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Entre culte de la performance, gigantisme et spectacle mondialisé, l’héritage culturel du mythe Olympique est-il vraiment compatible avec l’éthique verte, sportive et populaire qu'il promeut ?
Depuis les années 90, avec la tenue du premier sommet de la Terre à Rio en 1992, le Mouvement Olympique ne cesse d’afficher son engagement dans la protection de la planète. En 1994, le Comité international olympique (CIO) déclare l’environnement comme troisième pilier de l’Olympisme et crée la première commission sport et environnement. La même année, les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Lillehammer seront les premiers à mettre en place des mesures pour limiter leur impact. Depuis, à chaque édition, les JOP s’annoncent toujours plus vert, de Sydney en 2000, en passant par Londres en 2012, jusqu’à ceux de Paris en 2024. Pourtant, les dégâts écologiques causés par leur organisation sont toujours plus importants, et les contestations qui le dénoncent se multiplient. Outre l’ampleur de l’événement qui, en dépit des efforts, s’avère difficilement soutenable, la culture des Jeux Olympiques modernes n’est pas non plus la meilleure alliée de l’écologie. Car derrière l’idéal pacifique, populaire et honorifique du sport se déploie surtout une course à la performance et de tous ses excès.

« Citius, altius, fortius » (« Plus vite, plus haut, plus fort »)
Ces dérives pourraient être résumées rien que par sa propre devise : « Plus vite, plus haut, plus fort ». Une devise choisie par l'inventeur des Jeux Olympiques modernes Pierre de Coubertin lors de la création du Comité international olympique en 1894 et qui symbolise l’idéal olympique et la définition du sport telle que le baron souhaite la diffuser à l’époque. Pour lui, « l’Olympisme n’est point un système, mais un état d’esprit ». Le sport est considéré comme une école de vertu capable d’élever les Hommes (et que les hommes…) physiquement et moralement.

Prônant le risque et le dépassement de soi, il appelle à la « liberté de l’excès » et façonne une célébration du sport moins vertueuse qu’il n’en paraît. Dans un discours prononcé à la veille des JO de Paris en 1924, il le décrit ainsi : « Par son essence, [le sport] tend vers l’excès ; il lui faut des championnats et des records et c’est sa belle et loyale brutalité qui fait des peuples forts et sains ». Derrière « l’amour de la paix », son esprit de l’Olympisme se teinte d’une dimension militaire parfois emprunts de propos misogynes ou colonialistes pour lesquels il est dorénavant pointé du doigt.
Surtout, au fur et à mesure du XXème siècle, la formule s’insère parfaitement dans la culture néo-libérale des sociétés capitalistes qui favorise l’individualisme et la concurrence. Elle sera accusée de pousser à l’exploitation et au dopage des athlètes. « C’est une formule complètement toxique. Soit vous êtes élite, soit vous êtes rien » estime un membre de Saccage 2024, « elle pousse au dépassement indépendamment des conditionnements matériels d’existence et d’accessibilité ». Comme l’explique Jean-Manuel Roubineau, enseignant-chercheur à l’Université Rennes 2 spécialiste d'histoire sociale des cités grecques et du sport antique : « Une part des critiques du Mouvement Olympique considère que le sport de haut niveau et les JO sont des dérives du libéralisme avec une valorisation de la compétition ou l'élaboration de hiérarchies légitimes ». Des critiques qui conduisent le CIO à rajouter le terme « Ensemble » en 2021 pour lui redonner une dimension solidaire et collective.
Le Gigantisme, plus que l’Olympisme ?
Les prouesses ne se limitent pas aux athlètes. L’utopie pacifique et internationaliste de l’Olympisme engendre des événements toujours plus imposants. Taille, budget, nombre de participants, épreuves. En près de 130 ans (1896-2024), nous sommes passés de 14 à 206 pays participants, de 43 à 329 épreuves et de 241 à 10 500 athlètes. Chaque édition donne l’occasion aux villes-hôtes de se donner en spectacle aux yeux du monde entier, mais à quel prix ?

