Junk is not dead : l’art du (zéro) déchet

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màj en mars 2024

« Tout déchet est une ressource inexploitée » : ce précepte de la permaculture ne s’applique pas qu’aux jardiniers. Des déchets industriels aux canettes de soda, les artistes aussi pratiquent le recyclage. Pour le plaisir des yeux et de la planète ?

Ton déchet, mon trésor

On le sait : notre mode de vie remplit les poubelles. Chaque Français génère 5,1 tonnes de déchets par an (et moins de la moitié est recyclé). Une fois un objet jeté, il commence en fait une deuxième vie : de la poubelle du domicile à celle de l’immeuble, ou du coin de la rue, pour continuer vers un centre de gestion des déchets et souvent finir en décharge. 

Ce cycle de vie inspire les artistes. Le roman graphique de l’américain Derf Backderf, Trashed, documente avec humour ce processus souvent invisibilisé. Backderf (qui a vraiment travaillé en tant qu’éboueur dans une petite ville américaine) se remémore les détritus qu’il a eu à ramasser, des sacs remplis de déjections canines aux mobilier en fin de vie. Dans un autre registre, la street artiste et plasticienne française Lor-K travaille plutôt à partir des derniers. Pour son projet Eat me, elle transforme des matelas trouvés dans la rue en délicieux (et éphémères) snacks - critiquant au passage l’omniprésence de la junk food dans notre alimentation.

Eat Me, Lor K

De matelas cracra à appétissante tarte… Lor K pratiquerait-elle une forme d’upcycling ? Ce « recyclage par le haut » consiste à transformer les déchets en objets usuels et a envahi les boutiques design du monde entier. Pulls, bijoux, sacs… le déchet – qu’il s’agisse d’un tissu aux mailles lâches ou de capuchons de bouteilles en plastique – est intégré dans une nouvelle matière. Jusqu’à être oublié ? Même quand il reste visible, comme les CD et manettes de four qui décorent une table dans un café branché de Bangalore en Inde, il est lustré, plaisant : évoquant la nostalgie d’une maison de poupée plutôt que la saleté des décharges.  

The Circus Canteen, Photo © Ishita Sitwala

Rendre visible l’invisible 

Comment en est-on arrivés à donner un twist pop à nos déchets ? Un détour par les années 1960 s’impose. Les sociétés occidentales se reconstruisent suite à la Seconde Guerre mondiale, dans la période dite des Trente Glorieuses. Accompagnant cette nouvelle prospérité, la société de consommation - et du jetable -  émerge : la bouteille en plastique remplace celle en verre, et on voit même apparaître d’éphémères robes en papier

Les artistes ne tardent pas à faire du supermarché une source d’inspiration. On pense aux sérigraphies de conserves Campbell réalisées par Andy Warhol. Reproduites à l’infini, symboles de prospérité ménagère, ne sont-elles pas faites pour être jetées une fois leur contenu vidé sur un plat de pâtes ou englouties à même le contenant ? 

Warhol dans un supermarché new-yorkais en 1964. Photographie de Bob Adelman.

Warhol ne répond pas directement à la question, préférant l’accumulation à la décomposition. En France, à  la même époque, un groupe d’artistes crée le mouvement du Nouveau Réalisme, placé selon son manifeste sous les auspices d’un « recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire ». Logique donc qu’il fasse des « résidus » de la vie quotidienne sa matière première. L'artiste plasticien suisse Daniel Spoerri invite quant à lui les critiques d’art à un repas qu’il cuisine pour eux, et les invite à coller sur la table les restes du repas - cure dents et mouchoirs en papier compris. Le sculpteur français César récupère des déchets industriels chez un ferrailleur pour réaliser ses Compressions, parallélépipèdes d’où émergent parfois le nom d’une marque… comme Ricard (le Campbell hexagonal ?).  

Daniel Spoerri, Repas hongrois, tableau-piège, 1963 © Adagp, Paris
César, Ricard, 1962 © Adagp, Paris

Si l’on traverse les Alpes, les déchets sont aussi à l’honneur chez les praticiens italiens de l’Arte Povera (« art pauvre »), qui favorisent les matériaux modestes (et fragiles) comme les chiffons, les brindilles, ou le fer. Parfois esthétiquement austères, à l’image des sacs de jute intégrés aux toiles d’Alberto Burri, les œuvres d’art povera se veulent une critique de la société de consommation, même si elle celle-ci n’est pas toujours explicite. On la devine cependant dans La Vénus aux chiffons, une des œuvres les plus reconnues du mouvement. Une Vénus (elle-même un produit bon marché de l'ère de la reproduction illimitée, achetée par l’artiste dans une boutique de jardinage) contemple un tas d’habits colorés, plusieurs décennies avant l’avènement de la fast fashion. 

Vénus aux chiffons, Michelangelo Pistoletto, 1967 

Zéro déchets : chiche ?

Peut-être que la déesse de marbre souhaite détourner le regard de cette masse de tissus, achats compulsifs dont elle n’a pas l’utilité. Après tout, on n’a jamais vu une Vénus habillée, et les t-shirts de mauvaise qualité achetés en ligne finissent souvent au fond de notre armoire, n’en déplaise à Marie Kondo. Si cette autrice japonaise élevée en quelques années au rang de star du rangement passait par là, elle demanderait à la Vénus si ces habits « génèrent de la joie ». La réponse est non ? Poubelle, et on n’y pense plus. Un conseil qui pourrait être bénéfique à la photographe Barbara Iweins - même s’il ne lui aurait pas permis de constituer son Katalog, 12 795 photos documentant l’intégralité des objets de sa maison. Se définissant comme une « collectionneuse névrosée », l’artiste s’est volontairement confinée pour prendre en photos ces objets « qui sont, pour la plupart, plus une source d’encombrement que de plaisir » (un point pour Marie Kondo). Mais elle conclut : « le fait de mettre en scène ces objets avec discipline et dévouement m’a aidé à organiser ma pensée et ma vie ». Sans nous dire si elle pense désencombrer bientôt…

Barbara Iweins, Capture d’écran du site de Katalog

La poétesse new-yorkaise Allyson Paty suit une démarche inversée. À chaque fois qu’elle jette un objet, qu’il s’agisse d’une fourchette en plastique ou d’un filtre à café, elle le prend en photo. « J’essaie de voir les objets individuels qui constituent les déchets de ma vie, pour me rappeler d’eux dans une sorte d’élégie, et en les publiant sur Instagram, les laisser représenter ma vie », explique-t-elle dans un article qui revient sur sa pratique. Elle est par ailleurs critique du mouvement zéro déchet, qui laisse reposer toute la responsabilité sur les épaules du consommateur, alors que les industriels suivent depuis des décennies une politique du tout jetable. 

Béa Johnson, la blogueuse qui a popularisé l’expression « zéro déchets » dit : « le meilleur déchet, c’est celui qui n’existe pas ». Certes, sans eux, certaines des œuvres présentées dans cet article n’existeraient pas. Mais à force d’accumuler les détritus, nous risquons de disparaître ensevelis dans un océan de déchets, au point de ne plus faire qu’un avec eux, comme le chinois Liu Bolin qui disparaît dans une mosaïque de déchets au cours de sa performance Marine Litter (Détritus marins)...

 

Renée Zachariou
Renée est autrice et plume freelance. Elle écrit sur la technologie, les esprits et la nature.
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