Dix ans après leur premier « Tour de France des alternatives », la rédaction de Reporterre revient avec une nouvelle série stimulante de reportages sur les utopies concrètes mises en place par de multiples organisations en France.
De l’air, de l’air ! Alors que nous sommes ensevelis sous les mauvaises nouvelles environnementales (renoncement du gouvernement à mettre en place un plan de réduction des pesticides digne de ce nom, réduction drastique des aides à la rénovation énergétique des bâtiments, violences répétées à l’égard des militants écologistes, etc.), voilà que ce court ouvrage rédigé par les jeunes journalistes de Reporterre tombe à point. En onze reportages, le désormais célèbre « quotidien de l’écologie » nous donne à voir des femmes et des hommes ayant pris leur courage à deux mains – et le taureau par les cornes – pour vivre et faire vivre leurs concitoyens de manière soutenable et solidaire. Et ça fait du bien.
Un immense champ de possibles
Groupements de paysans se démenant pour proposer une alimentation saine pour tous, pêcheurs rebelles pêchant à la ligne pour protéger les fonds marins, maraîchères en lutte sur le futur site d’enfouissement des déchets nucléaires, compagnies de voiliers faisant concurrence aux gros ferrys touristiques… Quelle que soit la thématique écolo qui vous tienne le plus à cœur, il y en a pour tous les goûts et pour tous les coins. Ces « minuscules révolutions » sont en effet portées par des individus ou des collectifs éparpillés partout en France, en Bretagne, en Normandie, en Aveyron, dans la Drôme, à Montpellier, à Nantes, en Indre-et-Loire. De quoi donner l’impression revigorante qu’un milliers de possibles s’offre à nous, pour peu qu’on veuille bien se mettre à leur recherche (et que les journalistes fassent leur boulot de défricheurs !).
On ne peut qu’être touché·e à la lecture du récit de ces femmes à Toulouse, bataillant dans leur centre communautaire pour soigner les âmes blessées du quartier populaire Arnaud Bernard. Ému·e aussi devant ces agriculteurs·trices de la Drôme ayant décidé de réintroduire la vie sauvage sur leurs fermes et dont la description poétique a des accents de Humus, la magnifique ode à la nature de Gaspard Koenig (finaliste du prix Goncourt 2023, également l'objet d'une chronique sur carbo). On est bluffé devant l’ingéniosité de ce couple d’Aveyronnais ayant inventé une « véloto », soit un objet non identifié à mi-chemin entre la voiture électrique et le vélo, et qui pourrait bien pousser les habitants des campagnes ne disposant pas de transports en commun à se passer de leur tacot. On se prend à rêver en lisant le récit de cette petite famille installée près de Tours ayant décidé de vivre en essayant d’émettre le moins de CO2 possible. Bref, l’imaginaire fonctionne ici à plein régime.
Un nouveau souffle pour les convaincus
À chaque fois, l’équipe de Reporterre prend bien garde de ne pas faire l’éloge de simples initiatives personnelles, et souligne le caractère collectif et potentiellement réplicable de ces expériences à l’échelle d’un pays. Le constat – plutôt déprimant – est d’ailleurs assez souvent le même : les idées sont là, ne manque plus que la volonté politique et les subventions afférentes pour les mettre en place. Les journalistes sont aussi attentifs à souligner les limites inhérentes aux différents projets qu’ils décrivent : comment l’auto-gestion peut épuiser un collectif, pourquoi l’égalité salariale n’est pas si simple à mettre en place, dans quelle mesure les révoltes de quelques pêcheurs isolés ne vont pas sans doute pas changer le cours des choses, pourquoi la voiture demeure un horizon indépassable dans les milieux ruraux, etc. Surtout, les auteurs et autrices mettent un point d’honneur à parler de justice sociale et donc à ne pas faire simplement des portraits de cadres supérieurs faisant pousser des brins de tomates dans leur jardin sans se soucier du fait qu’un quart de la population française se nourrit mal.
Certes, à la fin de la lecture, on imagine mal des conservateurs prendre le pas de l’écologie radicale, Reporterre s'adressant sans doute principalement à des lecteurs et lectrices déjà sensibilisés à la cause. Mais au fond, peu importe. La force de cet ouvrage tient en ce qu’il ne cherche pas nécessairement à convaincre les hésitants mais plutôt à redonner du souffle aux convaincus ; à leur rappeler, dans leurs moments de doute, que partout en France, des militants écologistes de plus en plus nombreux tentent de pousser les murs de l’ancien monde et de faire craqueler le capitalisme. En somme, ils offrent un espace d’ouverture, la possibilité de prendre la tangente, un coin d’espoir dans ce monde de brutes. À l’heure actuelle, nous en avons grand besoin. Merci à eux !
Ils inventent un monde écologique, Le Seuil/Reporterre, 112 pages, 12.90€