Premières alertes, premiers débats, premières émissions… que nous apprenait la télé pré-années 2000 sur la crise écologique ? Pour le savoir, plongée au cœur des archives de l'Institut National de l'Audiovisuel, une occasion de voir qu’à la télévision – bien qu'on l’oublie facilement – l’essentiel avait déjà été prédit, dit et redit.
1962 - Alerte à l’Homme, les cris d’alarme du journaliste Nicolas Skrotzky
« Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » À l’écoute des vœux du président Macron en 2023, certains ont dû se retourner dans leur tombe. Parmi eux, probablement le journaliste et auteur Nicolas Skrotzky. Personnalité relativement méconnue, il est un pionnier du journalisme scientifique profondément engagé dans la protection de l’environnement. Dès 1962, il produit une émission documentaire, intitulée Alerte à l’Homme, qui pointe les effets des activités humaines sur la nature. Avec une lucidité précoce, il décrit la réalité des dégradations causées par l’industrie moderne : déforestation, pollution, désertification des sols… Une émission tirée de son ouvrage du même nom publié un an plus tôt dans lequel il dénonce les ravages que nous infligeons à la planète.
« Je pense que c’était indispensable de lancer ce cri d’alerte » explique-t-il dans cet extrait de l’INA, pour faire connaître « cette activité absolument exubérante, extraordinaire de l’Homme dans nos temps modernes, [...] la pullulation humaine, qui font que les conditions de vie se modifient et qu’il faut prendre un certains nombres de décisions pour que cette vie humaine puissent continuer ». Voilà qui est dit. En 1963, il apparaît également dans l’émission scientifique Visa pour l’avenir, plus précisément dans un épisode intitulé Importance de la glaciologie.
Diffusée plus de 20 ans avant que la communauté scientifique s’accorde sur la réalité d’un réchauffement climatique, l'émission montre le journaliste en train de se balader dans les montages pour montrer aux téléspectateurs la baisse significative du niveau d’un glacier et évoquer ainsi le rôle crucial de ces derniers dans la vie sur Terre. « C’est le seul endroit où l’on puisse retrouver le passé et comprendre comment les climats ont varié », indique-t-il, avant d'ajouter : « si les grands glaciers de l’Antarctique venaient à fondre, le niveau des océans monterait d’une centaine de mètres noyant la plupart des villes ! ». En 1990, près de 30 ans après, on le retrouve dans ce JT où il affirme que la fin du monde viendra de l’humain lui-même.
1971 - La France Défigurée, premier magazine télévisuel consacré à l’environnement
« La France devra peu à peu cesser une économie basée sur le gaspillage des matières premières et de l’énergie pour revenir à…de l’économie ! », prévient Claude Guillemin, alors directeur du BRGM (Bureau des recherches géologiques et minières).
À l’été 1971, une émission inédite apparaît sur les écrans de télévision. Intitulée La France Défigurée, elle devient le premier magazine télévisuel dédié à l’environnement. À cette époque, le pays vient de traverser une faste période d’urbanisation et d’industrialisation. Devant l’avènement du confort, du plastique et de la voiture pour tous, la question de la protection de l'environnement prend de l’ampleur. Créé par les journalistes Louis Bériot et Michel Péricard, le magazine sillonne le pays pendant sept ans pour sensibiliser le grand public aux dégâts provoqués sur le territoire : accumulation des déchets, dégradation des paysages et des milieux naturels, pollution de l’eau, de l’air, épuisement des ressources… De nombreux épisodes sont disponibles dans les archives de l’INA. On y trouve des reportages dénonçant la destruction des forêts ou le tout-automobile en ville. Ou bien comme l’épisode ci-dessus, des alertes sur le gaspillage industriel et la surconsommation.
