Joanie Lemercier : « J'amplifie les messages des activistes en les rendant esthétiques » ⏚

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màj en août 2024

À la Une : © Projection : Joanie Lemercier. Photo : Stéphane Burlot.

La veille de l'annonce de dissolution du mouvement écologiste Les Soulèvements de la Terre, l'artiste visuel et activiste Joanie Lemercier a projeté des messages de soutien sur la façade de l'Assemblée nationale. Un geste autant artistique que politique, car les deux sont aujourd'hui indissociables pour lui. Interview.

Un logo, un slogan. « On ne dissout pas un soulèvement », ont protesté les murs de l'Assemblée nationale mardi 20 juin, veille de l'annonce de la dissolution des Soulèvements de la Terre en Conseil des ministres. Les députés n'ont pourtant rien à voir dans la manœuvre, même s'ils représentent à la chambre basse les près de 150 000 sympathisants·tes du mouvement écologiste. L'action est signée de Joanie Lemercier, 41 ans, « artiste visuel et activiste du climat », comme il se définit lui-même. 

Habitué des happenings utilisant projections et lumières, il a utilisé ses outils de prédilection pour dénoncer l'incohérence de la dissolution du mouvement Les Soulèvements de la Terre, derrière des mobilisations contre les méga-bassines, l'agrandissement de carrières de sable ou des projets autoroutiers. Il explique ce geste à Carbo, ses influences artistiques et politiques, et pourquoi il est indispensable selon lui de lier art et activisme, en particulier sur les questions écologiques. 

Pourquoi avez-vous mené cette action de projection en soutien au Soulèvement de la Terre ? 

Joanie Lemercier : Cela fait quatre ans que je suis très sensible aux actions de différents groupes écologistes, comme Extinction Rebellion ou Friday For Future, qui appellent à faire de la désobéissance civile pour essayer de changer les lois et d'améliorer la société. Je trouve les actions qu'ils mènent très inspirantes. Elles représentent une forme d'élan pour moi. 

Initialement, je suis plus impliqué sur les actions autour des énergies fossiles et de la justice sociale. Mais je me suis retrouvé un peu par hasard à Sainte-Soline il y a quelques mois [à l'appel des Soulèvements de la Terre notamment, une manifestation a réuni le 25 mars plus de 30 000 personnes pour lutter contre les méga-bassines]. J'ai été très choqué par les violences policières, les 200 blessées, les deux personnes qui se sont retrouvées dans le coma.... 

© Joanie Lemercier

Puis j'ai été abasourdi ensuite par l'attitude du pouvoir envers les Soulèvements de la Terre, en qualifiant d'« écoterroristes » autant des personnes comme moi, des artistes, des intellectuels, que des activistes de terrain prenant part à leurs actions ou soutenant le mouvement. Mon geste est venu de cette rage que le pouvoir et Gérald Darmanin ont créé chez nous. Pour moi, l'objet des Soulèvements de la Terre, par leur volonté de protéger l'eau et les terres agricoles, de vouloir obtenir un accès plus démocratique à ces ressources, me semble être fondamental. 

Parlement britannique, Londres, Octobre 2019 © Joanie Lemercier

Qu'est-ce qui a guidé votre choix vers l'Assemblée nationale ? 

J. L. : Choisir des lieux de pouvoir pour faire des projections n'était pas une première. En 2019, je l'avais déjà fait sur le parlement britannique et le Buckingham Palace lors de la première action nationale d'Extinction Rebellion à Londres. C'est une façon de confronter le pouvoir dans ses propres espaces. Je pensais aussi à l'Élysée ou au ministère de l'Intérieur. Mais le choix s'est finalement porté sur l'Assemblée nationale car la projection était assez facile à réaliser depuis le pont. 

C'était aussi important de montrer symboliquement que les Soulèvements de la Terre ne sont pas uniquement à Sainte-Soline ou près de la liaison ferroviaire Lyon-Turin. 

L'Assemblée nationale, c'est le lieu de la représentation du peuple. Les parlementaires doivent porter la parole politique des gens qui les ont élus. Or, ce qui me choque actuellement, c'est que notre société devient de plus en plus autoritaire et qu'on retire progressivement le pouvoir démocratique aux élus, avec l'utilisation à plusieurs reprises de l'article 49.3 pour faire adopter des lois en force. 

Faire passer des messages politiques en tant qu'artiste vous protège-t-il ? 

