Thomas Brail, des arbres aux planches

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màj en août 2024

On le connaissait activiste, perché dans les arbres, on le retrouvera sur scène dans son propre rôle le 1er juin prochain aux côtés de Patrick Scheyder. Entretien avec Thomas Brail.

Activiste, Thomas Brail n’aime pas ce mot et lui préfère « défenseur des arbres ». Pourtant depuis 2019, l’arboriste de 48 ans, fondateur du GNSA (Groupe National de Surveillance Des Arbres) est devenu l’une des figures des luttes pour préserver le vivant. Lors de ses actions coups de poings - mais pacifistes, précise-t-il, on le retrouve aux sommets de platanes et consorts menacés. Il alerte, mobilise contre les destructions naturelles « inutiles » avec, tout en haut de la liste, celles liées au projet d'autoroute A69 Castres-Toulouse… assez loin des pages culturelles ! Pourtant, le 1er juin prochain, à l’occasion de la Nuit Blanche à Paris, il fera partie du spectacle Éloge de la forêt, joué devant l'Académie du Climat et imaginé par le pianiste engagé Patrick Scheyder.

En coulisse et sur scène, le musicien a réuni une bande aussi inédite qu’originale : la glaciologue Heïdi Sevestre en conseillère scientifique ; le collaborateur du rappeur Damso, Iman Morin, à la création sonore et face au public, le journaliste de nos confrères de Vert le média, Gaëtan Gabriele interprétant un agitateur de pancartes, aux côtés de Thomas Brail dans son propre rôle. Un baptême « professionnel » mais pas exactement un coup d’essai et sans doute pas le dernier.

Grèves de la faim, militantisme perché, face à face avec les CRS, votre quotidien est souvent tendu. Là, vous allez monter non pas sur un arbre mais sur scène, et pour la première fois. Comment vivez-vous cette entrée dans le monde du théâtre ? 

Thomas Brail : Très bien. Je ne vais pas vous mentir, peu de gens le savent, mais j'ai étudié dans une école de cinéma, fait pas mal de théâtre amateur, aussi de la musique depuis trente ans, notamment avec un groupe de copains, donc le public et les micros, cela ne m’effraie pas ! Au contraire, jouer dans Éloge de la forêt m’apporte une bouffée d’oxygène. J’en ai besoin, sinon j’exploserai. Mon quotidien peut être très difficile, avec des alertes du matin au soir, des personnes en pleurs au téléphone. C’est un rythme qui bouffe la vie familiale, amicale, personnelle. En face, l’art est une soupape de sécurité ! Alors lorsque Patrick Scheyder, le créateur du spectacle, est venu me chercher en m’expliquant qu’on allait faire une performance autour de la protection du vivant, j’étais ravi. Il m’a demandé d’écrire mon propre texte. Il est terminé. Je le travaille tous les jours pour le connaître sur le bout des doigts et le réciter au mieux. La plus grande frayeur des acteurs, c’est le trou de mémoire. Et moi, cela fait un moment que je n'ai pas étudié des choses à retenir ! 

Quel lien faites-vous entre votre métier d’arboriste, la lutte et la scène ? 

T. B. : La lutte dans les arbres, scéniquement, est très belle à voir. Elle touche énormément de monde parce qu’elle est aérienne, on peut la regarder par le prisme de la troisième dimension. C’est majestueux, c’est beau, c’est haut ! Il y a un côté théâtral, inutile d'en rajouter. D’ailleurs, lorsque je mène une action sur leurs cimes, voir les forces de l’ordre en bas - même si l’on se bat en toute bienveillance, je mets un point d'honneur là dessus - donne tout de même des airs de série Netflix. 

L’émotion, est-ce une autre convergence entre vos combats et le théâtre ?

T. B. : Oui, je pense qu’il faut associer l'émotionnel à toute chose, y compris à son travail. L'être humain me semble en perdition depuis qu’il a abandonné sa sensibilité envers son entourage. Avant de monter dans un arbre, je lui demande mentalement son autorisation. Je ne parle pas, on me prendrait pour un fou. Mais je vis des choses fortes avec les arbres dont chacun peut faire l’expérience s’il le souhaite. Le problème est d’avoir oublié cette connexion millénaire à la nature, depuis, je dirais, une petite centaine d'années. 

Patrick Scheyder, Change Now, Paris, interprétant au piano un extrait d'Éloge des forêts © Alexia Luquet

Questionner ce rapport est précisément l’un des paris de l’écologie culturelle portée par des œuvres comme celle dans laquelle vous allez jouer. Vous qui venez de l’action de terrain, que peut, selon vous, cette autre forme d’engagement ?

T. B. : Par le prisme du spectacle, j’ai envie de montrer aux gens les mêmes choses que celles je fais d’habitude, mais sans la peur du gendarme, la répression, les gaz lacrymogènes - parfois, ou les dangers de vivre dans un arbre sans s'alimenter. Je côtoie des gens qui, encore aujourd’hui, n'ont pas d'opinion ou se cachent, par peur, à force d’entendre des informations anxiogènes du matin au soir, ce que j’arrive à concevoir. Mais on ne peut plus rester neutre aujourd'hui. Il faut se positionner et arrêter de faire les autruches. Il faut que tout le monde s’y mette ! 

C’est le message d’Éloge de la forêt ?

