ndlr)… Tu te rends compte qu’il n’y a pas de modèle, et que du coup ils inventent tous·tes d’une certaine manière leur façon de défendre leurs convictions.
Comment avez-vous choisi les profils ?
I. K. : Dans la diversité qu’on a voulu proposer, il y a une diversité d'engagements ; ils ne sont pas tous au même niveau de prise de conscience. Par exemple, dans le carnet mode, il y a une différence entre un styliste hyper pointu et des marques plus grand public. Et également des façons de faire leur métier différemment, pour avoir une représentation large d’un secteur. Pour les influenceurs écologiques, il y a Bon Pote et Camille Étienne, mais aussi Charlotte Lemay, qui, au démarrage, est mannequin et influenceuse, vraiment au premier sens du terme. L’objectif, c’est aussi de se dire que dans ces métiers-là, ils ne font pas tous cette bascule exactement du même endroit. Dans le carnet sur les chef·fes, il y a des chefs étoilés, trois étoiles, et il y a aussi Pierre-André Aubert, qui a construit une cuisine solaire et qui a son restaurant à Marseille, Le Présage, qui fonctionne à l’énergie solaire, ou encore Gilles Pérole, qui a accompagné toute la cantine bio de Mouans-Sartoux.
A-S. N. : Tu as les vieux de la vieille qui ont une approche que les nouveaux trouvent un peu « à l’ancienne » et les plus jeunes qui veulent un peu déboulonner celles et ceux qu’on voit toujours. C’est passionnant et ça montre comment ça vit et comment ça évolue. Ces nuances d'engagement sont toutes utiles, croire qu’il n’y aurait qu’une seule voie me dérange énormément. Ça n'est pas apaiser le monde que de croire ça ! Dans les journalistes, chez Blast on aurait pu prendre Paloma Moritz, mais j’ai préféré choisir Salomé Saqué, parce qu’elle traite de l’économie et qu’elle en parle beaucoup. C’était un crève-cœur de ne pas pouvoir prendre tout le monde, 10 personnes c’est peu.
« Le changement climatique engendre une immense inégalité intergénérationnelle. »
Salomé Saqué
I. K. : Il fallait aussi des gens qui soient des modèles aujourd'hui et qui ont complètement changé leur manière de travailler pour qu’ils réussissent à inspirer. On ne voulait pas qu’il puisse y avoir l’écueil de se dire : « oui, ok il est sympathique, il fait son petit truc dans son coin, c’est mignon… » On voulait des gens qui démontrent qu’on peut être très talentueux et très exigeant dans son métier et tout à fait avoir pris cette bascule là. On voulait aussi mettre en valeur des personnalités moins connues, qui méritent néanmoins de l’être. On souhaitait également une parité de genre.
Est-ce que vous avez travaillé avec des spécialistes de chaque domaine pour orchestrer les différents carnets ?
I. K. : Il y a toujours un parrain ou une marraine par carnet, qui sont les garants des personnalités qu’on interviewe.
A-S. N. : Je me suis auto-désignée marraine sur le carnet journalisme ! (Rires) Chaque carnet contient aussi une charte, avec les principes qui renouvellent la manière d’exercer. Pour les prochains carnets qu’on pourrait sortir, par exemple si on en fait un sur les architectes, on pourrait aussi faire un appel aux lecteurs pour savoir quels architectes ils veulent entendre, ça peut avoir de la force !
Vous parlez de l'architecture, y-a-t-il déjà d’autres secteurs dans les bacs ?
I. K. : Il y a de quoi faire car on peut vraiment s’intéresser à tous les secteurs de l’économie. Bien sûr, on a aussi pensé à l’art, en se demandant comment diviser entre la musique, le cinéma, l’art contemporain… J'aimerais bien faire la finance, le numérique.
A-S. N. : La médecine ! Dans le monde du soin, je connais des gens qui font des choses très belles à l'hôpital. Les scientifiques aussi.
I. K. : Il y a partout des gens qui agissent !
Cette série de carnets est le premier projet de « Sous le pavé la plage », qui dépend des Éditions La Plage, pouvez-vous nous raconter un peu la filiation entre ces deux projets ?
I. K. : L’idée derrière le lancement de cette nouvelle collection Sous le pavé la plage, c’est d’avoir une deuxième jambe qui permette une approche plus collective et sociétale des questions écologiques. La Plage est une maison d’édition qui existe depuis une trentaine d’années, fondée par un couple de Sète, et dont la ligne éditoriale a suivi leur chemin de vie. Elle, elle était vegan et elle a commencé à publier des livres de cuisine végan dans les années 90, ce qui est un peu fou. Après ils ont eu des enfants, donc ils ont fait des livres sur la parentalité, l’upcycling… Des livres un peu plus engagés sur des modes de vie alternatifs. Quand ils sont partis à la retraite en 2018, ils ont vendu à Hachette. Aujourd’hui, c’est Céline Le Lamer qui en est la directrice éditoriale.
