Terminal (L’État du monde) : la pièce qui avait anticipé l'inondation de Valence

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màj en novembre 2024

L’actualité se fait parfois le reflet troublant d'œuvres contemporaines. Voici l’histoire d’une pièce créée en 2023 entre le Portugal et la France, autour de la crise climatique. Actuellement en tournée, Terminal (L’État du monde) trouve un écho saisissant dans les inondations dévastatrices d’octobre dernier à Valence. Dans une mise en scène magnétique, ce spectacle explore un pouvoir sous-estimé face à l’urgence : celui de l’imagination, vecteur d’espoir et d’action. Chronique nourrie des réflexions d’Inês Barahona, autrice de l’œuvre, avant son passage à Lyon du 20 au 23 novembre.

Miguel Fragata, metteur en scène et acteur avec la comédienne Carla Galvão © Estelle Valente

Du symbolique pour éviter « l’allergie » à la crise climatique

Le 30 octobre 2024, Inês Barahona découvre les images cataclysmiques des inondations à Valence. Comme toute l’Europe, elle est bouleversée ; à une différence près. Un an auparavant, Inês a imaginé avec son compagnon, le metteur en scène Miguel Fragata, une pièce où chaque détail semble décrire ces évènements. « Tout a commencé à Éra », dit le texte, « À Éra, il y avait un fleuve. Un fleuve obstiné, qui s’étendait sur les terres que les humains chérissaient le plus. L’hiver, le fleuve sortait de son lit et s’annonçait aux portes des habitants d’Éra. Ainsi commença une ère de conflits. [Un jour], le fleuve, qui jusque-là semblait se soumettre à l’ingéniosité humaine, décida alors de rompre les digues ». Dans un espace-temps allégorique, quatre personnages doivent fuir le déluge. Il y a celui qui profite du malheur, le politique qui n’a pas agi, la citoyenne ordinaire et la promotrice de la paix. Ils se croisent, s’affrontent et cherchent un futur. Mais pour aller où ? Les résonances avec la situation en Espagne sont telles qu’elles ont inspiré une chronique dans un journal local listant les parallèles : démantèlement des unités de secours locales dans la région sinistrée, entreprises forçant leurs salariés à venir travailler ou bien encore, alerte trop tardive de la population…

Inês Barahona © Estelle Valente

En visio, lors de notre entretien, Inês répond depuis Lisbonne. Miguel, son conjoint metteur en scène de la pièce « est en montage à 250 kilomètres, dans le village de Tondela, pour préparer la prochaine représentation ». Elle s’excuse de son absence. Inês parle un français parfait qu’elle a appris à l’école et à force de tourner en France. L’autrice de 47 ans se dit d’autant plus « troublée par les ressemblances avec cette catastrophe » qu’au moment de l'écriture avec sa troupe, ils ont pourtant cherché à s'éloigner du réel. Inês raconte d’ailleurs avoir construit intentionnellement des personnages « types » - comme elle les appelle - « non fictionnés, sans vie intérieure ». Elle précise, « nous voulions traiter de la crise climatique. Notre façon d’aborder la thématique a été d’investir le champ du symbolique, du métaphorique. Cela nous permet de nous approcher du sujet, de nous voir les uns les autres, sans créer toutefois un combat immédiat. Parler des changements climatiques crée parfois une allergie instantanée. Les gens ne veulent pas en discuter ». Alors pour faire tomber ces barrières, Inês et Miguel ont une idée.

Un théâtre de terrain pour prendre la température du monde

Pendant une année, la compagnie Formiga Atómica, que le couple a lancée en 2014, se rend sur le terrain. L’objectif ? Voir de quel bois se chauffe le citoyen face au climat. Ils décrochent des subventions publiques et mettent en place différentes activités en France et au Portugal. Mais au lieu de demander aux gens leur point de vue sur les crises, ils recueillent plutôt leurs souvenirs d’un lieu qu’ils ont aimé, l’évolution des paysages, de la nature environnante et « ça change la donne». Inês et Miguel invitent ainsi des dizaines de personnes dans un documentaire intitulé Retour vers le futur. Ils inventent également une série de petites pièces de dix minutes, Théâtre hors format, « une sorte de happening » où quatre acteur·ices se dispersent et envahissent chacun·e un lieu. « Le personnel était au courant mais on donnait peu de détails. On est allés dans des mairies, des salons de coiffure, des magasins. Un jour, un monsieur a failli appeler la police ». Ils investissent aussi des radios locales pour inviter des habitant·es à échanger malgré leurs éventuelles divergences, embarquant par exemple « des gérants de fermes biologiques avec des exploitations intensives ou des figures politiques locales de bords opposés ».

