Chut… Lancé en 2021, Silence Podcast porte au creux de nos oreilles le crissement du sel dans les salines, le vent de la mer Celtique, ou encore les légendes du lac de Grand-Lieu. Entretien avec son fondateur, le journaliste et documentariste Aurélien Frances.
D’où est venue l’impulsion de créer Silence Podcast ?
Aurélien Frances : Il y a eu plusieurs phases : la première, c’est ma découverte de la navigation au large en 2015. J’ai été bluffé par ce que l’on peut ressentir en mer et le sentiment de solitude – qui ne m’a pas effrayé, au contraire, je l’ai trouvé très agréable. J’ai été surpris par l’immensité et par le silence de ces grands espaces, et je me suis demandé comment les navigateurs vivent cette expérience sur plusieurs mois.
Puis, en 2017, j’ai réalisé le documentaire Le chasseur de silence, diffusé sur Arte Radio, pour lequel j’ai interviewé l’audio-naturaliste Marc Namblard, qui m’a dit : « Je passe plus de temps à chasser le silence qu’à enregistrer des sons de la nature, car il y a toujours des bruits anthropiques, par exemple celui des avions. » Ce moment passé avec lui dans les Cévennes m’a marqué, et j’ai voulu dédier un support à la réflexion autour de notre rapport au silence et aux grands espaces naturels.
J’ai donc mûri l'idée de Silence Podcast en 2019, créé une association en 2020, et lancé le site en 2021. En 2022, nous avons cumulé 200 000 écoutes sur le site et les plateformes, ce qui est encourageant pour un début – et le public continue de nous découvrir, puisque nous avons 2 000 nouveaux auditeurs par mois.
Silence, c’est un nom étonnant pour un projet audio. Que voulez-vous nous faire entendre ?
A. F. : Des espaces naturels éloignés de la rumeur humaine. Le silence absolu n’existe pas, mais cette notion permet de définir – ou redéfinir – ce qu’est le sauvage. Les territoires sauvages n’existent pratiquement plus en France, et chacun aura sa propre définition en fonction du lieu où il habite. Un citadin trouve que la forêt dans laquelle il se balade est déjà un lieu sauvage, alors qu’un campagnard verra plutôt le sauvage comme un lieu reculé, sans empreinte humaine. C’est pour cela que notre baseline est « L’esprit sauvage » : le sauvage est une vue de l’esprit plus qu’une vraie définition géographique.
Le silence, c’est aussi l’écoute : celle du vivant, ou de la personne que l’on interviewe. Ça évoque la lenteur, un rythme que l’on retrouve dans nos documentaires où l’on veut prendre le temps d’une narration lente – mais pas ennuyeuse.
Enfin, le silence est un refus du superflu. Face à tous ces bruits qui nous entourent en permanence, des sirènes en ville aux paroles creuses, le silence est une forme de résistance très pacifiste. Il nous permet de souffler un peu, de ne pas être écrasé par les bruits du quotidien.
On parle de plus en plus d’effondrement de la biodiversité et de sixième extinction de masse. Les sons de la nature sont-ils en train de disparaître ?
A. F. : Il est évident que certains disparaissent. C’est triste, les mots ne me suffisent pas pour en parler. Je suis retourné enregistrer récemment dans la forêt où je me rendais enfant. C’est impressionnant à quel point le chant des oiseaux s’y est raréfié. Même chose pour les insectes – j’ai le souvenir des libellules qui faisaient beaucoup de bruits au bord du plan d’eau, c’est beaucoup moins le cas maintenant. J’espère que mes enregistrements ne deviendront pas des archives audio pour les générations futures.
Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que les sons de la nature ne sont pas simplement des bruits agréables pour nos oreilles, il s’agit de moyens de communication. Et nous, avec notre activité humaine, on écrase tout ça.
Chaque épisode fait dialoguer humains (philosophes, artistes, paludiers…) avec le monde sauvage qui les entoure. Comment créez-vous ces duos ?
A. F. : C’est plutôt la personne interviewée qui me guide. Je commence par essayer de comprendre le lien qu’elle entretient avec le monde sauvage. Chacun a le sien, il est différent si on habite sur le territoire, si on l’étudie… Mais c’est toujours un lien de passion.
Mon travail, c’est de retranscrire ce lien dans le mixage, avec un vrai travail de narration et de rythme. La façon de monter peut correspondre au caractère de la personne, à sa façon de parler… Je peux aussi faire écho entre un mot et un son. Dans l’épisode qui lui est dédié, Yann Tiersen évoque souvent le vent, donc c’est un son qui revient. Mais il ne dit pas « le vent c’est sublime », il répète à quel point c’est chiant quand on fait du vélo. Donc je n’ai pas choisi d’illustrer avec une petite brise, c’est du vent qui tape.
Comment se passent les tournages ? Doit-on vous imaginer comme un photographe animalier qui reste immobile de longues heures pour ramener le bon instantané ?
A. F. : J’aimerais bien, mais je manque de temps ! De plus, ce que vous décrivez correspond plutôt aux audio-naturalistes, qui ont les compétences et les connaissances pour comprendre ce qu’ils enregistrent. Je passe plutôt du temps sur le territoire pour mieux le saisir et enregistrer des ambiances. J’ai passé deux demi-journée sur le lac de Grand-Lieu, et j’y ai entendu aussi bien les oiseaux que le vent dans les saules.
J’ai aussi une sonothèque, dans laquelle je stocke les enregistrements des bruits qui m’entourent : si je cherche un bruit de vague, j’ai toute une collection dans laquelle piocher.
Qu’est-ce que l’audio apporte par rapport à d’autres moyens de transmission ?
A. F. : L’audio stimule l'imaginaire, en faisant appel à nos sens et en touchant à l’intime. Si je fais écouter un son, je pense qu’il n’y a pas deux auditeurs qui se feront la même idée de la source. Chacun peut se l’approprier. Contrairement à l’image, le son n’impose pas, il propose.
Si vous deviez ne choisir qu’un seul son naturel à faire écouter aux lecteurs de cette interview, lequel serait-il ?
A. F. : Le cri du renard. La première fois quand je l’ai entendu, j’ai cru qu’il s’agissait d’un rapace. Un son vraiment étonnant. Le renard est un animal qui nous entoure, rien d’exotique ou de fou, et pourtant on le connaît peu. Il reste sauvage, il vit la nuit et craint l’homme.
Quel est votre son naturel préféré, celui qui vous représente ?
A. F. : Le vent, justement ! C’est très pénible à enregistrer techniquement, mais quand j’arrive à le capter, c’est génial. Il peut symboliser aussi bien la liberté et la douceur que la force et la colère. Et il n’existe pas seul – on le distingue seulement quand il entre en contact avec un autre élément, comme le sol, le bois ou… notre oreille.
Et le son que vous rêveriez d’enregistrer ?
A. F. : Il y en a deux : un volcan en éruption et le chant des baleines. Les baleines, cela participe à mon imaginaire enfantin pour les univers sous-marins. Ce mammifère forme une masse énorme sous l’eau, et pourtant il fait un chant tout doux. Quant au volcan, c’est une force de la nature à l’état brut. Il nous rappelle qu’on n’est vraiment pas grand chose. J’aimerais avoir des sons qui rappellent notre petite place.
Photo à la Une : Illustration de l'épisode "La musique électronique face aux éléments" © Tom Leclerc