« Onyo » : des fables sonores, immersives et écologiques

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màj en août 2024

Reconnecter ses participants à ce qui les entoure, c’est le concept d’Onyo, un projet artistique fait de fables immersives et sonores, incubé au Centquatre à Paris. Bienvenue dans un monde onirique, apaisant et écologique.

Onyo est une création imaginée pendant la crise sanitaire et ses périodes de confinement successives. Autrement dit, pendant une période marquée par l'absence de connexion aux autres, au vivant et au dehors. À l'origine d’Onyo, il y a une grande question : comment construire un futur désirable si on n’arrive pas à l‘imaginer ? La réponse proposée par Charlotte-Amélie Veaux et Yann Garreau, les deux fondateurs du projet, passe par l'immersif. Leur objectif : ouvrir des « portails vers des mondes merveilleux » pour s'immerger « dans des fables écologiques originales et porteuses d’espoir ».

Immersion douce

Attention, chez Onyo, l'immersion est pensée sans technologie gourmande en énergie (pas de casques VR donc !) et avec des éléments de scénographie propres. Leurs fables immersives sont à vivre en complément des discours scientifiques pour rêver à d’autres futurs possibles. Avant de lancer Onyo en 2021, Charlotte-Amélie et Yann ont réalisé un « tour du monde de l’immersif » et lancé un blog dédié aux expériences de ce type.

Intitulées L’Arbre-Soleil (2021) et Les Gardiens de la Montagne (2022), leurs expériences immersives durent une vingtaine de minutes, et agissent au croisement de trois domaines clefs : l’art, l’écologie et le bien-être. Elles ont toujours pour point de départ un écosystème bien précis, en danger, sur lequel Charlotte-Amélie Veaux et Yann Garreau mènent de nombreuses recherches. D’abord la forêt, puis la montagne et enfin les icebergs pour leur prochaine narration actuellement en cours de développement.

Les Gardiens de la Montagne

Pour Les Gardiens de la Montagne, leur deuxième fable, que nous avons eu la chance d’expérimenter en avant-première au Centquatre – le projet est incubé au 104factory –, le public est d’abord invité à se saisir d’une pierre de son choix, à l’observer, la contempler, sentir son poids dans sa main, remarquer ses aspérités. Il faut ensuite s'asseoir au sol en cercle, fermer les yeux et se laisser guider uniquement par les sons et la douce lumière qui perce de cocons de papiers accrochés au plafond.

C’est une immersion loin des écrans, sur lesquels nous passons déjà le plus clair de notre temps, qui se vit les yeux fermés, à l’intérieur de soi-même. Nous perdons alors la notion du temps, nous nous apaisons. Nous écoutons ces voix qui s’immiscent en nous à travers le casque préalablement déposé sur nos oreilles. Ces voix nous racontent l’histoire de Jimen, une montagne fragilisée, qui s'effondre. Mais surtout l’histoire d’une cohésion animale et végétale à laquelle on nous invite à prendre part pour la protéger, en prendre soin. Nous rejoignons « la résistance du vivant », entendons fourmiller la biodiversité. Symboliquement, nous apprenons à parler le langage de la roche et par nos mots, nos gestes, nous participons à la symbiose du vivant pour lutter contre le dérèglement climatique et ses impacts, nous agissons. Et surtout, nous nous détendons à l’écoute de la montagne et de son chant. Dans la fable de L’Arbre-Soleil, c’est dans une yourte que nous prenons place, pour sauver un arbre millénaire par la seule puissance de notre souffle.

Marquer par l'utopie

Une quinzaine de minutes plus tard, nous rouvrons les yeux, un peu perdus·es, avec le même sentiment qu’à la sortie du cinéma : cette impression d’avoir pénétré dans un monde parallèle qui nous habitera longtemps… À quand remonte la dernière fois que nous avons pris le temps de fermer les yeux en pleine journée ? L’expérience est quasi méditative, et fait taire les petites voix qui peuplent d’ordinaire l'esprit. C’est comme si nous sortions d’une balade en pleine forêt, ressourcés·es. On n’a qu’une envie : renouveler l’expérience, retrouver ce calme intérieur, cette osmose.

Pari réussi, donc, pour Charlotte-Amélie qui défend des récits optimistes qui se terminent bien. Pour elle, ressasser en permanence les catastrophes en cours n’invite pas à l’action et à plutôt tendance à nous décourager et donc, à nous immobiliser. Ce qu’elle souhaite à travers Onyo c’est émerveiller le public, le faire rêver, en travaillant sur les représentations, les imaginaires et les émotions. C’est vrai que nous sommes capables d’imaginer les pires dystopies (La Servante écarlate, Vox, Soleil vert, 1984, Le meilleur des mondes…), mais qu’il existe encore très peu d’utopies écologiques. « La culture et les arts sont les moyens les plus pertinents pour sensibiliser les citoyens, pour les rendre sensibles au monde qui les entoure », confirme Patrick Scheyder, l’un des auteurs du Manifeste pour une écologie culturelle.

