L’herbier dans l'art contemporain : écouter « ce que disent les plantes »

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màj en mars 2024

Pratique de collection botanique apparue dès le 16ème siècle, l’herbier signe depuis quelques années son retour sur la scène artistique contemporaine. Une manière d'interroger la faculté du végétal à incarner l’histoire d’un milieu, son écologie ainsi que des faits de société. Tour d'horizon avec 11 artistes amateurs·trices d'herbiers.

Dans un contexte de retour à une sensibilité au vivant, aux savoir-faire, aux collectes et aux pratiques liées au jardin, l’herbier se fait de plus en présent, aussi bien dans les œuvres d’art, les ateliers d’arts plastiques, que dans la littérature. De nombreuses expositions collectives entre art et science en témoignent, à l’instar de la biennale Les Légendes botaniques au Château de Menton, des expositions « Herbiers, mémoire végétal » au musée de Revermont dans l’Ain, « Ce que disent les plantes » au Grenier à sel, centre d’art à Avignon. Et pour cause : l’herbier est une pratique riche qui touche aussi bien à la botanique, à la sociologie, à l’histoire, la géographie ainsi qu’à l’esthétique et la poésie. Il convoque la mémoire et transmet des savoirs et découvertes.

Trois expositions récentes sur le thème des plantes, de la botanique et de l'herbier

Les artistes, en arpentant et herborisant les lieux, racontent une histoire, réelle ou fictive. Certains jardinent, d’autres s’aventurent dans les bibliothèques d’herbiers anciens. D’autres encore, chercheurs, proches du vivant, rendent visible une diversité de représentations du végétal.

Les herbiers et l’histoire de la botanique, à l’origine d’expériences graphiques, colorées et spatiales

Un herbier témoigne d’un long travail de collecte, d’identification, de soin, de composition. « Dans le fait de collecter et de rassembler, de ré-assembler un essentiel scientifique de chaque espèce une dimension esthétique mérite d’être prise en considération, car il s’agit forcément toujours d’une représentation.1 » énonce Marc Jeanson, botaniste et ex-responsable des collections de l’Herbier du Muséum d’histoire naturelle de Paris. 

Deux types d’herbiers intéressent les artistes. Prenons le cas de l’herbier de fleurs séchées. L'artiste néerlandais herman de vries, opère tel un botaniste, réalise des collectes en mettant en lumière le végétal pour lui-même. Au musée Gassendi de Digne-les-Bains, des planches d’herbier de 111 plantes recueillies par l’artiste sont associées à celles historiques de Simon-Jude Honnorat, scientifique dignois qui étudia la flore de la région, la géologie, les fossiles et les insectes. L’artiste rend hommage au travail du botaniste.

© herman de vries

L'artiste plasticienne française – et pionnière du land artMarinette Cueco, quant à elle, compose des herbiers dans une attention aux formes, aux couleurs et matières. Son travail fait l’éloge du temps du geste manuel. « Pour moi, le plus important est de scruter la nature afin d’y voir ce qui est le plus simple et le moins perceptible. […] Les gestes les plus simples, les plus primitifs sans autre outil que la main sont très efficaces dans la recherche de formes nouvelles »2 affirme-t-elle. Ses œuvres délicates témoignent de son attachement aux plantes de son jardin.

© Marinette Cueco

Les fleurs et les plantes continuent d’inspirer les artistes. L’herbier et le dessin botanique sont sujets d’observation, d’attention et de réflexion. Ils sont à l’origine de projets artistiques dans une temporalité de la recherche. « Le temps long du dessin est celui d’un dialogue avec la plante, le temps de la réflexion, bien nécessaire lorsqu’on est face à un alien »3 écrit Francis Hallé dans son atlas de botanique poétique.

La découverte et la contemplation des herbiers est aussi parfois le déclencheur d'un travail plastique. Celle du Museum d’Histoire Naturelle fut notamment à l'origine de séries de dessins de l'artiste plasticienne française Laurence Gossart. L’édition de la Flore des serres et jardins de Louis van Houte lui a donné un souffle créateur, le développement d’une série de fragments de fleurs de roses. De la précision d’un dessin au trait vient l’incarnation colorée et charnelle de cette plante à la fois délicate et piquante.

© Laurence Gossart

De même, dans son travail de dessin, la plasticienne française Ursula Caruel se nourrit de lectures de Francis Hallé ainsi que de ses explorations des herbiers et récits de botaniste. L'artiste contemporaine française Marie Denis continue, quant à elle, de revisiter les formes de l’herbier dans une réflexion sur l’impermanence de la nature. « J’herborise et « planche » les végétaux pour arrêter le temps, mais l’incarnation de la nature passe aussi par d’autres formes et techniques : le végétal peut être embossé, estampé, découpé ou devenir bas-relief. La nature est souvent transposée dans une autre matière que le végétal (inox, zinc, cuivre). Mon art n’est pas angélique, il est sombre et noir ; c’est un art qui questionne nos destinées, un herbier métaphysique. »4 affirme-t-elle. Chaque exposition l’amène à réagencer son travail graphique, photographique, sculptural, proposant ainsi un herbier qui se déploie en installation.