L’acteur portugais Vasco Barroso, également sur scène dans Terminal (L’État du monde), au cours d’une représentation flash de Théâtre hors format © Formiga Atómica

Une des expériences les plus marquantes pour Inês fut le projet Improbables, Dos à Dos. Cette fois, l’équipe décide de réunir des personnes aux opinions et vies contrastées mais face caméra. Assis à quelques centimètres l’un de l’autre, sans s’être vus auparavant, un duo dialogue à travers un panneau mur. « Sur environ 90 rencontres, une seule n’a pas donné lieu à une volonté de découvrir l’autre. Cette réaction finale nous intéressait beaucoup ». Pour les aider, ils font appel aux théâtres dont ils sont partenaires. « Les services de médiation s’assuraient de trouver deux personnes pouvant se rendre dans le lieu de tournage, au même horaire. Cette difficulté nous a beaucoup donné à penser. Et si l’on ne se croisait plus dans les villes, ne se parlait plus, en partie à cause de ces horaires ? Et comment rencontrer celleux qui pensent différemment ? » En octobre 2023, Formiga Atómica emporte en résidence toute cette matière de recherche. Un « cadrage vers la question climatique », estime Inês, et surtout beaucoup de questions.

« On vit dans un monde où l’imagination est très peu valorisée » 

« Quand on présentait ce projet, tout le temps, partout, des gens demandaient : "Et maintenant quelle est la réponse du Théâtre ? Va-t-il nous sauver ? Nous dire comment sortir d’ici ?" », se remémore Inês. « Or ce n’est pas au Théâtre de le dire. Il n’apporte pas de solutions, il ne peut rien pour les crises. Ce qu’il peut en revanche, c’est permettre aux gens de se croiser dans les gradins, puis ils sortent et peuvent agir ensemble. Le théâtre a ce rôle politique au sens de la pólis grecque : mettre des gens ensemble, leur donner des mots, des images, du vocabulaire, la possibilité d’échanger ». Et quoi de mieux que le rêve pour y parvenir ? Sa compagnie en a fait son cheval de bataille. « On est dans un moment où l’imagination est très peu valorisée. Je crois que l’on a perdu de vue son pouvoir car on ne croit plus en sa puissance. Les utopies sont pourtant disponibles, on peut tout rêver ! ». Sur scène, cette idée se traduit dès l’ouverture du spectacle où la merveilleuse musicienne Manuela Azevedo souffle au public, « tant qu’il y aura une histoire à raconter, nous parviendrons peut-être, comme Shéhérazade, à repousser la fin du monde ». 

La chanteuse et pianiste Manuela Azevedo © Estelle Valente

Nous avons vu la pièce au Festival d’Avignon en juillet dernier. La France attendait alors son premier ministre sous le « Castex show », on avait vaguement cru à un cessez-le-feu à Gaza, les rumeurs de Kamala Harris candidate enflaient, mais l’espace d’une heure trente, on a plongé dans un espace-temps parallèle. On a tout aimé. Les jeux d’ombres et de lumières sur les fabuleux·ses acteur·ices ; la texture du décor entre le sol couvert de racines et les costumes aussi épais que délicats ; la musique ; le langage proche des mythes et le multilinguisme. La pièce était jouée en portugais avec un surtitrage franco-anglais. Ne soyez pas effrayé·es, le dispositif ajoutait à la poésie et à la beauté onirique de l’ensemble. Cet esthétisme était-il recherché ? Derrière l’écran, Inês réfléchit puis répond : « En écrivant on a beaucoup évoqué les dangers de l’esthétisation du mal. Plus que la beauté, je dirais que notre point de départ était la bonté. On préfère explorer la dimension éthique de l’imagination que l’esthétique. Si la beauté surgit, c’est presque inconscient ». De quoi relooker le slogan de Mai 68… Adieu l’imagination au pouvoir, place au pouvoir de l’imagination !

© Estelle Valente

Infos pratiques : 

  • Représentations de Terminal (L'État du monde) à Lyon au Théâtre du Point du jour du 20 au 23 novembre 2024 : billets (autres dates françaises en discussion)
  • En tournée au Portugal en 2025 : Teatro Municipal da Covilhã le 15 février, Teatro Municipal de Bragança les 1er et 8 mars, Cinema Teatro Joaquim d'Almeida (Montijo) le 14 mars, Centro Cultural de Lagos le 22 mars
  • Pour suivre le travail de la compagnie Formiga Atómica : Insta / Facebook / Youtube

Photo de couverture © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Alexia Luquet
Journaliste et réalisatrice vidéo, Alexia couvre des sujets au croisement de la culture, du sociétal et de la planète.
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