À Grenoble, une asso secoue art et montagne à coups d’expos locales futuristes 

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màj en décembre 2024

À Grenoble, une petite asso, Languille, a décidé de faire le pont entre art, montagne, quartier et écologie. Le résultat est une succession d’expos plus folles les unes que les autres, de résidences artistiques uniquement accessibles en rando, et un credo : le local a un pouvoir d’action sous-estimé. Rencontre sur place, avec deux de ses membres, la jeune diplômée et programmatrice culturelle Laurène Amet et l’artiste chercheur en géographie Félix de Montety.

Artistes et organisateurs de la résidence La montagne infinie 2023 © Languille

Le rendez-vous a lieu dans le quartier Flaubert à Grenoble, un coin en « pleine transformation », selon les mots de la Mairie. Un secteur populaire comme d’autres ici mais qui ne connaît pas les graves problèmes de violence et de drogue de ses voisins. Sous un ciel bleu éclatant, je retrouve Félix et Laurène. L’association fondée en 2022 par deux amis architectes a son bureau dans une institution locale, une grande friche, ancienne usine à fils pour les Télécoms, La Bifurk. Un nom qui raconte le croisement et la diversité de ses associations.

Le jour de l’interview, on a droit à un aperçu de l’ambiance ; bouger une table de pique nique pour installer les stands d’un marché solidaire, trouver un spot d’entretien un peu en retrait du terrain de basket, écouter en fond les discussions des ados sur les bancs en face de barres d’immeubles et tout autour, les montagnes. Dans ce cadre peu ordinaire, Languille s'est donnée pour mission de rendre l’art accessible à tous·tes. Parmi ses faits d’armes, des évènements aux noms bien sentis comme Le cimetière des bagnoles, La montagne infinie ou encore L’eau qui dore, qui ont laissé des traces dans la presse quotidienne régionale et les mémoires locales. Leur secret ? Conjuguer art, environnement immédiat et sciences pour interroger notre futur.

Félix de Montety et Laurène Amet devant la salle d’exposition © Alexia Luquet

Le mieux, pour saisir votre ADN, est encore de parler de vos évènements. Je pense à La montagne infinie. Le concept est assez hors du commun puisqu’il s’agit d’une résidence artistique mais en quasi autonomie et à 2000 mètres d’altitude. Pourquoi et comment ?

Félix de Montety : L’idée est d’être ensemble en montagne. En 2023, on était au refuge du Taillefer à 60km de Grenoble, uniquement accessible à pied. Je faisais partie des sept artistes réunis par Languille. Dans cette résidence, il y a toujours une partie où l’on découvre un espace, en groupe. On peut bivouaquer, dormir dans une vieille bergerie, un petit refuge et puis il y a un volet créatif où l’on invente des choses sur place en se laissant porter par le territoire. On organise ensuite une journée d’exposition ouverte au public. 

Laurène Amet : Je ne suis arrivée à Languille qu'en 2024 mais je peux parler de la résidence de l’été dernier que j'ai préparée. Le rendu final a eu lieu dans une vieille église à Villard-Reymond, un minuscule village perché à 1600 mètres d'altitude. Pendant une semaine les artistes ont exploré le thème des colporteurs d'antan et d'aujourd'hui.

Il y a donc un thème chaque année ? 

F. d. M. : Pas forcément, du moins ce n’est pas vraiment formalisé mais à force d’être ensemble, les artistes finissent par imaginer des œuvres qui se répondent sans même le faire exprès. Passer du temps en montagne, sans téléphone, en étant les uns avec les autres H24, je ne vais pas dévoiler un scoop mais ça crée des liens, ça produit une communauté d’idées. En 2023, l’expo s’était tenue dans une yourte, chaque artiste occupait un espace. La comédienne et photographe, Salomé Dugraindelorge, avait par exemple présenté des portraits de femmes de ce territoire de montagne, via des photos accompagnées d’interviews sonores. De mon côté, j’avais réalisé Adopte un lac, un projet de carte participative regroupant les lacs sans nom du plateau du Taillefer - où l’on se trouvait. Je les ai d’abord cartographiés, puis je demandais aux randonneurs et aux habitants des villages voisins de faire des propositions d’appellation. Lac du prince Labre, Lac des fiancés, La mer sans fond, les participants ont été très créatifs ! 

