Tout comprendre à l’écoféminisme (3/3) : littérature, utopies et sorcières

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màj en mars 2024

Dernier épisode d'une série de trois articles pour apprendre à mieux connaître le mouvement écoféministe, son histoire, sa littérature, et plus généralement son rapport à l'art. Dans ce troisième article, on se concentre sur la littérature écoféministe en plein essor, entre ensauvagement et utopies, et l’on évoque aussi les sorcières contemporaines.

Ces derniers mois, nombreux sont les discours politiques, les événements ou encore les œuvres culturelles qui se revendiquent de l’écoféminisme. L’écoféminisme, ce mouvement pacifique, émotionnel et artistique qui vise à mener de front les combats féministes, écologiques et sociaux. Pour y voir plus clair sur ce que signifie vraiment être écoféministe, et comprendre l’écoféminisme dans ses dimensions plurielles, carbo vous a préparé une série de trois articles sur le sujet. Après un premier épisode sur la genèse et les raisons d'être du mouvement, et un second sur la place de l'art et des émotions au sein de la pensée écoféministe, place à la littérature, aux utopies et à la figure de la sorcière.

Rêves & futurs utopiques

Si aujourd’hui il est plus juste de parler d’écoféminismes au pluriel – car de nombreux courants coexistent – la dimension joyeuse, artistique et culturelle est toujours au centre de la démarche. Une littérature de fiction est d’ailleurs en pleine émergence, offrant un aperçu poétique d'un futur écoféministe. Déjà dans les années 1970, Françoise d’Eaubonne, qui écrivait aussi bien des manifestes politiques que des essais, des romans ou de la poésie, imaginait une épopée de science-fiction intitulée Les Bergères de l’apocalypse (éditions Jean-Claude Simoën, 1977) consacrée à la guerre des sexes et dans laquelle la survie de la planète passait par l'extermination des hommes. 

Les Bergères de l’apocalypse, Françoise d'Eaubonne © éditions Jean-Claude Simoën

Aujourd’hui, la littérature écoféministe nous plonge surtout dans des futurs plus désirables, dans lesquels l’humain s’est réconcilié avec la nature, a repris sa juste place parmi son écosystème et vit désormais en harmonie, et avec humilité, parmi les autres êtres vivants en limitant son impact. Cette littérature fait le lien par l’écriture et les images entre le corps des femmes et les éléments naturels, et fait émerger de nouveaux récits dans lesquels les femmes et la nature sont au centre. C’est d’ailleurs un roman écoféministe qui vient tout juste de remporter le prix du roman de l’écologie 2023 : Peine des faunes (éditions Julliard, 2022) d’Annie Lulu, qui unit le destin de cinq générations de femmes et de leur territoire face à la violence des hommes. Ces nouveaux récits littéraires célébrant le lien au vivant permettent de rêver à des futurs plus doux, au sein desquels la domination aurait laissé la place à la cohabitation et à l’osmose. Ils donnent des pistes concrètes pour changer de regard, revenir à la nature. On se laisse aussi bercer par la douceur du monde futuriste proposé par Becky Chambers, autrice américaine célèbre pour ses récits de science-fiction féministes. Dans Histoires de moine et de robot (l'Atalante, 2022-23) elle nous offre une parenthèse bienvenue dans un futur apaisé où la catastrophe a été évitée de peu et où les humains et la Nature se sont réconciliés. 

Histoires de moine et de robot de Becky Chambers © L'Atalante, 2022-23

Dans la bande-dessinée, genre qui s’empare depuis un moment déjà des problématiques écologiques, l’écoféminisme perce aussi. On peut citer notamment le roman graphique Les Fées Scientifiques de Zoé Sauvage (éditions Cambourakis, 2022), qui plonge les lecteurs dans un futur où les plantes seraient protégées des humains dans des grands parcs à la technologie futuriste, et ouvre surtout la réflexion sur le besoin nécessaire d’une symbiose du vivant, tout en rendant un hommage aux femmes scientifiques. Bien sûr, il y a aussi le roman graphique d’anticipation ReSisters (Tana éditions, 2021) écrit par Jeanne Burgart Goudal qui met en récit la pensée écoféminisme en décrivant un futur dystopique dans lequel, face à la course aux profits et la restriction des libertés, naît un mouvement de résistance porté par les femmes. 

Les Fées Scientifiques, Zoé Sauvage © éditions Cambourakis
ReSisters, de Jeanne Burgart Goudal © Tana éditions, 2021

Sur Instagram, nombreuses sont les influenceuses littéraires et militantes féministes à défendre cette littérature écoféministe. On vous recommande vivement le compte Instagram fourmillant Autrices et Héroïnes sur les réseaux, pour faire le plein de recommandations de lectures écoféministes.

Retour en terre sauvage

La littérature écoféministe est également indissociable du genre littéraire du « nature writing » né aux États-Unis et qui donne aux espaces naturels le rôle central du récit. Un des romans les plus frappants de ce genre littéraire reste indéniablement Dans la forêt (Éditions Gallmeister, trad. 2017) de l’autrice américaine Jean Hegland, paru en 1996. Elle nous emmène dans un monde post-apocalyptique dans lequel la civilisation telle que nous la connaissons s’effondre. Plus d’essence ni de transports, des pénuries alimentaires, des pannes d’électricité… Et une question qui parcourt le récit : de quoi sommes-nous capables si l'on nous prive de tout confort ? S’ouvre un huis-clos en pleine forêt, captivant et poétique, où l’on suit Nell et Eva, deux sœurs abandonnées à des kilomètres du reste de la civilisation, obligées de trouver de quoi se nourrir et se soigner dans les richesses de la forêt. C’est un retour forcé à l’essentiel, où les deux sœurs devront tout réapprendre pour survivre avec les ressources de la nature. Dans la forêt représente cette idée d’un ensauvagement, de redevenir sauvage pour retrouver liberté et connexion au vivant et au sensible.