Toutefois, si La France Défigurée contribue à la popularisation de la question écologique auprès des Français, selon l’historien Thibault Le Hégarat elle y présente une écologie « modérée » qui s’éloigne sensiblement de l’écologie politique naissante à cette époque. Le discours suit plutôt une ligne gouvernementale solutionniste qui ne remet pas frontalement en cause le productivisme et le progrès. L’émission naît d’ailleurs la même année que la création du ministère de la Protection de la nature et de l’environnement, qui sera presque aussitôt surnommé le « ministère de l'Impossible ». Néanmoins, elle s’inscrit dans une décennie marquée par une médiatisation grandissante des destructions environnementales, une plus forte généralisation des consciences et la politisation croissante de l’écologie. La France voit émerger la première candidature écologiste aux élections présidentielles de 1974, donnant lieu à ce célèbre passage télé de René Dumont avec son verre d’eau.
Le monde, quant à lui, voit émerger la première conférence mondiale pour l’environnement à Stockholm en 1972, quelques mois après la publication du célèbre rapport Meadows du Club de Rome sur « les limites à la croissance », qui fait l’effet d’une bombe et suscite de vifs débats sur les écrans. Cette décennie est aussi celle des deux chocs pétroliers en 1973 et 1979 qui interrogent la soutenabilité du système en place. Dans les JT, on aperçoit les dirigeants politiques qui appellent à économiser l’énergie ou se mettent en scène pour inviter à limiter le chauffage. À mesure que l’euphorie des Trente Glorieuses touche à sa fin, la surconsommation et l’avenir de la société industrielle alimentent les préoccupations comme les programmes télé.
1979 - La prédiction du vulcanologue Haroun Tazieff : le réchauffement climatique, ce grand incompris !
Durant les années 1960-70, les désastres écologiques en matière de pollution et de destruction de la nature sont donc bel et bien visibles, mais une autre menace se tient tapie dans l’ombre : le réchauffement climatique. À cette époque, l'hypothèse chemine dans les milieux scientifiques et commence timidement à être relayée. À la télévision, on trouve ce documentaire proposé par l’émission Les Mystères de la Terre en 1977 qui fait état du risque potentiel de l'augmentation de gaz carbonique dans l'atmosphère. Cependant, les connaissances scientifiques ne sont pas encore assez abouties, et de multiples incertitudes demeurent. Dans ce JT de 20h de TF1 de 1978, le journaliste évoque la possibilité d’un réchauffement climatique mais aussi la difficulté des scientifiques à « comprendre la physiologie du grand organisme planétaire ».
Face aux incertitudes, ceux qui osent l’aborder sérieusement sont difficilement écoutés, comme le montre ce passage télé, désormais bien connu, du vulcanologue Haroun Tazieff sur le plateau de l’émission Les dossiers de l’écran en 1979. Dans cet extrait, le scientifique explique que la pollution industrielle émet d’énormes quantités de gaz carbonique dans l'atmosphère qui, par un effet de serre, risquent de provoquer un réchauffement généralisé de la planète de +2 à +3°C conduisant à une fonte des glaces et la submersion des littoraux. « C’est du baratin ! », lui rétorque sèchement le commandant Cousteau, estimant que les océans et la végétation font office de « correcteurs automatiques », lui-même soutenu par un animateur qui ne veut pas « paniquer les populations ». Sur le plateau, même le glaciologue Claude Lorius, éminent scientifique et figure historique de l’alerte climatique, récemment décédé à l’âge de 91 ans, répond à son tour de façon très prudente.
Malgré tout, 1979 reste une année importante dans l’histoire du climat. En février, plusieurs mois avant la diffusion de l’émission, s’est tenue la première Conférence mondiale sur le climat à Genève réunissant des spécialistes de 53 pays. Puis, pendant l’été est publié le « rapport Charney », dont les simulations prévoient qu’un doublement de concentration de CO2 dans l'atmosphère provoquerait une élévation globale de la température comprise entre +1,5°C et +4,5°C. Plus de 40 ans plus tard, rien ne lui donne tort. Mais à cette époque, le rapport est resté sans effet. « Il n'a pas permis de lever totalement les doutes, analyse Sylvestre Huet, journaliste scientifique spécialiste de la question climatique. Sur le plan scientifique, parce qu'il reposait uniquement sur des simulations numériques mathématiques. Puis, sur le plan politique car il n’y avait quasiment aucune analyse sur les conséquences de ce réchauffement en termes de risque pour les sociétés humaines ».