T. B. : On attend tous le gros déclic dans l'imaginaire commun. Éloge de la forêt sera mis en scène sur un lieu de passage, en face de l'Académie du Climat près de l’Hôtel de ville à Paris. Dans cette configuration, on va s’adresser à des personnes qui ne sont pas forcément « inféodés » au milieu de l'écologie. C’est essentiel. Dans toutes les conférences auxquelles je participe, je parle à des convertis ravis de me voir et d’entendre la parole que l’on porte. Je n’en ai pas marre, mais ce sont des gens déjà convaincus, alors allons au-delà !

Pour réussir ce pari, la culture embrasse-t-elle assez l’écologie aujourd’hui ? 

T. B. : Non, la culture n’embrasse pas assez l’écologie. Il faudrait plus d'œuvres s’emparant de sujets parfois lourds mais via ce biais singulier. Parlons quotidiennement de ce qui nous arrive autrement que par la radio, la télé et ses images sombres et noires qui ne donnent pas envie de « se bouger ».

Patrick Scheyder et Thomas Brail, devant l'Académie du Climat à Paris © Alexia Luquet

Comment rester sur la crête pour provoquer l’engagement sans devenir plombant, car la culture est aussi un outil  d’évasion ? 

T. B. : En faisant des spectacles justement comme celui qui nous réunit. Je pense que cette performance est assez novatrice : elle mêle des personnes très différentes, ne venant, pour la plupart, pas des arts vivants mais se battant toutes pour le vivant. Vous verrez par exemple le journaliste Gaëtan Gabriele, de Vert le média, qui utilisera son ton humoristique comme il le fait sur les réseaux sociaux. Pour ma part, je serai en relation avec les arbres. Je ne vous dis pas comment, vous le découvrirez le jour J.

Le théâtre a-t-il toujours été dans un coin de votre tête ? 

T. B. : Par le passé, j’ai fait un peu de théâtre indépendant, amateur. J’ai également participé à plusieurs documentaires, mais face à la caméra, j’étais mon propre personnage et pas un acteur. Entre ces expériences et mes actions, je me demandais de plus en plus comment donner envie aux gens d’agir. J’imaginais inventer des saynètes ou participer à des pièces de théâtre mais je reculais par peur d’être décrédibilisé. L’humour me semblait être une façon de prendre du recul. Et là, Patrick Scheyder me propose une pièce mariant justement l’humour à la réalité. Surtout, jamais je n’aurais pensé intégrer un projet par le prisme des actions que je mène ! Ici, tout s’imbrique parfaitement. 

Éloge de la forêt est présentée comme un conte. Cela m’interpelle parce que sur le terrain, votre action, les grèves de la faim, sont bien loin des contes de fées. Qu'est ce que votre participation à ce « conte » raconte de votre engagement ?

T. B. : Tout peut être un conte dans la vie. On nous a bien raconté celui du Chaperon rouge, finalement mangé par le loup, celui d'Ansel et Gretel, qui se font dévorer par des ogres. Les contes ne sont jamais très roses. On va essayer de faire en sorte que, celui sur notre monde, raconté le 1er juin, par le biais du théâtre, le soit un peu plus.

Diversifier vos moyens d'action, via le théâtre, la culture, est-ce une façon de dépasser les critiques que l’on peut vous faire ?

T. B. : Déjà, je ne me définis ni comme activiste, ni comme militant écologiste. Je suis défenseur des arbres, citoyen du monde et papa d'un petit garçon de six ans. Voilà comment je me définis. À force de mettre les gens dans des boîtes depuis la nuit des temps, on divise pour mieux régner. Moi, je suis un citoyen lambda qui se lève le matin et essaie de faire des choses. Quant aux critiques, inutile de s’épuiser sur les réseaux sociaux, je ne les lis pas. Ma peau est comme la cuticule des plantes, on appelle cela la paroi cellulosique. Lorsqu’une goutte tombe sur une feuille, elle ruisselle. Moi, c'est exactement pareil. Je consacre mon temps à la défense du vivant et pas à répondre à des messages haineux.

Dans le futur, comment imaginez-vous poursuivre « cette défense du vivant » ?

T. B. : Depuis cinq ans, je me bats sur le terrain. Cinq années où j’ai « sorti les cordes » lorsque l’on n’arrivait pas à nos fins, juridiquement, ou que l’on ne parvenait pas à faire comprendre aux élus la nécessité de conserver les arbres. Aujourd’hui, de nombreux professionnels rejoignent le GNSA (Groupe National de Surveillance des Arbres). J’ai toujours dit aux nouvelles·aux grimpeuses·eurs qui rejoignent le combat, qu’à terme, ce seront celleux qui seront mis en avant. Les luttes doivent être récupérées par cette jeunesse et elle est déjà en train de prendre le relais ! Je n’ai absolument pas envie que l’on fasse de moi une icône. J'ai simplement initié un mouvement qui a pris. Si dans quelques années je peux me retrouver en retrait, continuer ma vie avec mon fils, je n’y vois aucun, mais alors aucun, inconvénient. Je garderai un œil sur le terrain, et si l’on peut avec la culture, ça me va.

Infos pratiques :

Éloge de la forêt, de Patrick Scheyder, avant-première le 15 mai à l’Académie du Climat, Paris et le 1er juin 2024, pour la Nuit blanche, devant le bâtiment. Plus d’infos.

Photo à la Une : Thomas Brail © Académie du Climat

Alexia Luquet
Journaliste indépendante et réalisatrice vidéo, le travail d’Alexia Luquet pose depuis huit ans son regard aux croisements de l’art, du social et de la planète, avec un œil - critique - sur l’innovation. Ses reportages l’ont emmenée vers des territoires peu couverts en Europe et d’autres plus lointains au Bangladesh et à Hong Kong. Elle consacre également du temps à enseigner l’éducation aux médias et à l’information.
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