Mathieu Boncour, directeur communication et RSE du Palais de Tokyo : des étoiles à la permaculture

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màj en avril 2025
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Vous ne le connaissez peut-être pas, mais vous avez sûrement entendu parler de son lieu de travail. La vie de Mathieu Boncour, 42 ans, directeur communication et RSE du Palais de Tokyo a pris des tournants inattendus depuis le jour où il a enterré ses rêves d'astronautes. Sciences Po, Anne Hidalgo, centres commerciaux ; dans son parcours, beaucoup de rimes en "eau", qu’il rationne depuis une enfance dans des pays où la sécheresse était la norme. Comment passe-t-on des espaces cosmiques à ceux des villes pour atterrir à la Culture ? Comment sa conscience écolo a-t-elle rejoint sa vie pro ? Le voyage le plus court est rarement le bon pour Mathieu qui préfère le temps long et les rencontres. Récit.

Affiches Femme Vie Liberté en soutien au Peuple Iranien à l’entrée du Palais de Tokyo © Alexia Luquet

« L’écologie sans lutte des classes, c'est du jardinage »

Le jour de notre rendez-vous, je fais un test. Enregistrer l’entretien comme un podcast en déambulant dans les 22 000 mètres carrés du Palais de Tokyo, plus grand centre culturel d’Europe. Mathieu se prête au jeu. Ça tombe bien, il « adore innover ». On démarre l’entretien dans l’impressionnante entrée, du béton partout, une hauteur sous plafond cathédrale, du monde, des tables et beaucoup de souvenirs. Mathieu a fréquenté les lieux dès leur ouverture. Nous sommes en 2002, les architectes stars Lacaton & Vassal viennent de réaménager le bâtiment et jamais Mathieu ne pourrait s’imaginer un avenir ici. À l’époque, il se remet tout juste d’un rêve brisé. « Une première reconversion compliquée. Je voulais être astronaute, faire une prépa scientifique et je deviens myope ». La tuile. Il bifurque en catastrophe vers un autre type d’espace, la géopolitique, en commençant par une hypokhâgne avant de réussir le concours de Sciences Po Paris. « Je venais pour voir des expos, on pouvait aussi étudier, se retrouver entre amis. On restait jusqu’à minuit ». Le centre culturel ferme aujourd’hui deux heures plus tôt, du "moins" qui raconte l’ADN de ce centre culturel - et de Mathieu -, mais il nous l’expliquera plus tard. 

Dans le hall d'accueil, le quarantenaire nous montre avec entrain tables et chaises, « où chacun peut venir s’asseoir, on ne demande rien », des meubles venant du « réemploi de la scénographie d'une exposition de Jonathan Jones dans le cycle Réclamer la terre ». Un détail ? Il pointe un grand mur de signalétique qui présente la programmation : « On aurait pu le faire en vinyle comme tous les musées. Le vinyle, c'est du pétrole. On a préféré coller des bandes de papier au mur, sur lesquelles on imprime en noir et blanc parce que l'impression couleur a un énorme impact écologique ». Mathieu déclare aimer le côté « friche en plein cœur du 16ème », un arrondissement parisien plus connu pour ses immeubles Haussmanniens que son passé industriel. On se rapproche des marches menant à l’extérieur : « Regarde, en arrivant, tu vois tout de suite une collection d'affiches faites en Iran, appelée Femmes, Vies, Libertés. La question des droits des femmes est fondamentale dans l'approche écologique des transitions ». Il souligne le pluriel. « On sait que l'écologie sans lutte des classes, c'est du jardinage ». Si en 2025, ces préoccupations jalonnent son quotidien professionnel, deux décennies plus tôt, on en est loin.

Hall du Palais de Tokyo © Alexia Luquet

Eau dans la baignoire, trou dans la couche d’ozone 

« En 2001, quand j’entre à Sciences Po, on parlait beaucoup du trou dans la couche d’ozone. C’est aussi le moment Al Gore, Jacques Chirac et son fameux "La maison brûle" [Sommet de Johannesburg pour la terre, 2002, NDLR] mais sans plus. Il faut bien se rendre compte qu’on est post 11 septembre. L’heure est d’abord à la recomposition géopolitique intense. Les préoccupations environnementales, dans mes études ou avec mes amis, étaient un non sujet ». Il qualifie son lien à la question « d’écologie de l’intime », née dans l’enfance. Ses parents sont profs de lettres et décrochent des postes dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, le Sénégal, le Cameroun, la Côte d’Ivoire. « Les contes qui m’ont bercé avaient un rapport au vivant différent, donc dès le départ, les récits s’ancrent autrement. Et puis il y avait du concret. Je me souviens de beaucoup de zones naturelles à l'intérieur même des villes, les insectes, les reptiles, les oiseaux, une biodiversité très riche. À la maison, mes parents me demandaient de remplir la baignoire d’eau pour tenir plusieurs jours parce que les coupures étaient régulières. En grandissant, je n’ai jamais eu à changer mes comportements. J’utilise peu d’eau, je ne me lave pas quotidiennement, un gant suffit. Laisser couler le robinet pour rien est même une source d’angoisse. Ce que je raconte est très personnel mais c’est important ».

