Emma Bourgin est artiste, et Léonard Nguyen Van Thé, son compagnon de route, est jardinier paysagiste. Tous deux se sont rencontrés autour de leurs passions communes. Leur démarche créative en duo se nourrit d'une relation attentionnée au vivant et aux lieux. Ils invitent également leur public à apprécier l’instant présent. Retour sur leur parcours, qui lie art et végétal, avec comme fil rouge les matériaux naturels et les éléments.
Au fil des années, Emma Bourgin a fait de la cire son matériau de prédilection. Pour elle, la cire incarne la lumière, voire le soleil. Par l’empreinte, cette matière malléable l’amène à panser les pierres.
Avec Léonard Nguyen Van Thé, son compagnon jardinier paysagiste, ils composent une poésie des objets et matériaux récupérés. Ils travaillent à deux échelles différentes : Emma expérimente des matériaux, que Léo nomme sa « matière affective », et Léo élabore des projets à l’échelle du paysage en « ouvrant des possibilités », comme le dit Emma. Leurs savoir-faire ainsi partagés les amènent à explorer d’autres voies : Emma aide Léo dans ses chantiers de paysagiste, croisant les connaissances en botanique du jardinier paysagiste et la liberté de gestes et des matériaux de l’artiste.
La première rencontre
Invités à exposer en 2019 à l’Espace Regards de Moret-sur-Loing (Île-de-France), Emma et Léo ont pris le parti de s’immerger dans le lieu d’exposition. Depuis l’espace domestique jouxtant celui de l’exposition, ils ont pris le temps d’enquêter, et leur curiosité les a menés à s’intéresser aux regards, aux ouvertures cachées, et à la relation entre intérieur et extérieur. Leur installation Tabulae a donné lieu à une performance, pendant laquelle ils ont embrasé peu à peu des morceaux d’une peau de cire suspendue à la hauteur de leur regard. Tel un rituel à vivre en silence, à la lumière du feu, ce moment fut propice à de multiples interprétations. Cette première aventure artistique en binôme a forgé leurs intentions et démarches. Depuis, histoires personnelles et collectives se croisent dans leurs expériences de terrain.
Une relation poursuivie entre terrain et atelier
Léo intervient souvent sur des lieux « en jachère », volontairement laissés en l’état pour ré-enrichir le sol. Il en décèle les qualités, et y perçoit une urgence d’agir. Il dit « agrader – par opposition à dégrader, ndlr – les jardins malmenés ». Leur récolte d’éléments devient précieuse, tels des ready-made naturels. Invités à l’automne 2019 à exposer à la Comédie de Caen, les deux complices y provoquent un temps de résidence durant laquelle ils cultivent leur attitude, proche à la fois de celle de l’archéologue, du paysagiste et de l’expert d’un territoire. Lors de cette résidence, ils ont partagé avec le public du vernissage leur première « promenade botanico-poétique » qui consistait à retracer à pied le parcours d’une abeille.
À Sablé-sur-Sarthe en 2020, ils se sont cette fois attachés à redonner vie aux zones abîmées. Léo a rendu accessible un endroit caché, Emma y a vu le lieu d’une rencontre physique. Des fragments ramassés et ré-agencés, soignés, habitent une boutique devenue laboratoire d’expériences : le Musée Lab fondé par l’artiste Seeta Muller.
Un travail artistique qui invite aussi à protéger nos territoires
Dans le cadre de l’appel à projet Mondes Nouveaux lancé par l’État en 2021, Emma et Léo ont créé le monument-jardin Hommage à la Roya, la Roya étant le plus petit fleuve d’Europe, qui prend sa source en France, dans les Alpes-Maritimes. Leur monument-jardin consiste en trois sculptures en pierre et en bronze (schiste vert issu de la carrière de Tende, schiste violet de Fontan, pierres de champs dites « de soleil » offertes par la pépinière Bendola à Saorge...) à partir desquelles naît un jardin résilient.
À travers ce projet, ils ont appris à connaître un territoire qui les a attirés et émerveillés. Leur création in situ a drainé des habitants, curieux de redécouvrir leur patrimoine paysager. Témoins des techniques et des savoir-faire de ce territoire remué par la tempête Alex en 2020, ils invitent la mairie du village de La Brigue et chacun des habitants à prendre le relais. « Il s’agit d’un paysage sensible et vivant dont il tient à chacun de prendre soin, de “chaperonner”, à l'image des empreintes respectives en bronze qui recouvrent chacune des sculptures. ».
Ainsi, leurs projets botanico-poétiques sèment des graines sur des territoires. De cette propagation, des ouvertures apparaissent, vers l’éclosion d’une biodiversité retrouvée. Leurs deux pratiques transpirent, et de cette fluidité naissent de nouvelles formes organiques. Leurs gestes et savoir-faire s’accordent. De ces apports mutuels, telle la sève, des créations bourgeonnent. Un réseau de rencontres humaines et non-humaines, de plantations et de récoltes continue alors de croître.
Les deux artistes participent jusqu’au 21 juillet au parcours d'art contemporain Hyper Objets à Pleurtuit.
