Cinéma : Le ciel rouge de Christian Petzold, à nos été(s) meurtri(s)ers 

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màj en septembre 2023

Photo à la Une : © Les films du Losange

Le « film d’été » est un genre délaissé en Allemagne. Le Berlinois Christian Petzold s’en empare pourtant pour son quinzième long-métrage, en héritier assumé du cinéaste Eric Rohmer, revu sous l'apocalypse des feux de forêts. Quelques écueils à rebours de cette fable écolo n'entâchent pas la finesse de l’œuvre, résonant avec la délicatesse propre à la filmographie du réalisateur. Carbo recommande. 

Dans la forêt baltique, la voiture file. Grand prix du jury au dernier festival de Berlin, Le ciel rouge convoque dès les premières images les codes du genre : musique aérienne sensuelle – envoûtant In my mind des méconnus Autrichiens Wallners – jeux de lumières sur les visages et douce jeunesse. Derrière la vitre côté passager, Leon somnole dans l'insouciance de l’été. Félix emmène son ami dans sa maison de famille en bord de mer. Ils doivent écrire. Roman pour l’un, dossier universitaire pour l’autre, cottage de rêve en fond. Mais lorsqu’ils découvrent une colocataire inattendue, Nadja, leur volonté et le cours des choses vont légèrement dévier. Le Ciel rouge est bien un film d’été.

© Les films du Losange

Ceux qui connaissent et aiment Petzold pourraient être déroutés par son changement de cap. Ses œuvres précédentes dressaient un portrait aux accents parfois fantastiques de l’Allemagne du XXè à aujourd’hui. Parmi les plus connues en France, on compte la « trilogie de l’amour sous dictature », comme il l’a parfois appelée, entre le magnifique Barbara (2012), Phoenix (2014) et Transit (2018). Le public sera rassuré de voir que le réalisateur poursuit ici son exploration du sentiment amoureux et tourne pour la troisième fois avec son égérie Paula Beer. Dans Le ciel rouge, son jeu fin, récompensé en 2020 par l’Ours d’argent d’interprétation féminine, pour Ondine, du même réalisateur, illumine le cadre.

Petzold se trouve d’ailleurs avec l’actrice lorsqu’il présente pour la première fois l'idée du film à ses collaborateurs. Nous sommes en 2020, à Paris, un certain… mois de mars. Le confinement vient d’être annoncé, Petzold et Beer sautent dans le dernier avion. Juste avant leur départ, la société de production du réalisateur lui a offert l’intégrale des œuvres du cinéaste Éric Rhomer. Très vite, Petzold déclare le covid. Cloué au lit, il s'empresse de revoir ces classiques. Le premier sera Conte d’été (1996), désormais ouvertement cité par le réalisateur comme inspiration. Le ciel rouge lui reprend le motif du groupe d’amis bourgeois intellos, sur une mise en scène et des dialogues, toutefois à l’opposé du style littéraire et théâtral du maître français. Une divergence loin d’être la seule singularité du film.

© Les films du Losange

Certes, la mécanique du scénario, éprouvée par le septième art, ne fera pas date (l’arrivée d’un personnage qui bouleverse la tranquillité ambiante ; le décor propice à la langueur où de jeunes gens se découvrent – au propre et au figuré – pour vivre une expérience ouvrant sur l’âge adulte ; une fin prévisible), mais le talent des acteurs brille fort. Tous jouent à la perfection la passion de Petzold pour saisir les turpitudes de l’existence à travers la drôlerie des petits instants : un moustique carnassier attaquant sans relâche l’amoureux transi ; le regard brûlant de Nadja, vendant des glaces face, à la froideur de Leon ; les émois d’un éditeur cinquantenaire passant par là et ne sachant plus où donner de la tête devant tant de jeunesse et beauté. 

Pour s’aimer – tout en fluidité ; ici, si le film tient du genre, le genre, lui, n’est pas un critère pour se plaire. Petit renouveau au passage, cette catégorie au cinéma ayant rarement offert pareil « voyage », le groupe est aidé par un décor semblant sortir d’une féérie. La maison de famille se dresse entre les pins, grand cottage au toit de chaume surplombant un bow-window, dehors, des draps blancs flottent au vent sur un fil.  A l’écran, Petzold démultiplie la bâtisse : à la fois personnage, cadre et moteur narratif, il confère à chaque espace un sentiment. Le jardin est le lieu des amours naissants (Nadja dévorée des yeux par Leon depuis la fenêtre), la tonnelle celui de la frustration (Leon faisant et défaisant son manuscrit raté), la cuisine celui des frictions (un retour du marché houleux), la chambre celui des désirs (Leon qui jalouse le son des émois traversant les fines cloisons), et le toit celui des nouveaux horizons (lieu décisif du basculement des sexualités et prise de conscience de l’ampleur des incendies alentours). Procédé fort bien maîtrisé mais assez classique.

© Les films du Losange

Alors quoi de neuf monsieur Petzold ? Réponse : la fin du monde. Le « film d'été », jusqu'à présent, n'y prêtait garde. Dans Le Ciel rouge, elle campe la toile du fond du récit. Leon, Félix et Nadja évoluent sous la menace constante mais progressive des incendies hors de contrôle dans la forêt. Fait intéressant, tous les personnages savent qu’ils existent, mais personne ne bouge, jusqu’au drame ultime. Métaphore artistique de notre inaction climatique ? (Le sujet des feux monstres occupe déjà deux long-métrages en cette rentrée). Petzold ne semble pas vouloir étiqueter son film comme une œuvre écolo. « J’écris des histoires et tant que nous pouvons en écrire, nous vaincrons les feux ». Alors pourquoi aborder ce cataclysme plutôt qu’un autre ? Montée des eaux, pandémies, canicules, disparition de la biodiversité, le panel est large ! « J’ai été confronté au feu en Turquie, il y a plusieurs années. L'absence de son et d’insecte m’avait frappé. Aujourd’hui les feux sont partout et pourraient sonner la fin des étés ». 

Dommage que le réalisateur n'ait pas emprunté, « hors champ », cette direction discrètement écolo. En projection publique au MK2 Quai de Seine à Paris, Petzold a pris beaucoup de plaisir à raconter comment il avait mis plusieurs mois à trouver son cottage puis comment il avait refusé de le vendre, en fin de tournage, à un producteur allemand. Sans le nommer, il assure le « détester ». « Impensable que la maison tombe entre ses mains. J’ai tout détruit et c’était fabuleux ». L’anecdote anti-recyclage, un poil diva, a fait rire la salle. Peut-être ne savaient-ils pas que pour réduire – un peu – le coût environnemental de cette industrie, les décors rejoignent aujourd’hui d’autres vies ? Ou peut-être Petzold voulait-il éviter à ce coin perdu du Nord des touristes en pèlerinage de masse en cas de succès du film ? Carbo ne sait, et choisit de retenir une question posée en creux : la crise climatique tuera-t-elle l’imaginaire – occidental – désirable de l’été ? 

Alexia Luquet
Journaliste indépendante et réalisatrice vidéo, le travail d’Alexia Luquet pose depuis huit ans son regard aux croisements de l’art, du social et de la planète, avec un œil - critique - sur l’innovation. Ses reportages l’ont emmenée vers des territoires peu couverts en Europe et d’autres plus lointains au Bangladesh et à Hong Kong. Elle consacre également du temps à enseigner l’éducation aux médias et à l’information.
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