Incollable ou presque sur l'écologie, l'humoriste s'est penché très tôt sur cette thématique lors de ses spectacles. Ce qui l'a conduit à adapter les techniques traditionnelles de l'humour et à avoir envie de mettre les mains dans la terre.
Il est intarissable sur l'écologie. Pourtant, ça peut sembler plombant dans son domaine : l'humour. Mais Nicolas Meyrieux, 37 ans, n'est pas un humoriste comme les autres. Visionnaire, il travaille et triture la thématique écologique depuis plus de 10 ans, bien avant que le sujet devienne un peu plus mainstream et que Marina Rollman ou Thomas VDB s'y mettent.
La thématique le traverse aussi personnellement. Au point d'accumuler des « ceintures d'écolo », comme il les décrit, jusqu'à déménager de Paris dans les Landes, pour suivre une formation de responsable agricole et monter un projet de « forêt comestible ». Il vient de terminer une campagne de financement participatif pour l'aider à rendre concrète cette idée. Cet été, il a aussi monté de toute pièce un « Farm Tour », une tournée de son dernier spectacle jouée uniquement dans des fermes et dans des éco-lieux situés un peu partout et rejoins à bord d'un vieux bus. Une occasion pour celui qui s'est aussi fait connaître comme vidéaste de réaliser des vidéos sur les différents modèles des fermes visitées. Et aussi de se prêter au jeu du premier rôle dans le documentaire « En attendant que le monde s'effondre », qui retrace l'aventure.
Hyperactif autant qu'hyper impliqué, il nous explique sa vision de l'humour et de l'engagement.
Cela fait longtemps que tu as commencé à essayer de faire rire avec l'écologie : à quel moment tu t'es dit que le rire pouvait fonctionner sur cette thématique ?
Nicolas Meyrieux : J'ai d'abord voulu être comédien et je me suis mis au stand-up. Je faisais rire les gens et j’essayais d'en faire mon métier. Puis en 2011, j'ai vu le film Océans (le documentaire de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud ndlr) et, à partir de ce moment là, j'ai compris que l'être humain était en train de creuser sa propre tombe. Je ne comprenais pas pourquoi personne n'en parlait. Je me suis dis que j'avais la chance d'avoir un métier de parole. Dans le stand-up, on part souvent de soi. Je ne dirais pas que l'écologie me définit, mais elle définit quand même pas mal mes angoisses. Donc c'est comme ça que j'en suis venu à aborder ce sujet.
Qu'est-ce qui t'a marqué en particulier dans ce film pour qu'il devienne ton point de bascule vers l'écologie ?
N. M. : À la fin du film, il y avait une phrase qui disait « aucun animal n'a été maltraité durant le tournage ». Alors que pendant une heure, il montre des poissons et des requins se faire éventrer, déchiqueter, trucider. C'était incohérent. J'ai d'ailleurs évoqué ce paradoxe dès mon premier spectacle. J'ai compris avec ce film qu'on courrait à notre perte, car nous aussi, nous faisons partie de cette biodiversité en souffrance montrée à l'écran.
À partir de ce constat dramatique, comment as-tu trouvé une recette pour faire rire ?
N. M. : Je me suis dit que j'allais faire en sorte que ça marche. C'était difficile au début. Quand on parle de cul, la recette fonctionne facilement, ce que je faisais beaucoup dans mes premiers spectacles de stand-up. Alors que lorsque tu évoques l’écologie, la politique ou un autre sujet avec du fond, le cerveau est à l'écoute, sur ses gardes. C'est très difficile de le faire tomber et de faire rire.
Parce que le rire, c'est une prise de judo à notre cerveau. Dès qu'il y un truc qui dysfonctionne dans ce que tu viens d’entendre ou de voir, c'est un réflexe, tu rigoles. Il faut donc trouver le moyen de faire cette prise de judo sur une thématique sérieuse. Je compare ça à un art martial, car il faut s'entraîner plus que les autres pour arriver le jour du combat à être marrant. Pour écrire des spectacles sur l'écologie, il faut être dix fois plus drôle.