Après un Master affaires publiques qui le prédestine à la fonction publique, Mathieu part du côté des collectivités locales alors qu’il se passionne pour la diplomatie. « Le local n’était pas du tout valorisé, c’était vu comme la voie pour les nuls. Je m’y suis retrouvé un peu par hasard ». Mais avant ça, il s’essaie aux petites mains des ministères. Son premier job est chargé de mission pendant la présidence française de l’UE au cabinet du secrétaire d’État aux affaires européennes : « Je me retrouve à faire des éléments de langage, des fiches et j’adore ça. J'ai beaucoup aimé l'adrénaline du cabinet ». La présidence française touche à sa fin, il faut trouver du travail. « Un de mes anciens professeurs de finances publiques, Olivier Ferrand, le fondateur de Terra Nova, un think tank de gauche assez influent à l'époque, me dit : "Manuel Valls cherche quelqu'un". En 2009, il n’était pas encore devenu un mème sur Internet, il était député-maire d’Évry. Je ne viens pas d’une famille aisée, j'avais besoin de travailler et j’estimais beaucoup l’enseignant qui m'a recommandé ». Mathieu accepte. 

Manuel Valls n’était pas encore un mème 

Le jeune diplômé se retrouve dans une ville de banlieue « avec des enjeux sociaux très forts », plus de 50 000 habitants, une population jeune dont 50 % est au chômage. Lui s’occupe des questions emploi, insertion et équipements de quartier, « pas du tout dans la diplomatie »,  son objectif, mais très rapidement le job lui plaît. « Je trouve géniale la capacité d'expérimentation et ensuite de généralisation dans les collectivités locales, beaucoup plus qu’au niveau de l'État. Tu veux tester un modèle de poubelle ? Tu le déploies dans une rue, tu vois si ça marche et si oui tu élargis à toute la ville. C'est bête mais l'impact est rapide et très fort ». Encore du social en passant par le Conseil général de l’Essonne, puis Comm et politique pour lancer une campagne sénatoriale, puis enfin le premier shoot Culture dans sa vie professionnelle. En 2011, époque Bertrand Delanoë, Mathieu entre à la Mairie de Paris : « Je gérais les bibliothèques, les conservatoires et toutes les politiques transversales, les actions autour du handicap, des seniors, de la jeunesse. Donc à nouveau pas trop d’écologie mais beaucoup de social ». Avance rapide, Mathieu devient chef de cabinet en charge des relations internationales et l’écologie arrive sur son CV. 

Le sommet des maires pour le climat à Paris, 2015 © Mathieu Boncour

On est en 2015, année de la COP21. Anne Hidalgo, élue aux dernières municipales, est sa nouvelle boss et se montre « très active sur la scène internationale ». Un événement va durablement marquer Mathieu, Le sommet des mille maires, qu’il coorganise. Mathieu a d’ailleurs toujours sa baseline en tête : « Les villes concentrent les émissions mais elles concentrent aussi les solutions. Les engagements des États, c’est bien mais les engagements locaux, c’est mieux ». À cette période, il milite au PS et profite de formations sur ces enjeux. On s’étonne. Et pourquoi pas les Verts ?  « Parce qu’ils ont, selon moi, et cela n’engage pas les institutions pour lesquelles j’ai travaillé et je travaille, une approche insuffisamment centrée sur les aspects sociaux de la transition ». Pourquoi pas LFI alors ? « Pas assez orientés climat. Je ne suis plus adhérent du PS mais ce sont mes valeurs, je me retrouve dans leur synthèse des enjeux environnementaux et sociaux ». Pas de débat sur l’orientation politique ici, on préfère explorer les shifts. Le prochain, comme souvent chez Mathieu, démarre par une rencontre. 

Quand on arrive en ville jusqu’au RSE

Un grand patron le remarque. Son nom est Philippe Journo, il a fondé une entreprise devenue leader dans un domaine a priori pas très sexy et peu écolo : l’immobilier commercial de périphérie, synonyme de bâtiments moches à l’entrée des villes. La compagnie de Phalsbourg, ainsi s’appelle-t-elle, veut l’embaucher. Mathieu reconnaît « ne pas faire partie de la génération qui se rebelle », celle prononçant le vœu lors de sa diplomation de « ne jamais travailler pour tel secteur polluant ». Il voit plutôt dans cette offre le champ des possibles, « je mets de côté toute idéologie et je vois des enjeux d'aménagement du territoire énormes : les infrastructures routières, les transports, les fameux ronds-points, la consommation, l'emploi, l'insertion, l'artificialisation des sols, la biodiversité et-cetera. Le parcours de Philippe m’intrigue aussi, le mec fait des grands projets urbains où il mixe logements, bureaux et commerces ; il a gagné Réinventer Paris qui était l’un des grands concours d'urbanisme pro innovation, notamment écologique ; et en même temps, son cœur de métier reste les centres commerciaux ». 

