Adélaïde Charlier a 23 ans, et ça fait déjà 5 ans qu’elle est l’une des figures marquantes de l’activisme écologique belge, depuis les grèves étudiantes pour le climat qu’elle a coordonnées en Belgique, au sein de Youth for Climate. Et elle ne compte pas s’arrêter là. Pour elle, « une fois qu’on a les pieds dedans, c’est impossible d’en sortir, on réalise l’impact qu’on peut avoir. » C’est au contact d’autres activistes qu’elle a pris conscience de tout ce qui gravite autour de la question climatique, notamment les inégalités sociales. Profitant de sa présence au So good MAIF Festival au mois de septembre 2024, nous lui avons demandé quelles œuvres culturelles l’aident à garder espoir et nourrissent son militantisme.
Bonjour Adélaïde. Y-a-t-il une œuvre culturelle qui a contribué de manière significative à ta prise de conscience écologique ?
Adélaïde Charlier : Il y en a énormément, j’en ai plein en tête ! Je vais commencer par évoquer mes proches, qui sont dans le monde de la culture, un monde que j’ai vraiment découvert grâce à eux. Notamment mes amis qui font de la musique. Le groupe Colt, par exemple, ou un de mes grands amis rappeur, Youssef Swatt's. Ils m’ont fait découvrir le monde de la musique, mais aussi l’arrière du décor, avec notamment la difficulté que c’est pour eux de mettre à l’écrit ce que nous avons tous un peu du mal à dire. Avec Youssef et Coline (la chanteuse de Colt, NDLR), nous avons beaucoup parlé de comment ils pouvaient aider à partager ce message que nous on essaie de crier. Moi je crie parce que je ne sais pas chanter, et que je n’ai pas la capacité de pouvoir interpréter les faits par un dessin ou une danse… Ça me fait penser à la démarche du collectif Minuit 12. Sans ce genre de collectifs, l’activisme est vide.
Nous, nous avons ce contenu pur et dur que nous reprenons des scientifiques – les artistes de la science – et nous l’interprétons dans le monde politique, et c’est tout un art aussi (rires). Le collectif Minuit 12 m’inspire énormément ; il permet d’interpréter artistiquement des choses difficiles à exprimer juste avec nos mots. Youssef Swatt’s et Colt font pareil avec leurs musiques. Par exemple, la chanson Anyway de Colt a été écrite en collaboration avec le mouvement des jeunes pour le climat en Belgique. Ça a été un projet hyper important pour nous, qui nous a permis de sortir des outils qu’on utilise habituellement et de nous ouvrir à un autre monde. La collaboration avec les artistes ou les humoristes, c’est tellement important parce qu’ils nous ouvrent cette voie que nous n’avons pas en tant qu’activiste. Chacun a son rôle mais notre union est très riche.
Le travail de l'humoriste Swann Périssé, en ce sens, est incroyable. Cette réalité climatique amène une peur et une anxiété colossales et réelles, qu’elle va complètement reconnaître, mais elle va aussi nous en sortir grâce à un moment de joie, qui certes est temporaire, mais nous permet de sortir de ces émotions très difficiles et solitaires. Et surtout, elle a cette capacité exceptionnelle à rassembler, qui est essentielle. Elle parvient à toucher celles et ceux qui, par leurs peurs, se sentent isolé·es. C’est là la force de l’artiste, et c’est quelque chose dont nous avons besoin. Nous devons nous unir pour que nous puissions, nous en tant qu’activistes, s’appuyer sur une communauté soudée qui est prête à se lever et à garder la tête haute pour qu’on forme cette petite armée, capable de maintenir une pression constante sur « le monde des méchants. ».
Quelle œuvre conseillerais-tu à nos responsables politiques pour déclencher une prise de conscience ?