La démesure va du relais de la flamme Olympique qui traverse le globe aux cérémonies d’ouverture toujours plus grandioses en passant par la construction des sites et des équipements pour accueillir les épreuves et les publics. Les JOP d’hiver comme d'été ne se déroulent non sans un aménagement et une logistique colossale qui, en plus des générer des dépenses exorbitantes, laisse derrière elle nombre d’espaces et de populations sacrifiées : à Londres, la destruction d’un lotissement de logements sociaux ; à Rio, celui des favelas ; à Pyeongchang, celui d’une forêt sacrée vieille de 500 ans ; à Paris, une partie des Jardins d’Aubervilliers, etc. En plus d’un siècle, la liste est tristement longue.

Plus qu’une compétition sportive, les JOP sont surtout « une marque transnationale que le CIO cherche à perpétuer pour asseoir son emprise à tous les endroits du monde » souligne le collectif Liseron, auteur de l’ouvrage Défaites vos jeux (369éditions, 2024). Et ce avec les sponsors, les États et villes-hôtes, les industries au niveau local et international (l’audiovisuel, le BTP, la sécurité, etc). « De ce fait, la Machine Olympique agit comme une éclipse sur toutes les conséquences néfastes qu’elle implique » poursuit le collectif.
« Les JOP tiennent d’abord et avant tout par leur entreprise culturelle », estime Saccage 2024. Car faire venir des dizaines de milliers de personnes des quatre coins de la planète sur un site gigantesque et qui change à chaque édition ne pourra jamais être socialement et écologiquement soutenable. Comme l’indiquent les chercheurs de l’étude An evaluation of the sustainability of the Olympic Games publiée en 2021 dans Nature, les deux premières actions à faire pour rendre les JOP soutenables sont de « réduire considérablement la taille de l’événement » et de l’organiser « au sein des mêmes villes ».
Olympie : un modèle de sobriété ?
Pas nécessairement plus éthique, le célèbre concours Olympique de l’Antiquité – qui a inspiré les jeux modernes – est cependant beaucoup plus économe et pourrait peut-être inspirer sur ce plan. Le lieu d’organisation est toujours le même : le sanctuaire d’Olympie dirigé par la cité Élis. Nul besoin donc de fabriquer des sites de toutes pièces à l'occasion des compétitions. Organisé en l’honneur de Zeus, l’événement est entièrement contrôlé et organisé par les autorités publiques de la cité organisatrice.

La compétition dure cinq jours et réunit quelques dizaines d’athlètes pour une douzaine de disciplines. Le site en lui-même est sommaire. Le stade érigé est très peu bâti. Il ne dispose pas de gradin, les personnes sont assises sur deux grands talus de terre qui s'insèrent dans l'environnement. Il n’y a jamais eu d’épreuves de natation car l’aménagement d’un bassin aurait été trop coûteux en ressources. Enfin, pas de coupe, ni de médaille, la seule récompense matérielle des vainqueurs était une couronne d’olivier.
Autour du site sportif, il n’y a aucune infrastructure pour accueillir le public. Pas de restaurant, pas d’hôtellerie. Pour se loger et se nourrir, les environs se transforment en grande foire provisoire. « Des marchands itinérants venaient le temps de la compétition pour vendre du pain, des légumes, du fromage. Le public dormait dans des grandes tentes dans lesquelles ils louaient une place pour dormir à des loueurs de tentes. Des artistes étaient également présents pour le divertissement » raconte Jean-Manuel Roubineau, qui précise aussi : « De manière générale, dans l'Antiquité, les ressources sont rares et précieuses. Il y a une logique d'économie générale car nous sommes dans des sociétés de pénuries plus que d'abondance ». Ce qui n’empêche pas à la compétition d’être la plus prestigieuse de son temps. De quoi donner des idées pour se réinventer ?
Image à la Une : Tennis aux Jeux olympiques d'été de 2020 – Wikimédia Commons