J. L. : Le statut un peu sacré de l'artiste m'a toujours protégé pour l'instant. Là, devant l'Assemblée nationale, j'ai été contrôlé par une quinzaine de gendarmes et de policiers. Ils m'ont questionné, mais au bout de 45 minutes, ils se sont rendus compte que j'étais très sympa, très cordial et ils ont même trouvé ça plutôt intéressant et rigolo comme mode d’action. Comme la projection n'amène pas de dégradation, que dès que le projecteur est éteint tout disparaît, ce côté éphémère m'apporte une forme de protection. 

© Projection : Joanie Lemercier. Photo : Stéphane Burlot.

Comment votre parcours artistique vous a-t-il amené à faire ce type de projection ? 

J. L. : Je pratique les arts plastiques et numériques depuis tout petit. J'ai toujours travaillé sur ordinateur, sans doute parce que je voyais ma mère, professeure de dessin assisté par ordinateur, faire pareil. J'ai d'abord travaillé autour de motifs géométriques et de la représentation des paysages à partir d'outils numériques. J'étais très inspiré par le concept du sublime dans l'histoire de l'art, qui a été beaucoup exploré par les peintres allemands du 18e siècle. 

Puis un paysage a changé ma vie : celui d'une mine de charbon en Allemagne, de 8 kilomètres de long sur 5 kilomètres de large, avec des machines qui creusent jusqu'à 400 mètres sous la surface du sol. C'était un paysage de fin du monde, j'avais l'impression d'être dans Mad Max : la fumée des centrales à proximité couvrait le ciel, l'air était difficile à respirer, les machines avaient tout détruit autour, les forêts comme les villages...  C'était en 2019 et à partir de ce moment-là, j'ai commencé à suivre les activistes sur place pour essayer d'amplifier leur voix. 

Vidéo Slow Violence réalisée par Joanie Lemercier en soutien aux militants d’Ende Gelände,
mouvement de désobéissance civile allemand contre l’exploitation du charbon. 

J'ai deux approches pour le faire : en documentant leur travail et leurs actions à travers des photos ou des vidéos qui sont ensuite montrées dans des galeries, des musées ou parfois la presse. Les vidéos que j'ai réalisées avec un drone à Sainte-Soline ont par exemple permis au Monde et à Libération d'enquêter sur les violences policières commises lors de cette mobilisation. Ou bien j'effectue des projections sur des bâtiments. Cela me permet d'amplifier les messages des activistes en les rendant visuels et esthétiques. 

Le monde de l'art traditionnel est-il réceptif à votre manière de travailler ? 

J. L. : Le monde de l'art traditionnel, avec ses foires ou ses institutions, n'est pas très intéressé par la justice sociale. Il est lié à un marché qui, comme tous les autres, ne se pose pas trop de questions éthiques. Je me suis un peu détaché de mes ambitions de vouloir changer les choses dans le monde de l’art. Surtout, j'ai trouvé des commissaires d'expositions qui accueillent ma pratiques à bras ouverts et qui sont très heureux d'amener dans leurs musées ces questions sociales et environnementales. Mon documentaire « Slow Violence » a par exemple été vu par presque 250 000 personnes l'année dernière. Mes installations ont aussi déjà été montrées en Espagne, au Pérou et au Mexique... 

Faire de l'art engagé est désormais un sacerdoce pour vous ? 

J. L. : Rétrospectivement, je me rends compte qu'avant, j'étais dans ma bulle de privilégié et que ma pratique était détachée de questions qui aujourd'hui me semblent fondamentales comme la justice sociale et environnementale. Les mouvements avec lesquels je travaille depuis quelques années estiment que la crise actuelle n'est pas seulement environnementale mais ontologique, que c'est une crise des valeurs. Ils s'intéressent aussi à des sujets annexes comme les inégalités, le féminisme... Je suis ainsi devenu moi-même plus sensible à ces questions sociétales au-delà du CO2 et du charbon. 

Tout cela m'a poussé à réfléchir à ma pratique, que je pensais neutre au départ. Aujourd'hui, c'est tout l'inverse : la neutralité, cela signifie accepter le statu quo et la situation actuelle et pour moi c'est catastrophique. La neutralité dans l'art est un leurre, selon moi. Dans le monde idéal auquel j'aspire, les artistes seraient plus actifs. Car plus on voit d'artistes rejoindre ces mouvements écologistes ou revendiquant moins d'inégalités, plus on sent un enthousiasme et une joie dans la lutte. 

© Joanie Lemercier
Mathilde Doiezie
Mathilde est journaliste. L'écologie, c'est son dada, pour changer positivement la face du monde. La culture, elle en est gaga, pour affronter tout ça avec entrain.
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