Bande-annonce du film Into The Forest, adapté du roman éponyme de Jean Hegland

Cette idée parcourt également la trilogie écoféministe de l’autrice québécoise Gabrielle Filteau-Chiba, composée des romans Encabanée (Gallimard, 2021) et Sauvagines (Gallimard, 2022) et Bivouac (Stock, 2023). Le récit commence par la fuite d’Anouk : elle quitte Montréal et le monde capitaliste pour aller à la rencontre de la vie sauvage, dans une cabane isolée au Kamouraska en plein hiver. Gabrielle Filteau-Chiba livre un récit captivant de quête de sens et de liberté, et de retour à la nature dans les paysages sauvages du Canada. Par cette reconnexion vitale avec ce qui nous entoure, elle met le lecteur sur la voie de la résistance au monde capitaliste et de la lutte écologiste.

« Les artistes écoféministes sont en quête de nouveaux récits imaginaires qui bouleversent tous les codes de genre ou de relations inter-espèces. Elles récusent le primat de la raison sur l’intuition, de l’esprit sur le corps, jouent sur les métamorphoses et la revalorisation des instincts et du corps… La fonction du rêve est primordiale dans ces nouveaux récits. » - Pascale d’Erm,  L'Ecoféminisme en questions

Le réveil des sorcières

Un autre mouvement important de l’écoféminisme culturel est celui qui gravite autour des questions de spiritualité, porté notamment par l’écrivaine, militante et sorcière américaine Starhawk. Elle défend le « pouvoir du dedans » contre le patriarcat et déplore le désenchantement du monde. C’est face à ce désenchantement qu’elle invoque la force du spirituel, notamment celui de « la Déesse », présente en nous et dans la nature, que l’on peut ressentir grâce à l’amour et l’érotisme. Elle invite à se reconnecter aux cycles de la nature et à revenir à l’adoration de ce qui est véritablement sacré : la nature et le vivant. Pour Starhawk, la magie est une véritable arme politique. Elle milite sur le terrain contre les installations nucléaires par des rituels et des cercles de chants et de danse. 

La renaissance de la figure de la sorcière, dont se revendique Starhawk, sorcière moderne, est également indissociable du mouvement écoféministe et de son incarnation littéraire. Nous vous en parlions plus en détails dans notre article consacré au sujet à relire par ici. Les sorcières, diabolisées et massacrées entre le XVe et le XVIIe siècle pour leur fine connaissance des plantes et de la nature, leur différence et leur sagesse… Ces chasses aux sorcières qui, comme le défend l’autrice Isabelle Sorente dans Le complexe de la sorcière (éditions JC Lattès, 2020), auraient laissé une trace sur la psyché des femmes encore aujourd’hui. Depuis la parution en 2018 du plus célèbre essai de Mona Chollet intitulé Sorcières : La puissance invaincue des femmes (éditions La Découverte), les sorcières sont de retour en littérature. Le slogan « Nous sommes les petites filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler » est aussi repris massivement par les militantes féministes. Après les essais, les sorcières viennent peupler romans et fictions. Pour Yuna Visentin, autrice du roman young adult écoféministe Hila : le retour des sorcières (éditions Kiwi, 2022), et que nous avons interrogée à ce sujet, la sorcière est « l’un des symboles de l’oppression patriarcale ». Elle trouve un fort écho aujourd’hui chez les femmes car « elle montre comment on peut, en tant que personne appartenant à un groupe social minorisé, se ressaisir de son histoire, pour en faire quelque chose de puissant. Et renverser le monde ».

Hila, de Yuna Visentin © Kiwi romans

L’autrice tient néanmoins à mettre en garde contre les récupérations de cette figure, notamment la vente qui se développe de plus en plus de produits liés à la sorcellerie et bien ancrée, donc, dans le système capitaliste. La figure de la sorcière doit garder à ses yeux toute « sa force subversive ». Pour conclure, elle nous explique son propre rapport à cette figure, en tant que militante et écrivaine : « Quand je pense aux sorcières, je pense à des femmes ou des personnes minorisées dont les savoirs et les pratiques remettent en cause les systèmes de domination. Je pense à des personnes qui défient les rôles de genre, le patriarcat, l’hétéronormativité. Je pense à des personnes qui savent, qui guérissent, qui défient l’objectification du monde, qui cultivent des liens avec ce qui nous entoure. Qui s’opposent à toute forme d’exploitation. » 

C'est la fin de cette série de trois articles sur l'écoféminisme. Pour relire les deux premiers épisodes, rendez-vous ici et ici.

Juliette Mantelet
Juliette est journaliste et co-rédactrice en chef. Ce qui l'enthousiasme par-dessus tout, c'est d'explorer le monde qui change et les futurs possibles avec optimisme par le biais de la littérature et de la pop culture.
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