A. C. : Il faut absolument qu’ils lisent Sois jeune et tais-toi de la journaliste Salomé Saqué. À travers mes actions dans le monde de l’activisme, j’ai remarqué qu’il y avait vraiment une distinction générationnelle beaucoup trop forte, et très triste. Il y a aussi le travail de l'essayiste Fatima Ouassak, qui est hyper important pour toutes les personnes engagées. Il faut que nos leaders la lisent parce que c’est presque impossible aujourd’hui dans notre monde politique d’avoir une vision horizontale, interdisciplinaire et intersectionnelle. Parfois, et c’est très frustrant, nous avons vraiment l’impression d’être les fous autour de la table à vouloir tisser des liens entre ces luttes. Nous sommes vus comme des gens qui mélangent tout, entre les luttes anti-raciales et les luttes pour l’environnement, par exemple. Ce sont donc deux femmes qu'ils doivent rencontrer et dont ils doivent lire les réflexions, ce qui nous permettrait d’échapper à beaucoup de stéréotypes, notamment sur la jeune génération, et à de longs débats sans fin. S'ils avaient lu ces œuvres, nous pourrions avancer beaucoup plus vite !
Quel est selon toi le rôle de l'art et de la culture dans la prise de conscience de l'urgence écologique ? En quoi peuvent-ils compléter le travail des activistes par exemple ?
A. C. : Dans le monde de l’activisme dans lequel j’évolue, nous courrons après des parlementaires, nous allons devant les institutions, et nous sommes constamment dans l’art du débat et de la négociation avec les politiciens, les ONGs, tout en nous devant d’être très stricts dans nos valeurs et d'amener dans le monde politique cette idée qu’il n’y a pas de compromis possible autour des questions d’urgence climatique. Mais nous ne pourrons jamais utiliser que ça comme outil. Car ça nous parle seulement au niveau mental, qui est très valorisé dans le monde occidental, au détriment du reste du corps. Si on veut nous toucher il va falloir nous parler dans le cœur et dans les tripes. Si je suis encore activiste aujourd’hui, ce n’est pas grâce à tous les rapports que j’ai lus et qui m’ont choqué avec leurs chiffres et leurs conclusions, mais c’est grâce à des artistes qui ont interprété ces chiffres dans des histoires, c’est ça qui va vraiment nous toucher. La rencontre est essentielle aussi. Si nous ne nous rencontrons pas, il y a un manque. Une fois que cette rencontre avec les artistes m’a remué les tripes, il est impossible que mon activisme disparaisse, il devient imperméable.
J’ai remarqué que, malgré l’urgence absolue qui ressort des rapports, il était plus facile de mettre à distance le côté académique. Les chiffres sont des données difficiles à intégrer dans notre vie de tous les jours. Mais les récits, les histoires qui nous touchent, c’est presque impossible de les rejeter. Face à une œuvre artistique, toute dissonance cognitive est transcendée, on est chamboulé·es. C’est seulement à ce moment-là que nous sommes prêt·es à nous poser les questions nécessaires et à remettre en cause durablement nos privilèges.
L’idée, par l’art, c’est aussi de ne pas seulement rester coincé·es sur la réalité, mais de pouvoir se projeter et réfléchir à nos imaginaires. C’est pour ça qu’on a besoin d'encore plus d’artistes et de personnes qui nous aident à nous projeter et à imaginer l’avenir. Je pense d'ailleurs que d’une manière ou d’une autre, tous les citoyens qui aujourd’hui sont déjà dans un travail concret de projection de ce à quoi pourrait ressembler le monde de demain sont des artistes. En Belgique, par exemple, on a un groupe de citoyens qui travaillent sur une ceinture alimentaire autour de Liège, un autre qui travaille sur une ceinture énergique autour de la ville de Namur. Ce sont des collectifs qui se sont créés dans l’envie de penser et de créer tout de suite le monde de demain. Sans eux, on ne pourrait pas imaginer à quoi ça pourrait ressembler. Ce sont des imaginaires concrets, de notre vie de tous les jours qui nous ouvrent de très belles perspectives. Ils nous montrent que c’est possible. Merci à eux, parce que grâce à eux, quand je suis dans ces gros buildings remplis de personnes en costard, je comprends pourquoi je me bats et vers où on peut aller. Ce sont aussi des artistes. Il faudrait qu’encore plus d’artistes s’en saisissent et puissent mettre en avant ces travaux là. C’est grâce à eux que j’arrive à rester inspirée et avec de l’espoir, la tête haute. Ils nous montrent concrètement le chemin. Ce sont des utopies qu’on peut toucher du bout des doigts et qui nous aident à l’imaginer en grand. Et il y en a partout dans le monde. Ce sont eux qui me font du bien !