Le but c’est de continuer à faire de la vulgarisation sur les questions écologiques en partant du postulat qu’on en entend beaucoup parler, mais qu’en fait, concrètement, on n'est toujours pas très formés. Il existe toujours un vrai enjeu de vulgarisation. On a réfléchi à une manière de toucher les gens avec ces sujets-là, dans un format qui leur parle et avec du fond, en abordant des enjeux structurels. Ça c’est la première dimension de la ligne éditoriale, la seconde, c'est de publier des formats hybrides qui rendent les ouvrages grand public.
Ingrid, comment vous êtes-vous retrouvée à la direction de cette collection ?
I. K. : C’est vrai que je ne viens pas du monde de l’édition, mais du monde du conseil. Je bosse pour la Convention des Entreprise pour le Climat. En fait, les carnets sont nés de cette expérience… En réalisant que pour certaines personnes, il y a vraiment un avant et un après Convention des Entreprises pour le Climat, et qu’une fois qu’ils savent, ils n’arrivent plus à faire leur métier comme ils le faisaient jusque-là. J’avais envie de raconter ces récits, ce truc qui fait qu’on change et qu’on s’engage.
Raconter aussi, concrètement, dans un secteur d’activité, comment on peut faire les choses autrement, en se disant que la transition va se faire par un changement de nos modes de production. Montrer qu’il y a déjà aujourd’hui des gens très talentueux qui changent les choses dans leur secteur et font autrement à leur échelle. Ce sont des explorations individuelles, mais quand on commence à les mettre ensemble ça finit par raconter, dans un secteur d'activité, quels fils il faut tirer pour modifier profondément ce secteur. D’un truc très léger qui raconte le parcours d’un individu inspiré, on finit donc également par toucher du doigt un sujet plus structurel et des enjeux plus économiques. Ça illustre le fait que si on suit l’élan donné par ces gens-là, on peut transformer l’économie globale.
Et au-delà des carnets, qu’est-ce qu’on peut s'attendre à voir ensuite dans la collection « Sous le pavé la plage » ?
I. K. : Dans les ouvrages en cours, il y a une BD sur les boues rouges. Cette histoire d’une usine à Gardanne, qui a déversé des déchets dans les Calanques pendant 50 ans, avec moult rebondissements et autorisations d’État redonnées au dernier moment et des joutes entre plusieurs ministres. Au début, le commandant Cousteau a même affirmé que ça n’était pas grave du tout de mettre ces déchets toxiques au fin fond des Calanques, parce qu'ils allaient rester au fond bien tranquillement… C'est une histoire un peu dingue, qui rappelle les algues vertes et plein d'autres scandales industriels. Pierre Isnard-Dupuy, le journaliste de Marsactu qui a couvert ici ce sujet-là ces dernières années, va réaliser cette BD avec l’illustrateur @mdeuxpoints.
La BD, c’est aussi un format très accessible, on se rappelle le succès d'Algues Vertes, l'histoire interdite (100 000 exemplaires écoulés en moins de deux ans, ndlr) ?
I. K. : C’est ça ! J’habite ici, Gardanne c’est juste à côté, et quand j’ai voulu m’intéresser au sujet, j’ai lu des articles mais c’était trop compliqué pour que j’arrive à véritablement entrer dedans. Je me suis alors dit que si moi j’avais cette envie de comprendre ça et que je n’y arrivais pas avec les articles de presse, il y avait un vrai besoin de raconter cette histoire de façon accessible, pour le plus grand nombre. En plus, les boues rouges sont très visuelles. Il y a les Calanques, le bleu de la mer et ces boues qui sont effectivement rouges, c’est un truc qui marque.
Dans les autres projets, il y a aussi un ouvrage autour des grands penseurs et penseuses de l’écologie que personne ne connaît parce qu’on ne les a jamais appris et qu’ils ne font pas partie de la culture générale. Ce serait plutôt un format ambiance Les Culottées mais version penseurs et penseuses de l’écologie. Et d’ailleurs peut-être que penseuses, c’est encore en réflexion.
« Être écolo, après tout, c'est arrêter de détruire et s'assurer qu’on aura encore des conditions de vie supportables demain : ce serait chiant de mourir pour ne pas l’avoir compris, non ? »
Mateo Bales
Les quatre premiers Carnets sont disponibles aux Éditions La Plage, chaque exemplaire coûte 6,95€ et fait 64 pages. Pour les trouver en librairies indépendantes, c'est par ici. Les différentes citations de personnalités qui ponctuent cet article sont extraites des Carnets.