Extrait du livre La montagne infinie 2023, extrait de l’œuvre Adopte un lac de Félix de Montety © Languille

Vous dites vouloir rendre l’art accessible à tous·tes mais le côté éphémère allié à un lieu d’expo reculé casse un peu cette ambition…

L. A. : Il y a évidemment un côté frustrant à proposer quelque chose sur une seule journée, surtout que cela demande beaucoup de travail en amont. 

F. d. M. : Pour l’édition de septembre dernier, les artistes ont proposé une performance théâtrale unique, le comble de l’éphémère ! La scène se trouvait sur le seuil de l'église face au public resté à l’intérieur. On voyait la montagne et la lumière se détacher dans l’ombre et aucune caméra n’aurait pu rendre cette expérience. Bien sûr, il peut y avoir des éditions papiers qui enregistrent nos carnets de recherches, on a d’ailleurs sorti un livre en octobre dernier, mais je crois que certains moments n’ont pas vocation à être enregistrés. Cela n’empêche pas le partage. La preuve, en 2023 sur une journée 90 personnes sont venues en randonnée voir l’expo ! 

Journée d’exposition La Montagne infinie 2024 © Languille

Le rapport à l’écologie est important pour vous. Dans vos expos, vos résidences, comment faites-vous pour rester sobres ? 

F. d. M. : C’est un gros sujet. L’écologie va aussi avec l’accessibilité, par exemple le matériel emporté jusqu’au refuge du Taillefer, où la résidence avait lieu, comprenait de la nourriture, du papier, de quoi produire une expo car il faut bien des matériaux pour en faire une. On avait également trois machines à écrire qu’on a montées avec un âne et en les portant sur notre dos.

L. A. : Je me suis beaucoup intéressée à l’éco-conception dans mon parcours en histoire de l’art et en muséographie. Plusieurs grosses expos m’ont refroidie lorsque j’ai vu que tous les éléments neufs utilisés pour la conception finissaient systématiquement à la benne. Au contraire, quand tu as peu de ressources - et c’est le cas de Languille - tu es obligé de faire avec les moyens du bord. Souvent cela va de pair avec l’éco-conception. De façon générale, Languille a une approche très concrète de l’environnement, ce n’est pas si compliqué. Parfois, l’art contemporain est vraiment déconnecté des publics. Pas ici. Il n’y a qu’à voir les titres des expos et des conférences : le langage, la nuit, l’eau, les voitures, la montagne ; ces mots parlent à tout le monde. Ils créent une connexion avec les gens en leur donnant envie d'entrer, ils ne les effraient pas. 

Machine à wheeling de Robin Martino et au fond Amour poil. Le Bel accident / Cric de Lucille Jallot © Languille

Prenons par exemple votre expo Le Cimetière des bagnoles ou la conférence Fonte des glaces, qu’est-ce qui fait que ça marche ? 

F. d. M. : Déjà Le Cimetière des bagnoles n’était ni dans la célébration ni dans la dénonciation de la culture bagnole. On voulait simplement se confronter à leur omniprésence dans nos sociétés, à leur impact sur nos environnements directs comme la montagne. Après, on apporte notre touche où l’on aime mélanger les genres. Pour te donner une idée de l’atmosphère, lors de la soirée d’ouverture on avait organisé un concours de skate sur une rampe construite à partir d’une épave de voiture, un peu plus tard la chanteuse ODA Louise a fait un show de poésie expérimentale et tout du long, le public pouvait entrer dans une voiture transformée en cinéma, où tu devais t’installer sur le siège arrière pour voir un film projeté sur le pare-brise mais depuis l’intérieur, comme le monde qui défile. 

