Les Totally Spies ont fait leur retour au printemps avec une saison 7 inédite. Grande nouvelle : l’écologie, et plus globalement le progressisme, auraient toute leur place dans cette saison, d’après la production. Voici notre décryptage.
C’est un accueil de rockstar. Après 11 ans d’absence, l’audience était au rendez-vous pour le premier épisode de la saison 7, diffusé sur Gulli le 12 mai dernier. La chaîne s’en est félicitée sur X : leader national auprès des 4-14 ans avec 25 % d’audience, 19 % auprès des 15-24 ans, mais aussi leader national auprès des « femmes responsables des achats de moins de 50 ans » – youpi – avec 12 % d’audience. Le grand écart est réussi. En mai, Benoît Di Sabatino, producteur chez Banijay Kids, confiait à l’AFP vouloir satisfaire les fans de la première heure ainsi qu’un nouveau public chez « les 6-10 ans ».
Quelques jours avant la diffusion des premiers épisodes, la production annonce dans la presse que la saison 7 intégrera les enjeux écologiques et prendra en compte les inégalités de genre. Comment « projeter » Sam, Alex et Clover, mastodontes de l’animation française, « dans un monde qui a changé » ? Comment mêler leurs aventures, blagues et clichés genrés – et oui –, qui ont défilé devant les yeux des téléspectateur·ices de 220 pays en plus de 20 ans, avec une prise en compte des enjeux écologiques ? Pas si simple.
La saga se déroule désormais à Singapour, ville du siège du Woohp Monde (World Organization of Human Protection, soit Organisation mondiale pour la protection de l’Humain), l’organisation espionne mondiale à laquelle sont rattachées Sam, Alex et Clover. La ville asiatique high-tech et « écolo » a remplacé Beverly Hills, ville bourgeoise américaine et ses plages de sable fin, théâtre des aventures des espionnes durant les six premières saisons.
Une écologie décorative
Dès les premières images, Jerry – juste avant sa retraite – fait découvrir la nouvelle ville au trio. Se succèdent alors « le dôme virtuel », « la boulangerie vegan Aux délices des espions », ou encore « le fab lab de Toby ». Une évolution esthétique alignée sur un imaginaire futuriste très technologique et rempli de gadgets, qui ne s’éloigne pas de l’ADN de la série. Mais qui interroge, d’un point de vue écologique. Le fameux compoudrier des espionnes est toujours là, lui aussi. Mais il intègre désormais une fonction holographique leur permettant d’échanger avec Toby, l’ingénieur, et Zerlina, la nouvelle boss du Woohp.
Au-delà de ces aspects décoratifs, les échanges sur l’écologie prennent garde à ne pas entrer dans une dimension conflictuelle ou politique. Il s’agit de petites touches, reléguées au quotidien des espionnes, sans être au cœur de leurs missions. Ainsi, à la fin de l’épisode 3, intitulé « Totalement talentueuses », Alex et Sam échangent sur des projets étudiants :
« - Je viens de trouver 5 000 coureurs pour un marathon caritatif pour la défense des cactus.
- Moi j’ai fait un financement participatif pour poursuivre mes recherches sur nos interactions avec les drones. »
Même situation dans l’épisode 4, « Invasion de grosses bestioles gluantes ». Alors qu’elles se battent contre des créatures échappées d’un jeu vidéo qui sèment le trouble en centre-ville, Sam explique à ses collègues leur mode de fonctionnement : « Elles puisent l’énergie des panneaux solaires ». Simple mention, rien de plus. Il semblerait que les réalisateurs de la série comptent sur des éléments décoratifs pour faire passer les messages. Nos demandes d’interview n’ont pas abouti.
Des opportunités manquées
Dans l’épisode 8, « Fromage et lune de miel », Sam, Alex et Clover sont confrontées à des submersions à Bali, Rio de Janeiro et Hawaï. Formidable occasion pour parler de la montée des eaux et de l’intensification des catastrophes météorologiques, n’est-ce pas ? Encore raté. « On n’a pas fait une série sur l’écologie, on a fait une série qui inclut l’écologie dans les histoires traditionnelles des Spies », reconnaît sans peine Benoît Di Sabatino, qui dirige Banijay Kids & Family, branche jeunesse de la société de production Banijay. Tout est normal, donc.
Néanmoins, en comparant cette saison aux anciennes, il serait mensonger de fermer les yeux sur l’évolution de la série. Dans l’épisode 18 de la saison 2, Clover s’interroge : « Y’a toujours pas de tapis roulant dans cette forêt j’imagine ? » Ce même épisode s’ouvre dans un temple de la consommation : un centre commercial de Beverly Hills. Ces détails seraient incohérents dans la saison 7.
Mais qu’est-ce qui empêche les producteurs d’aller encore plus loin ? D’un point de vue commercial, ils ont peu d’intérêt à mettre au jour frontalement les causes du changement climatique. Peut-on parler d’écologie dans un secteur qui embrasse les logiques de croissance ? La France est le troisième producteur mondial de cinéma d’animation derrière le Japon et les États-Unis. En 2020, l’animation était le format audiovisuel français qui s’exportait le mieux , avec 38 % des ventes vers l’étranger.
L'écologie à l'épreuve du capitalisme
Les montages financiers du cinéma d’animation ont plutôt tendance à lisser ce qui est proposé à l’écran. Sur ce plan, la saison 7 de Totally Spies a été produite par Monello, détenue par le groupe Banijay Entertainment depuis 2020. Cette société de production compte parmi ses actionnaires Vivendi (à 32,9 %), groupe dont l’actionnaire majoritaire est Vincent Bolloré, et où Cyril Hanouna est aussi présent au capital (à 1,5 %). En l’état, difficile pour l’écologie de faire une percée à l’écran.
De plus, Benoît Di Sabatino part du principe que « les enfants n’ont pas forcément une conscience politique » et que le sujet de l’écologie ne peut pas être « présenté frontalement sur le plan politique ou militant ». En parallèle, il assure que des séries centrées sur l’écologie sont en cours de développement au sein de Banijay Kids & Family.
Ce dernier assume avoir adapté les Spies à notre époque, sans pouvoir tout révolutionner, afin de rester fidèle à l’esprit de la série : « Dans la saison 7, on s’assure que les Spies continuent d’être intéressées par la mode, comme toutes les femmes de leur âge, mais on parle d’upcycling, de réutilisation. Clover est intéressée par les friperies par exemple. Dans le Woohp, il y a un système de covoiturage, et on a créé une voiture volante électrique, la Woohp-e. Quand on est enfant et qu’on aime une série, toutes les petites choses citées sont importantes parce qu’elles restent dans l’imaginaire. »
Pour continuer de séduire leur audience historique, les Totally Spies version 2024 affichent leur recette la plus efficace. Des esquives, coups de pieds aériens et gadgets étonnants – souvent très genrés – : des « bottes à talon ventouse » servent ainsi à éliminer un créateur de jeux vidéo malfaisant dans l’épisode 4.
Le filon n’est pas asséché. Totally Spies! va en effet avoir droit à une adaptation américaine en live action, commandée par Prime Video. Le 31 octobre dernier, c’est le jeu vidéo « Totally Spies! Cyber Mission » qui a vu le jour. Pour une révolution écologique, on attendra.
