Faut-il rire à gorge déployée contre l'adversité du changement climatique ? Pour les stand-uppers du Greenwashing Comedy Club, ça ne fait aucun doute. Rencontre.
Vendredi soir. La salle, cachée derrière le bar de l’Académie du Climat à Paris, est bondée. Et surtout très occupée à crier « Green ! » ou « Bouh ! » en réponse à des questions aussi pointues que : « Rouler en vélo ? » (green, sans hésitation), « rouler en SUV » (bouh unanime), ou « rouler en SUV sur Bernard Arnault » (silence, puis rires). La soirée du Greenwashing Comedy Club a commencé. À l'issue de la soirée, nous avons rencontré Rafaella, une de ses membres, pour en apprendre plus sur le comedy club qui monte plus vite que les températures globales.
C’est quoi, le Greenwashing Comedy Club ?
Rafaella : C’est un collectif d’humoristes lancé il y a deux ans et demi par Anne Dupin. À Paris, il y avait déjà une scène d’humour engagée, notamment sur les questions liées au genre. Mais l’écologie était soit absente, soit traitée par des blagues du genre : « oh, un vegan tout faible, tu peux pas me taper, espèce de lapin ! »...
L’idée c’est surtout de donner un espace d’expression sur ces sujets. On veut créer un espace inclusif, où les gens se sentent bien, même si on ne fait pas que des blagues béni-oui-oui ; on peut être méchants avec les autres – et avec nous-mêmes.
Ça ne veut pas dire que tous les membres du comedy club sont super engagés, mais nous avons tous un rapport à l’écologie, qu’on perçoit comme le grand sujet de notre temps. On le traite chacun via notre prisme personnel, et oui, certains sont même passés par des éco-villages. Nicolas Benoit le raconte d’ailleurs dans un sketch avec des personnages hauts en couleur.
De mon côté, je me suis lancée dans le stand-up il y a un an, et mon premier sketch portait sur ma vie de Parisienne écolo pleine de contradictions. Dans le « civil », je conseille des chefs d’entreprise sur des sujets de transition et finance durable, et je vois aussi passer pas mal de contradictions. Je ne voulais pas forcément faire du stand-up engagé, mais c’est un art où l’on parle beaucoup de soi, donc l’écologie trouve naturellement sa place dans mes sketchs.
Crise climatique, extinction de masse, inaction des politiques… Est-ce qu’on peut rire sur une planète qui brûle ?
Rafaella : On DOIT rire sur une planète qui brûle.
Ça permet plusieurs choses. D’abord, ça met en lumière les incohérences qui nous entourent, en apportant des angles de réflexion nouveaux. Les vannes du compte parodique Malheurs Actuels ou les révélations ahurissantes du compte militant Perle de Greenwashing me donnent parfois de vrais arguments quand je discute de sujets liés à l’écologie.
Et puis surtout, l’humour permet de faire baisser la pression, alors qu'on n’a pas envie de lutter quand on est en PLS.
L’humour est-il l’arme anti-greenwashing par excellence ?
Rafaella : Par excellence, je ne sais pas, mais c’est une arme complémentaire. Si on faisait seulement des blagues sur le sujet, sans le travail d’enquête d’une Élise Lucet de l’écologie, ça ne serait pas suffisant. À l’inverse, si on a seulement un ton moralisateur, les gens peuvent se détourner du message.
L’humour permet de souligner l’absurdité de certaines situations : quand on a appris que la Cop28 serait présidée par un magnat du pétrole, je me suis dit que la vie faisait de meilleures blagues que moi.
Est-ce que vous avez créé le collectif pour montrer que les écolos étaient marrants et pas barbants ?
Rafaella : C’est hyper joyeux d’être écolo aujourd’hui. Quand on voit les chars Alternatiba (mouvement citoyen pour le climat et la justice sociale, ndlr) qui animent les manifestations en musique et qui continuent la soirée en chantant « Taxer les riches ! », quand on voit toutes les pages de memes écolos, ou encore quand on participe au Katar Pas Oké (un karaoké contre la coupe du monde du Qartar, ndlr), on est dans quelque chose de radicalement inclusif et rigolo.
