Le surf est un monde à part fait de codes et d’usages. Il se démarque des autres disciplines sportives en raison de l’état d’esprit développé par ses adeptes. Les pratiquants nouent un lien profond avec la nature, allant jusqu’à façonner leur quotidien : un surfeur attend la bonne vague, il se rend disponible à elle et non l’inverse. Patience et observation sont donc les fondamentaux de tout pratiquant, caractérisant cette cool attitude généralement rattachée au surf.
« Le vent souffle offshore, la déferlante est mauvaise chef ». Ce n’est qu’à la plage en bord de mer qu’il est possible d’entendre ce genre de remarque. Et elle sera généralement émise par quelqu’un affublé d’une planche sous le bras l’air mécontent, car ce qu’il vient de dire c’est tout simplement que les conditions ne sont pas réunies pour pouvoir rider la puff. Le surf, de son nom complet difficilement traduisible en français surfriding, est un langage, un sport, une passion et bien plus encore : c’est une communauté qui partage un mode de vie. Les pratiquants développent une proximité singulière avec la nature et par conséquent un engagement militant en faveur de l’environnement.
Un lien charnel et spirituel avec la nature
Bien plus qu’un simple sport, le surf est un état d’esprit aux antipodes de celui véhiculé par l’homo economicus qui conçoit l’Homme comme un conquérant de la nature. Contrairement à cette perception anthropique, le surfeur dépend de la mer et de la clémence de l’océan. Il le contemple, l’observe, l’analyse et reste humble face à celui-ci. Le surfriding guérit cette fracture entre l'humain et la nature, par la création d’un lien presque charnel, avec pour intermédiaire la planche de surf. Un lien qui, aux origines, est même spirituel. Car l’histoire du surf ne débute pas sur la côte ouest californienne des États-Unis, mais dans l’archipel d’Hawaï où le surf portait un tout autre nom : le « He'e nalu » qui signifie littéralement « glisser sur les vagues ». Sa pratique, sacrée, était réservée aux chefs et aux membres de l’élite hawaïenne et souvent associée aux célébrations et rituels religieux. Pour les surfeurs hawaïens, les vagues étaient le résultat de forces divines et certains lieux réputés pour leurs vagues puissantes et majestueuses étaient tabous, c’est-à-dire interdits au peuple. L’explorateur James Cook est l’un des premiers à découvrir cette pratique inédite aux yeux des Occidentaux au XVIIIème siècle. Il découvrait des hommes nus se laissant glisser au gré de l’écume et une population passant la plupart de son temps dans l’eau, à tel point que les Occidentaux pensaient ces peuples autochtones comme amphibiens. Réinventé dans les années 1900, cette pratique qui relevait davantage d’un loisir et d’une expression culturelle, devient un sport tel que codé par les anglo-saxons. Jack London est un des précurseurs de cette nouvelle dynamique. Il débarque sur la célèbre plage de Waikïkï à Hawaï, où il fréquente le premier club du monde : l’Outrigger Canoe Club. En découvrant cette pratique « royale », il écrit son premier texte destiné aux lecteurs occidentaux. Il participe non seulement à l’expansion de ce sport mais fait aussi émerger un nouveau rapport au corps, valorisant le hâle.
🖐 Il qualifie dans ses écrits le surf de sport royal en référence à l’histoire de cette pratique mais également à l’aisance et à l’habileté des Hawaïens à se mouvoir sur leur planche, élégamment et majestueusement comme des dieux vivants : « A Royal Sport. That is what it is, a royal sport for the natural kings of the earth. » (Jack London, La croisière du Snark, 1911)
Le surf est une histoire d’appropriation : les Américains se sont emparés de cette culture auprès des autochtones et l’ont démocratisée dans le monde entier. Elle s’est progressivement dépourvue de son sens religieux et sacré, mais aussi de son caractère culturel et politique pour devenir un sport ou un loisir. Mais le lien charnel et spirituel entre l’océan et le surfeur perdure. Surfer est une ode à la vie qui procure de puissantes sensations, encourageant les passionnés à toujours repousser les limites et défier les possibles. Piqué par cette adrénaline addictive, Johnny Strange en a fait les frais. Dans American Daredevil : Né Pour Voler, on y voit le jeune américain plus vivant que jamais lorsqu'il maîtrise la vague ou le vent, ne pouvant envisager sa vie sans ce goût du risque, au péril de sa propre vie : à l’âge de 23 ans, il effectue son ultime saut en wingsuit dans les Alpes. La communauté du surf est une communauté accro à la vie, à la vie intense.