Les expériences immersives Onyo se vivent aussi collectivement, en petits groupes d’une dizaine de personnes, comme pour souligner le besoin d’action en collectif, de liens. À la fin de chaque fable, le public a la possibilité d’échanger sur ses émotions, ses peurs… Dans les histoires racontées, le commun prime aussi. Pas de héros, pas un seul sauveur providentiel, mais des relations de coopération entre insectes, plantes, animaux et humains, sans domination ou quelconque supériorité, chaque voix au même niveau. « Être un vivant parmi les vivants », comme le revendique la psychologue et philosophe Vinciane Despret, dont les mots inspirent beaucoup Charlotte-Amélie. Cette dernière nous fait d’ailleurs remarquer qu’au cours des deux expériences, le mot de « nature » n’est jamais prononcé, afin de ne pas renvoyer à cette éternelle et maudite opposition entre nature et culture, entre la civilisation et la sauvagerie, qui nous fait sentir tout puissant.

Plongée géophonique et biophonique

Le son prend une place centrale dans les expériences Onyo, c’est lui qui nous connecte, nous fait ressentir. Comme le défend aussi l’artiste Anna Kawadji avec ses paysages sonores, nous sommes dans une société saturée des sons dérivés de l’activité humaine, mécaniques, technologiques qui nous isolent et étouffent le cri du vivant qui se meurt. Pour Onyo Charlotte-Amélie et Yann ont développé un système de son binaural 3D qui mêle la géophonie, les sons issus de la terre, et la biophonie, les sons produits par les espèces animales sauvages, ces sons que l’on n’entend plus et qui, pourtant, sont source tant d'apaisement que d'alerte. « Ce que j’ai appris des rencontres avec la nature et ses paysages sonores, c’est que si vous les écoutez attentivement, ils vous donnent des instruments extrêmement efficaces afin d’évaluer la santé d’un habitat dans tout le spectre de son expression », analyse Bernie Krause, docteur en bioacoustique de l’Union Institute & University de Cincinnati, qui a passé sa vie à enregistrer les sons de la nature, des animaux et des éléments et affirme qu’en cinquante ans, 50% des sons de la nature ont disparu. Entendre, ressentir, nous réconcilier, trois piliers pour « sonner la fin de l’ère de l’homme », projet que défendent également Sandrine Rousseau, Adélaïde Bon et Sandrine Roudaut dans Par-delà l’androcène. « De nouveaux sons nous parviennent aujourd'hui : le craquement des sols trop arides, le fracas de ces falaises de glace qui se détachent des glaciers, les cris éperdus des animaux chassés par les mégafeux, quand d’autres sons disparaissent à jamais - des chants, feulements, couinements, ramages - éteints », peut-on lire dans l'ouvrage.

C’est à tout cela qu’Onyo veut rendre sensible, à travers un travail sur la douceur et la sensibilisation artistique. Selon ses fondateurs, cette démarche doit s'envisager « en parallèle de l’activisme ». Un discours onirique qui permet d’aller toucher des non initiés et de « s’introduire dans les entreprises » par le biais du bien-être pour développer ensuite « un vrai propos écologique ». Charlotte-Amélie, à l’avenir, souhaiterait emmener L’Arbre-Soleil et Les Gardiens de la montagne dans les petites villes, là où le public n’est pas en contact quotidien avec la nature (comme à Nantes, par exemple, où l’équipe vient d’installer son premier pop-up), et dans les écoles où il se joue beaucoup autour de l’éducation aux enjeux climatiques. L’Arbre-Soleil et Les Gardiens de la montagne illustrent avec poésie tout ce que nous pouvons réaliser d’efficace pour lutter contre l’écoanxiété : œuvrer de concert, agir, se mettre en mouvement. Avec Onyo, les deux fondateurs disent avoir voulu prouver à tous et à toutes que l’écologie n’est pas que vectrice de boules au ventre mais peut aussi « nous faire du bien ». Leur travail dépasse largement les quinze minutes de l’expérience en nous donnant envie de cultiver ce sentiment de bien-être qui naît chez nous au fil de la fable en œuvrant pour le vivant durablement et où que nous soyons.

Infos : Onyo, du 15 avril au 10 mai, ouvre son premier pop-up expérientiel, Le Monde d'Onyo, aux Halles 1 & 2 sur l’île de Nantes. Ce pop-up accueillera les deux expériences : L’Arbre-Soleil, et Les Gardiens de la Montagne. Réservations.

Juliette Mantelet
Juliette est journaliste et co-rédactrice en chef. Ce qui l'enthousiasme par-dessus tout, c'est d'explorer le monde qui change et les futurs possibles avec optimisme par le biais de la littérature et de la pop culture.
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