Cela demande d'adapter toutes les techniques qu'on connaît. Il faut accepter par exemple de ne pas faire rire toutes les dix secondes, comme c'est la mode dans le stand-up. On a calqué la société de consommation sur le secteur humoristique... J'ai réussi à me détacher de ça en découvrant l'humoriste américain George Carlin, dont le public n'est pas hilare en continu, mais qui a une super belle carrière.
Tu déclares sur scène dans ton documentaire que tu es « toujours aussi halluciné de voir le nombre de gens qui ont envie de [t]'écouter parler de la fin du monde ». Le public est plus en phase maintenant ?
N. M. : Quand je faisais des plateaux d'humour dans les comedy clubs, j'étais souvent le mec le moins drôle de la soirée. Par contre, les gens me disaient à la sortie que j'étais la seule personne dont ils avaient retenu ce que j'avais dit, que ça les avait fait réfléchir. Maintenant, l'écologie est un sujet plus mainstream. Je commence à être en rythme avec le public. Si ça marche, c'est parce qu'il y a plus de monde apte à rire de ces sujets-là. Il y a ceux qui découvrent encore, puis ceux qui comme moi sont des solastalgiques et en ont marre d'être déprimés. Un soir, un scientifique du GIEC est d'ailleurs venu me voir et m'a dit : « Merci d'avoir écrit tout ça, c'est la première fois que je rigole en entendant des chiffres sur le climat ».
Sur ta chaîne YouTube, tu écris que tu veux « changer [ton] monde ». L'humour t'aide à provoquer du changement, à faire en quelque sorte du militantisme ?
N. M. : Effectivement, ce n'est plus seulement du divertissement. C'est du militantisme, ou du moins ma manière d'en faire. Parce que je n'ai jamais été à l'aise en manif'. Moi je suis un bon communicant, c'est ma place de militant. Mais quand j'étais plus jeune, j'étais un peu idéaliste et je pensais qu'on pouvait changer le monde. Plus tard, j'ai compris qu'il fallait changer son monde à soi. J'aime beaucoup citer le film de Coline Serreau Solutions locales pour un désordre global. C'est la seule chose qu'on puisse faire, trouver des solutions localement pour gérer le problème globalement. Sinon on n'y arrive pas, on est trop petits face à l'immensité du problème.
L'humour n'est plus ton seul moyen d'agir en lien avec l'écologie. Aujourd'hui, tu t'apprêtes à ouvrir ta ferme « comestible ». Pourquoi as-tu ressenti le besoin de passer de l'autre côté ? De mettre toi-même les mains dans la terre ?
N. M. : Pendant six ans, j'ai fait des vidéos pour la série La Barbe, diffusée sur France Info. À force, j'ai eu l'impression d'avoir fait le tour des sujets. Je ne voyais plus ce que je pouvais encore traiter, à part l'actualité de la prochaine COP à Dubaï... Et encore, pour moi, c'est la même chose que les précédentes, ce sont les mêmes personnes qui n'y comprennent rien et ne veulent rien faire avancer...
Surtout, chaque semaine, je me renseignais sur un sujet et à la fin, je me demandais comment, en tant qu'individu, on pouvait contribuer le moins possible au problème. Une fois tous les petits gestes accomplis – avoir un fournisseur d'électricité verte, être devenu végétarien, avoir vendu sa voiture pour la remplacer par un vélo – je me demandais ce que je pouvais faire de plus. Et au final, j'ai compris que l'agriculture était la base de tout.
À force de faire ce métier, je me suis rendu compte que parler d'écologie c'est bien, en faire c'est mieux.
Est-ce que tu vas te détourner de l'humour pour te consacrer uniquement à l'agriculture ?
N. M. : Non, ce n'est pas le plan. Pour une raison pragmatique : j'ai galéré pendant des années à vivre de mon métier et le métier de paysan, c'est recommencer les mêmes galères. Tu ne gagnes pas ta vie les deux premières années et la troisième, si tu gagnes l'équivalent d'un Smic, tu es heureux. Je n'ai pas fait autant de sacrifices pour lâcher une branche sans avoir saisi l'autre. Je serai moins souvent sur scène, mais je vais continuer. Puis j'aime ce métier plus que tout, c'est mon plaisir. Ce serait dommage d'enlever un truc qui me rend heureux dans la vie.
Crédits image de couverture : Nicolas Meyrieux