On a par exemple organisé une soirée avec NdFlex (communauté dénonçant la Flexibilisation du marché du travail ndlr), Malheurs Actuels et Katar Pa Oke intitulée « La Grande Bamboche de la valeur travail », pendant laquelle l’on animait notamment un jeu avec un avocat en droit du travail, « N’oubliez pas les prud’hommes » (dans lequel il s’agissait de répondre « Viré ! » ou « Pas viré ! » à l’exposition de différentes situations de conflits professionnels, ndlr). On invente de nouveaux imaginaires pour passer plus de temps à profiter et oui, peut-être moins à travailler. Ça s’oppose aussi au cliché du stand-up comme un art individuel et égocentré. On prépare nos vannes ensemble, on se voit en dehors des dates…
Une estrade, un micro, un public. Le stand-up serait-il zéro émission carbone par définition ?
Rafaella : Les comedy clubs dans lesquels tu joues dans un bar avec deux chaises, c’est clairement frugal. Après, ça reste un spectacle, et donc une industrie, notamment pour les tournées. Quand j’ai fait l’atelier 2tonnes, j’étais surprise de voir que ma consommation carbone venait principalement de l’événementiel. Je ne sais pas quelles sont les hypothèses derrière le modèle, mais pour une date il y a forcément des gens qui se déplacent, de l’énergie qui est consommée…
T’est-il déjà arrivé de te produire face à un public pas franchement écolo, voire hostile ?
Rafaella : La première fois que j’ai fait un sketch écolo, je suis arrivée sur un plateau et j’ai lancé : « Par applaudissement, est-ce qu’il y a des écolos dans la salle ? ». Silence…
Après, un bon sketch écolo, c’est avant tout un bon sketch. Un de mes derniers raconte mes vacances avec mes amies « pas écolos ». Il est né quand, un matin, une d’elle est entrée dans ma chambre pour me dire « Rafaella, on s’apprête à jeter le marc de café, est-ce que tu en veux ? ». Mais je ne l’ai pas écrit seule : je l’ai fait lire à mes amies, et on en a discuté. C’est comme ça que j’ai pu inclure leur point de vue, le « Rafaella, tu nous fais peur ! ». Je finis le sketch en disant qu’on n’a pas trouvé de disponibilités communes pour nos prochaines vacances, vu que j'étais disponible du 1er juin au 31 août et qu'elles, c'était pile le créneau où elles étaient pas disponibles. Les gens viennent parfois me voir à la fin du spectacle en me demandant si j’ai trouvé une solution pour l’été. Mais oui, c’était une vanne ! Par contre, la solitude que l’on peut ressentir quand notre entourage ne partage pas nos convictions, elle, est bien réelle…
C’est facile de faire des blagues à l’Académie du Climat, mais on veut aussi aller sur des lieux dans lesquels les gens sont moins sensibilisés. Et c’est en train d’arriver, notamment grâce à la presse. Les gens entendent parler de nous et nous contactent : on va se produire pour l’ouverture d’un café culturel dans un village près d’Amiens, au festival des Petits Frères des Pauvres à la Recyclerie (Paris 18e) le 1er juillet …
Rire à un sketch ne fera pas changer directement les comportements, mais une graine sera plantée – on n’oublie pas une bonne blague. J’ai envie de tendre vers un humour incisif mais pas moralisateur.
Te considères-tu comme activiste ?
Rafaella : Oui, y compris hors de la scène. Je ne suis pas sûre que ça soit le cas de toutes les personnes dans le collectif, mais je considère que l’humour fait grandement partie de mon activité militante. En une semaine, je peux parler à 300 personnes, je ne vois pas ce que je pourrais faire de mieux pour l’instant.
Une blague pour résumer le rapport du GIEC ?
Rafaella : J’aime l’approche de Mateo Bales, qui passe encore une fois par le décalage entre le côté « Salut les petits loulous » des influenceurs, et le « on est dans la meeeeerde ! ». C’est un sujet tellement grave, et faire le détour par l’humour montre qu’on ne peut pas le traiter à la légère.
Où peut-on vous voir ?
Rafaella : On bouge de plus en plus, et toutes nos dates sont annoncées sur notre compte Instagram !