Du voyage lointain pour récolter vers l’herborisation de milieux urbains

Les artistes portent leur attention sur la végétation rudérale, pionnière et nous incitent à regarder cette vie qui naît dans les interstices du bitume. L'artiste français François Génot, attentif à la flore de terrains en friche, convoque l’herbier pour rendre visible les histoires et les rencontres en ces milieux. Réalisés lors de sa résidence à la Semeuse, aux Laboratoires d’Aubervilliers, en 2017, ses dessins de plantes rudérales s’accompagnent de récits collectés au sein d’une friche.

© François Genot

Morgane Porcheron, elle aussi, herborise les fissures dans les espaces urbains où le végétal spontané prend racine. Ses empreintes rendent visibles les « plantes vagabondes » et leurs interactions avec le bâti. « En effectuant un moulage ou une empreinte, je procède d’une manière presque scientifique en transportant un prélèvement à l’atelier pour l’étudier. Cet échantillon est en soi une parcelle du monde, et l’analyse de ses caractères plastiques donne des indications essentielles sur son organisation, la nature des sols, les éléments naturels qui peuvent se développer, plantes, insectes dans tel ou tel environnement.5 »

L’empreinte est également au cœur du travail plastique de Laurence de Leersnyder. Son herbier de béton garde la trace de végétaux recueillis dans son environnement proche, bien souvent appelés « mauvaises herbes ». Sur un support, référence au mobilier de jardin, ses plaques composent un « jardin de simples ». Ainsi, les artistes nous invitent à regarder avec attention et bienveillance la végétation qui pousse à proximité de nos lieux de vie.

© Laurence de Leersnyder

Une attention à la fragilité du végétal et à ses capacités de témoigner d’un bouleversement d’un milieu.

Les problématiques actuelles liées au bouleversement climatique préoccupent les artistes contemporains. La pratique de l’herbier – tout comme les œuvres d’art composées à partir d’une réflexion sur les plantes – interrogent la faculté du végétal à incarner l’histoire d’un milieu, son écologie ainsi que des faits de société. Tchernobyl herbarium d’Anaïs Tondeur témoigne à la fois d’une expérience sur le terrain, d’un laboratoire et d’une expérimentation photographique. Emergent chez les artistes un désir de mettre en lumière les changements liés à la biodiversité.

© Anaïs Tondeur

Où sont les parfums enivrants des fleurs disparues ?, une série d’embossage sur papier d’Isabelle Bonté-Hessed2 en est un exemple. L’empreinte de la plante en voie d’extinction est alors délicatement préservée nous laissant juste entrevoir sa silhouette fantomatique. Ce jeu d’effacement/disparition du végétal renvoie à une tentative de révéler ce qui peut disparaître au fil du temps et qu’il convient de manière urgente de nommer, de mettre en lumière et de protéger.

Même s’il n’est pas tout à fait question d’herbier dans l’œuvre de Maria Ibanez Lago, les œuvres de la série Respiration silencieuse ont trait à ces recherches sur la flore en voie d’extinction.

Diversité artistique et biodiversité

Ainsi, l’herbier ouvre sur une diversité de représentation du végétal. Il révèle une identité de la plante, son histoire. Les pratiques artistiques ici transversales. Artistes, botanistes, jardiniers, philosophes se rencontrent et interprètent les modes de représentation et de conservation du végétal.

Le projet collectif Vegetal Art Collection d’Ursula Caruel répond aussi à cette volonté de représentation de la diversité de la nature au début du XXIème siècle. « Selon le principe de création des herbiers au XVIIème siècle, je dessine chaque plante endémique de mon environnement géographique en deux exemplaires, détaille-t-elle sur son site. Un des deux dessins est ensuite échangé avec un autre artiste dans le monde qui fait la même chose ». Cette aventure artistique collective tend à des surprises. Pour l’artiste, « chaque micro-histoire fait partie de quelque chose d’universel » et « la diversité artistique fait alors écho à la richesse de la biodiversité ».

  • 1. Histoires d’herbiers, entretien avec Marc Jeanson mené par Joshua de Paiva, Revue Billebaude, N 12 cueillir, p. 23
  • 2. Marinette Cueco par elle-même, propos recueillis par Paul Vannier, Le Creusot, janvier 1991. Marinette Cueco, Hors des sentiers, édité par la galerie UNIVER, Colette Colla et par l’espace Monte Cristo, Villa Datris, 2019, p. 26
  • 3. Francis Hallé, Atlas de botanique poétique, Editions Arthaud, 2016, p. 8
  • 4. Entretien avec Marie Denis mené par Anne Sudre, directrice de la Maison de Chateaubriand, Châtenay-Malabry, à l’occasion de son exposition Renée ou la nature des choses, visible jusqu’au 24 mars 2024
  • 5. Entretien avec Morgane Porcheron, revue Point Contemporain, juin-juillet-août 2022

Pauline Lisowski
Pauline Lisowski est critique d'art et commissaire d'exposition, intéréssée par les relations entre art, nature, paysage et écologie.
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