1989 - La première télé du climatologue Jean Jouzel : entre urgence et prudence climatique
La décennie 1980 marque un tournant dans la prise de conscience. En 1987, les scientifiques Jean Jouzel et Claude Lorius font la Une de la prestigieuse revue scientifique Nature grâce à la publication de leurs travaux sur les forages de glaces qui attestent formellement du lien entre la concentration de CO2 dans l’atmosphère et la température de la planète. Plus celle-ci augmente, plus la Terre se réchauffe, et inversement. « Cette fois-ci, grâce au passé, on a la preuve scientifique par le terrain. C’est ce qui change la donne » décrypte Sylvestre Huet. Cette découverte contribue à la création du GIEC en 1988. Dans cet extrait télé, nous sommes en 1989 dans le journal du 12h-13h, c’est la première fois que Jean Jouzel apparaît à la télé française pour parler du réchauffement climatique. Face à lui, l’attitude détachée, voire presque amusée de la journaliste tranche avec le sérieux du problème. Rien de très étonnant à l’époque : jusqu’à la fin des années 80, devant la prudence des scientifiques, les médias se montrent peu regardants vis-à-vis de l’enjeu climatique. Heureusement, ce genre de scènes choque davantage aujourd'hui.
Autre exemple, dans « L’assiette anglaise », une émission de société populaire au ton volontairement décalé. On trouve ce reportage de la journaliste Brigitte Simonetta qui tente d’expliquer la réalité du réchauffement climatique imputable aux activités humaines, et ses conséquences possibles, face à des collègues hilares qui concluent ses propos par un « Et puis vous êtes contente ? ». Bien que la journaliste mette clairement en lumière la problématique, l’ambiance bon enfant qui règne sur le plateau vient balayer la gravité de la situation. Même chose lorsque l’émission part à la rencontre d’un « élu écolo » présenté un peu comme une bête de foire ou encore lorsqu’elle traite des rejets de gaz par les vaches. Le climat est mis à distance comme dans ce JT de 1989 dans lequel le journaliste fait part d’un rapport alertant sur la possible montée des eaux qu’il nuance d’un « Mais gardons-nous bien de dramatiser ! ». Ou à cet extrait télé de Thalassa dans lequel le présentateur ponctue les explications du chercheur Jacques Merles par « Mais c’est encore loin tout ça non ? ».
1990 - Un jour sans fin ?
1990, c’est la sortie du premier rapport du GIEC. Les connaissances sur le climat s’affinent et s’affirment. Cette décennie marque les débuts de ce qu’on peut qualifier comme un éternellement recommencement médiatique dans le traitement de l’information sur l’urgence écologique et climatique : du Sommet de Rio en 1992 qui « n’a pas tenu ses promesses », à la première COP en 1995 au cours de laquelle un présentateur – inconscient ou déjà désabusé ? – s’interroge de « l’utilité d’une telle réunion », une année 1995 enregistrée comme « l’année la plus chaude » illustrée avec des images de plages et de baignades joyeuses… Aujourd'hui, près de 30 ans ont passé et les choses ont relativement peu évolué. « Cela fait 60 ans qu'on nous en parle ! L'actu, c'est la dictature de la mémoire courte ; à l'INA on essaye d’être les garants de la mémoire longue » souligne Richard Poirot, rédacteur en chef de l’Ina. Déjà plus de 60 ans que la télé nous dit que « notre maison brûle » mais que nous « regardons ailleurs ».