Liberté, voyage et contre-culture
Dans l’imaginaire occidental, le surf est associé à cette vie décalée et détachée de toute contrainte. Au cours des années 1960 – 1970, le surf devient synonyme de « liberté » et de « voyage », appelant à un retour à la nature. Il est le moteur d’un mode de vie qui s’oppose à l’American Way of Life et qui s’insère dans le mouvement contestataire hippie, fortement influencé par la Beat Generation. Aux Etats-Unis d’après-guerre émerge une jeunesse insouciante et calme, qui vit au rythme de la plage. Elle souhaite se rendre disponible aux vagues qui, elles, imprévisibles, ne permettent pas de se plier à la rigidité du système capitaliste. Cette génération aspire à un autre quotidien et se met en marge de la société, revendiquant une autre façon de voir et de vivre le monde. Le surf est le vecteur qui lie les membres de la communauté entre eux, avec des principes et des valeurs partagés. Kathryn Bigelow dépeint cette jeunesse marginale dans Point Break : extrême limite et représente la figure populaire du surfeur californien qui rejette les valeurs prônées par la société capitaliste. Incarné par Patrick Swayce, Bodhi est l’idéal-type du surfeur qui chevauche les vagues tout en militant contre ce « système » destructeur. Redoutable sur les vagues mais aussi dans ses convictions, il prend le lead et mène sa communauté dans cette lutte contre le dictat capitaliste. Ce mouvement de contre-culture est également le sujet du documentaire de Bruce Brown, sorti quelques années auparavant. Le réalisateur suit deux surfeurs Mike Hynson et Robert August, dans leur quête de la vague parfaite. États-Unis, Afrique, Australie, Nouvelle-Zélande, Tahiti puis Hawaï, ils parcourent les plages du monde entier pour un Été sans fin.
Ces œuvres cinématographiques mais aussi les divers journaux comme Surfer’s Journal pour les États-Unis et Surf Session pour la France, construisent cette représentation populaire du surfeur et démocratisent la pratique de ce sport. Dans l’imaginaire commun, le surfeur se présente comme celui au teint halé, aux cheveux longs et souvent délavés par le mélange de sel et de soleil, qui parcourt les spots de surf en van à la recherche de la vague. Celui qui se plie à la discipline de ce sport et qui construit son quotidien selon celui-ci, par la pratique du yoga et de la méditation tout en recherchant l’harmonie avec les éléments.
Dans le creux de la vague ?
Les surfeurs ont une relation privilégiée avec l’océan. Ils se retrouvent au cœur de l'interaction entre l'énergie marine et l'énergie terrestre, une rencontre pouvant être aussi violente qu'apaisante. En occupant ce lieu de contact entre l’océan et la terre, ils sont aussi les premiers à observer les effets du changement climatique et de la pollution humaine. Provenant du large, les rejets anthropiques sont particulièrement visibles sur les plages et font l’objet d’un important militantisme parmi les surfeurs, soucieux de protéger les plages et les océans. Plus ou moins gros, plus ou moins visibles, ces déchets et substances nocives polluent les eaux et détériorent l’écosystème marin.
Dans le documentaire White Waves, le combat des surfeurs, plusieurs surfeurs tristes, frustrés ou en colère face à l’augmentation des déchets décident d’en comprendre l’origine et de lutter contre leur propagation. Parmi eux, François Verdet voit de petites choses en plastique s’accumuler sur la plage de Guéthary, le long de la côte ouest de la France. Pour retrouver les Vagues Blanches (« White Waves »), l’équipe de White Waves a donc voyagé pendant deux années parcourant les plages d’Europe, pour rencontrer ces surfeurs et révéler des pollutions encore méconnues du grand public.
Le Surf Way of Life a la particularité de réunir autour d’une pratique commune mais aussi autour de certaines valeurs, comme celle d’un retour vers la nature. Ce lien privilégié qui lie les pratiquants et l’océan est précieux et souhaitable pour assurer la pérennité des écosystèmes marins et lutter contre les rejets nocifs qui polluent les eaux. Surtout, il n’est jamais trop tard pour apprendre à rider.