Affiche de la soirée d’ouverture de l’exposition Le cimetière des Bagnoles en septembre 2024 © Languille

L. A. : Dans l'exposition, une œuvre de Robin Martino a eu beaucoup de succès, un scooter boule à facette monté sur une machine à wheeling, une sorte de pivot, comme si quelqu’un cabrait l’engin. On a vu des enfants émerveillés et des mamies énervées qui disaient « Oh on les entend déjà assez dans la rue ». Pour moi, traiter de sujets aussi concrets par l’art, en donnant l’occasion à tous et à toutes de s’exprimer est un rapport poétique au monde.

F. d. M. : La soirée Fonte des glaces penchait, elle, plus du côté médiation scientifique. Le titre voulait contrebalancer les bagnoles qui sont justement en partie responsables de la disparition de nos glaciers. On a montré un film mettant en parallèle la recherche en glaciologie et en océanographie, il y a eu des discussions avec des scientifiques, une performance de l’artiste Tipoume entre vidéo et poésie, une sorte de promenade sono-visuelle dans les glaciers de l’Oisans, une performance très originale. La réflexion reste artistique. Tous les discours produits par Languille sont des discours en biais. On n’est pas là pour faire un cours universitaire, on préfère regarder le réel différemment.

La chanteuse ODA Louise, soirée d’ouverture de l’exposition Le cimetière des Bagnoles à La Bifurk © Languille

Quel est le rôle de ce type d'association culturelle, ultra-locale ? 

L. A. : Je suis convaincue que l’art permet la sensibilisation à n'importe quel sujet. Pendant mes études, j’ai étudié plusieurs expos dont Planet or Plastic, conçu avec le National Geographic au musée Mer Marine de Bordeaux. J’ai vu des visiteurs prendre véritablement conscience du désastre du plastique grâce à l’évènement. La force de Languille est de sensibiliser les gens sans qu’ils en aient parfois conscience. Cela passe par un vrai croisement des publics et des disciplines. Des jeunes viennent faire du basket ou du skate, circulent et se retrouvent par hasard dans la salle d’exposition ! Notre rôle est ensuite d’adapter notre médiation artistique aux vécus de chacun. 

F. d. M. : La configuration des lieux influence aussi nos choix de sujets. La montagne est liée à la position de Grenoble et de ce quartier. Beaucoup de personnes y vivent, voient à 360 degrés des sommets mais n’ont peut-être jamais pratiqué la randonnée en haute montagne, ne sont jamais allés skier ou dormir en refuge. Je crois beaucoup au pouvoir du local. Bien sûr, quand tu créés une association d’art tu vas toucher des gens déjà intéressés par le sujet. Mais à l’échelle de Grenoble, on connaît plus de skaters que d’artistes, plus de gens qui font du basket que des vernissages. Pour La Montagne infinie, c’est pareil, on discute avec des habitants des villages alentour, prêts à se bouger pour voir une exposition mais qui ne sont pas des habitués de l’art contemporain. Ils posent des questions et à partir d’un échange banal un lien se crée. Ils viennent une première fois, une deuxième puis une troisième.

Félix de Montety et Laurène Amet à La Bifurk © Alexia Luquet

En 2025 quels sont vos projets et comment participer ? 

L. A. : Plusieurs expositions sont prévues dont une autour du tourisme de masse et une sur l’alimentation. On organise régulièrement des jams, des concerts, sans compter toutes les choses qui se créent au fur et à mesure. La montagne infinie aura une troisième édition, l'appel à projets sera diffusé au printemps sur nos réseaux et sur le site de l’ac-ra, une plateforme d’actu sur l’art contemporain. 

F. d. M. : Pour postuler il faut envoyer un CV et une note d’intention. On se fiche un peu de ce que la personne a fait jusque-là mais elle doit être capable d’apporter une création artistique originale et de contribuer à des interactions humaines. Il ne faut pas s’imaginer que c’est une résidence bien dotée comme celles des fondations ou des lieux institutionnels mais on fait de notre mieux. On est nourri et logé un peu à la dure mais on passe de bons moments. Les gens qui viennent sont très contents ! 

La Bifurk © Alexia Luquet

Pour aller plus loin :

Alexia Luquet
Journaliste et réalisatrice vidéo, Alexia couvre des sujets au croisement de la culture, du sociétal et de la planète.
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