Auteur jeunesse célèbre pour ses mots-valises, ses dessins entraînants et ses millions d’exemplaires vendus, Claude Ponti aborde un foisonnement de sujets dans ses livres : découverte des émotions, aventure, création des familles, deuil... Mais un sujet est encore trop rarement mis en avant, alors qu’il infuse pourtant une grande partie de son œuvre et ce depuis un bon moment déjà : le rapport entre ses personnages, la nature et leur environnement. Parfois explicites, parfois au second plan, les questions écologiques qui en découlent sont une intéressante facette du travail de l’auteur à souligner.
Qu’ils occupent une place centrale dans le récit ou qu’ils servent de toile de fond, les environnements naturels, magnifiquement dessinés, ponctuent la plupart des albums de Claude Ponti. Il y illustre souvent la richesse et les enseignements qu’ils peuvent nous procurer.
Par exemple avec Au fond du jardin en 1996, qui décrit la vie d’un petit écosystème autour d’une citrouille. Pour résumer : « Au fond du jardin, vous croyez qu’il ne se passe rien ? Quelle erreur… Une souris a l’air de chercher la meilleure fraise pour son amie, deux papillons semblent espionner une fourmi qui transporte une feuille rouge… En fait, ils sont en train de faire une tête de clown au melon ! » Ou dans Okilélé, paru en 1993, quand cet enfant maltraité décide de quitter son foyer pour apprendre à « parlophoner » avec les étoiles. Après quelques mésaventures, il arrive dans une forêt et devient un arbre : grâce à ses racines qui plongent profondément sous terre, ses branches qui s’étirent dans le ciel et les oiseaux qui emménagent sur sa tête, il comprend les mystères de l’univers et peut « parlophoner » avec le monde entier.
La nature : ni parfaite, ni maléfique
Même lorsqu’ils sont un arrière-plan, les environnements naturels sont souvent des terrains d’exploration pour les héroïnes et héros de Ponti, pour qui le voyage et la découverte sont des thèmes centraux. La nature qui se révèle au cours des périples de ses personnages peut autant abriter des dangers que des alliés.
Tantôt terrifiante, comme dans Pétronille et ses 120 petits (1990), où l’héroïne doit, entre autres, échapper à une forêt de plantes carnivores, tantôt intrigante comme la Forêt Profonde plantée par Mine dans L'Écoute-aux-Portes (1995), la nature est présentée chez Ponti comme une notion complexe, qui n’est ni placée sur un piédestal de pureté, ni affichée comme devant être nécessairement maîtrisée pour servir les héros. Cette représentation loin des dichotomies habituelles encourage une relation de curiosité et de collaboration avec l’environnement, détaillée dans plusieurs œuvres majeures de l’auteur.
Habiter les environnements
La nature devient parfois la maison par essence, par exemple dans le sublime Ma vallée, paru en 1998. Les Touim's y vivent dans des Arbres-Maisons et en harmonie avec leur environnement : ils savent jouer avec le vent et sous la pluie, récoltent des fruits géants en été et les dévorent en hiver… Les dessins époustouflants de cet album nous transmettent la splendeur de la vallée et l’attachement des Touim’s à leur lieu de vie. Même la « Forêt de l’Enfant Perdu » n'est pas si dangereuse, car ils ont appris à s’y déplacer avec des fils pour se retrouver.
Dans L’arbre sans fin (1992), Hipollène et sa famille explorent joyeusement l’arbre géant qui abrite leur maison. Ils savent utiliser ses ressources dans la bienveillance, par exemple en chatouillant une glousse, une plante qui donne ses graines lorsqu’elle éclate de rire. Hipollène peut également se réfugier dans un feuillage tranquille pour pleurer lorsque sa grand-mère meurt, mais elle se transforme en larmes et chute dans les racines. Elle y découvre un monde terrifiant, notamment à cause du monstre Ortic, et apprend à y survivre pour pouvoir retrouver sa famille comme une grande.
L’harmonie avec l’environnement se retrouve également dans Le Fleuve, album paru plus récemment en 2018. Les Oolongs et les Dong-Ding (peuples qui peuvent choisir de se réincarner dans le genre de leur choix) profitent des richesses de leur habitat, chacun à sa manière : les Oolong préparent des végétaux en excellents plats qu’ils échangent avec d'autres peuples, tandis que les Dong-Ding stockent des ressources telles que les « plantosoins » pour les troquer également.
La maison en danger
Ces questions sont abordées avec plus de tensions encore dans Blaise, Isée et le Tue-Planète, sorti en 2021. En écho aux dangers de la crise climatique, Claude Ponti y raconte l’histoire de ses célèbres poussins et d’Isée, qui doivent aller détruire un Tue-Planète, un monstre qui traverse l’univers et ravage toutes les planètes sur son passage. Il les glace, les brûle, y fait pousser des forêts mortelles…
Cette métaphore très claire de la crise écologique est bien sûr vaincue par les poussins et leur vaisseau géant, mais ce n'est pas sans peine. Leur maison finit détruite et ils récupèrent de nombreux rescapés des autres planètes, pour reconstruire ensemble une vie dans de nouveaux environnements.
Avec son empathie habituelle, Ponti souligne ainsi la causalité entre le dérèglement climatique et les déplacements de population, l’accueil et l’aide des réfugié·es étant encore trop peu pris en compte dans les discussions autour de l’écologie. Sur ce sujet comme sur tant d’autres, il sait ouvrir les yeux des petits, et des grands, sur ce qui compte vraiment.
Tous les albums de Claude Ponti sont à retrouver chez L’École des loisirs.