CDI en poche, Mathieu devient directeur des affaires publiques et du mécénat. Encore une fois, il s’épanouit : « Je faisais presque plus de politique que lorsque je travaillais pour des politiques. J’organisais par exemple des jobs dating avant l’ouverture au public. Un jour, l'événement a eu lieu dans une zone en totale déliquescence économique. En vingt-quatre heures, mille personnes sont reparties avec un emploi. Quand tu rentres le soir chez toi, tu as l’impression d’avoir été utile ! ». Avec le recul, il prône une plus grande radicalité : « raser ces zones, les laisser en friche, ré-ensauvager, désartificialiser, pas d’architecture béton », mais le problème, concède t-il, est que ces sites existent, alors « autant faire du mieux avec ». Sa casquette mécénat lui permet de garder un œil sur la culture. C’est là qu’il fait une nouvelle rencontre décisive, Emma Lavigne, alors Présidente du Centre Pompidou Metz et en passe de prendre la tête du Palais de Tokyo. Au cours d’un échange, elle glisse : « J’aimerais qu’on bosse ensemble ». Mathieu a des enfants en bas-âge et même s’il adore son boulot, sillonner la France en train comme l’exige ses missions « n’est pas idéal » pour sa vie de famille. Dix-huit ans après sa découverte du Palais de Tokyo, pour la première fois, il s’y verrait bien. 

L'espace de la Friche © Antoine Aphesbero

Petit traité de permaculture institutionnelle

Les entretiens démarrent et Mathieu pose ses conditions : créer un poste de directeur de la RSE, « un signal fort sur les questions environnementales ». Encore un détail ? « À ma connaissance, le Palais de Tokyo reste l’une des rares institutions culturelles à proposer une direction RSE. Ailleurs, il y a des référents, des directeur·ices RSO (Responsabilité Sociétale des Organisations) mais pas de la RSE ». Le voilà donc aux manettes de ce second secteur en plus de la communication. « Les gens se moquent souvent "Ah mais la RSE c’est de la Comm ?" ». D’aucuns diraient greenwashing taquine-t-on ? Greenhushing, oppose Mathieu, « le concept vient de hush, tais-toi en anglais, soit le phénomène opposé. Les organisations ont peur d’être taxées de greenwhasing, elles font des choses mais n’osent pas le dire, on serait plutôt dans cette catégorie-là ».

Lors de notre interview promenade, on s’arrête à la Friche, une salle réservée aux artistes (offrant quelques portes ouvertes). Des tables, des ordinateurs, des séparateurs d’espace, des œuvres finies, d’autres en cours. J'aperçois les installations du chinois Gao Wenqian dans une sorte d’aquarium. Mathieu commente : « il a fait pousser un mini jardin monitoré en permanence par une interface informatique. Elle a accès aux données d'hygrométrie, de température, d'acidité, de PH. Gao questionne la gestion du vivant. Est-ce qu’on peut la confier à une IA tel un Tamagotchi ? ».

Extraits de l’oeuvre AI Farm Programme, 2024 © Gao Wenqian

La pièce accueillait auparavant des expositions temporaires. « Produire toujours plus, vouloir utiliser chaque mètre-carré, c’est avoir des impacts négatifs sur le vivant ». La Friche est désormais sanctuarisée pour la recherche artistique. Mathieu est intarissable sur le sujet « depuis un an et demi, on a un tiers d'espaces expo en moins. Tu peux lire le Petit traité de permaculture institutionnelle, un livre disponible en ligne qui résume cette philosophie [dont l’auteur est le Président du Palais de Tokyo, Guillaume Désanges, NDLR]. Que nous enseigne la permaculture ? Faire un usage raisonné de l’espace et du temps. L'idée est de partir de ces grands principes et de les appliquer au fonctionnement d'une institution ».

Petit traité de permaculture institutionnelle, 2022 © Guillaume Désanges, Président du Palais de Tokyo

Mathieu liste quelques changements qui y font écho : la Friche, donc, une fermeture à 22 heures et plus à minuit, l’arrêt, en été, des expositions sous l’iconique grande verrière, « trop chaud ». Il précise, cela pourrait sembler anecdotique mais pour eux « c’est assez radical », insiste sur l’importance du « design collectif », du dialogue au Palais de Tokyo, qui, dit-il, impacte son propre engagement. « Il y a une émulation. Chaque jour des gens m’éveillent à quelque chose. On s’éduque mutuellement et cela crée une dynamique incroyable ». Un souhait pour la culture du futur ? Plus d’art hors des musées, imaginé avec celleux qui le côtoierait dans « la forêt avoisinante, le champ de l’agriculteur·ice, les murs longeant les nationales » et surtout du low tech parce que « la culture, ce n’est pas toujours la trilogie du Seigneur des anneaux en 4K ou ou une exposition de sculptures en résine ». On n’aurait pas dit mieux. 

Vue d'exposition Figures de l'artiste malgache Malala Andrialavidrazana dans la Grande verrière du Palais de Tokyo, 2024
Alexia Luquet
Journaliste et réalisatrice vidéo, Alexia couvre des sujets au croisement de la culture, du sociétal et de la planète.
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