Quel rôle l’art peut-il jouer dans la lutte contre la catastrophe en cours ? C’est la question qu’a choisi d’aborder la chaîne de télévision Arte, dans un épisode de son hebdomadaire culturel Twist intitulé « La créativité défie le changement climatique ». Cinq artistes, issus d'horizons variés, y livrent leurs points de vue sur la création artistique et son utilité face aux défis actuels. Avant-goût de chacune de leurs démarches.
Laurence Piaget-Dubuis : la photo pour garder la mémoire
De grandes bâches blanches à perte de vue. Voilà à quoi ressemble aujourd’hui le glacier du Rhône, et pour cause : il est recouvert de bandes de tissu censées ralentir tant bien que mal sa destruction, un dispositif qui engendre un paysage lunaire, traduisant notre petitesse devant l’ampleur des bouleversements que nous avons engendrés.
Laurence Piaget-Dubuis est une photographe suisse. Cela fait 10 ans qu’elle sillonne les glaciers suisses pour graver sur film leur disparition. C’est le silence assourdissant de ces lieux qui l’a poussée à entamer ce travail. Les glaciers ne peuvent pas prendre la parole ; elle la prend donc à leur place. « Les glaciers sont condamnés. C’est une transformation monumentale et visible du château d’eau de l’Europe », explique-t-elle. Pour cette éco-artiste suisse, l’art fait office de devoir de mémoire. Par ses photos, elle cherche à immortaliser ces géants de glace, qui portent la mémoire de l’humanité, et qui n’existeront bientôt plus.
Alexander Abaturov : le cinéma pour alerter
Une peur omniprésente et un air irrespirable pendant plusieurs mois de l’année, voici ce que vivent les populations abandonnées par l'État russe. Car dans les parties les moins peuplées de Sibérie, lorsque les coûts d'intervention sont supérieurs aux dommages prévisionnels, les incendies ne sont tout simplement pas éteints.
Dans son film documentaire Paradis (dont on vous parlait ici plus longuement) le cinéaste russe Alexander Abaturov donne la parole à ces petits villages de Sibérie qui ont vécu en première ligne les incendies dévastateurs de l’été 2021. Pour le réalisateur, l’art est un moyen de sonner l'alerte. « Le monde dans lequel on vit est notre paradis, on n’en aura pas un deuxième, déplore-t-il. Et ça dépend de nous s’il se transforme en enfer ou pas. »
Eva von Redecker : l'écriture pour changer de point de vue
La philosophe et auteure allemande Eva von Redecker, à travers son œuvre, aborde le concept de « liberté de rester quelque part ». Une liberté évidente ? Peut-être pas tant que ça. Dans notre culture, la notion de liberté est fortement liée à la possibilité de se déplacer librement ; en Europe, l’espace Schengen en est un exemple criant. Mais cette réflexion nous est permise car, dans notre conception des choses, la liberté de pouvoir rester chez soi est déjà profondément acquise.
Or, selon la philosophe, avec le changement climatique et la destruction de nos habitats, c’est bien la liberté de pouvoir rester à en endroit qui est à présent en péril. « Si on ne peut que partir, sans pouvoir arriver nulle part, ça n’apporte rien à personne. », résume-t-elle. Pour l’auteure, l’art permet d'ouvrir de nouveaux possibles, de donner de nouveaux points de repère, de donner des exemples et de provoquer des chocs. Sa force est de nous permettre de voir les choses sous un autre angle, indispensable pour susciter des prises de conscience.
Emma Critchley : l'art pour susciter le passage à l'action
Sous l’eau, tout ralentit, tout s'apaise. Mais le calme est trompeur car l’impact de l’activité humaine s’étend jusqu’au fond des océans… L’exploitation minière en eau profonde est un sujet encore peu connu du grand public. Et pourtant, l’artiste le qualifie de nouvelle ruée vers l’or, pouvant avoir un impact désastreux sur les écosystèmes.
Emma Critchley est une photographe et réalisatrice britannique qui cherche à aborder notre relation avec les milieux aquatiques. Pour elle, l’art joue un rôle majeur dans le processus de passage à l’action. « Nous sommes bombardés de faits et d’informations, explique-t-elle. L’art a la capacité de créer un espace de réflexion et de mettre en jeu l'émotion, essentielle pour créer la volonté de changer. »
Heretoir : la musique comme exutoire
L’art, et particulièrement la musique, a toujours été un médium puissant pour traiter les émotions et faire office d'exutoire. Ça, le groupe allemand de heavy metal allemand Heretoir, en est convaincu.
Dans leurs textes, le groupe dénonce notre ignorance face aux problèmes écologiques de l'époque. Pour eux, le problème n’est pas l’être humain en soi, mais l’humanité industrialisée. « C’est effrayant de voir le nombre de gens qui parviennent à fermer les yeux sur ce qui se passe », s'indignent-ils.
L’émission Twist - La créativité défie le changement climatique est à retrouver sur arte.tv.
Image à la Une : extrait du documentaire © Arte