Composée d'une équipe d'artistes pluridisciplinaires, la tournée Plonger Orchestral a proposé de la mi-septembre à la mi-octobre 2024 une itinérance artistique à vélo autour du thème des arbres. Une façon de questionner, de manière sensorielle, notre rapport aux forêts.
La tournée Plonger Orchestral de la compagnie Exuvie a pris fin il y a quelques semaines au moment de l'écriture de cet article, et pourtant, l'émotion est encore palpable dans la voix de celles et ceux qui y ont pris part. « Il faut dire que c'était une expérience tellement forte que c'est dur de simplement passer à autre chose », entame Anna Legrand. Acrodanseuse contorsionniste, la jeune femme de 31 ans a fait partie de l'équipe d'artistes pluridisciplinaires à sillonner la France du 24 septembre au 14 octobre dernier dans le cadre de cette tournée singulière.
Une tournée poétique lors de laquelle l'équipe de Plonger Orchestral, munie de vélos pour seuls moyens de locomotion, a pédalé de Clermont-Ferrand à Marseille avec un projet précis en tête : célébrer, à travers des formes artistiques variées et dans des lieux divers, les forêts et leurs habitants. « Le projet a été initié par Justine Grange et Elsa Marchand Cormery », rembobine Malo Patron, écrivain performeur de 29 ans et membre de la tournée. De fait, les deux femmes, cofondatrices de la compagnie de spectacle vivant Exuvie, avaient déjà pédalé l'année dernière de la Loire au Marais Poitevin pour présenter leur performance itinérante Plonger. Une performance qui entendait explorer de façon sensorielle les liens qui unissent les hommes aux arbres : alors que la première, cordiste, se suspendait à un arbre, la seconde, médiatrice sonore, capturait les sons de la forêt et les témoignages des habitants. « Cette fois, l'idée était d'aller plus loin en apportant une dimension vraiment collective au projet », poursuit Malo Patron.
Des performances artistiques plurielles
Soutenue par la Région Centre-Val de Loire dans le cadre du dispositif Nouvelles Renaissances, cette « aventure artistique itinérante auprès des arbres » a fait escale, entre autres, dans le Puy-de-Dôme, la Haute-Loire, le Cantal et jusque dans le Luberon et sa forêt de cèdres, menant les cyclistes de paysages de monocultures d'épicéas et de douglas jusqu'à des forêts mélangées. « On a vu de nos propres yeux comment la gestion productiviste de la forêt transforme nos territoires, souligne Anna Legrand. D'ailleurs, face à des monocultures, est-ce qu'on peut encore vraiment parler de forêts ? »
Une question que l'artiste s'est posée à chacune de leurs étapes, lors desquelles l'équipe a proposé des performances qui faisaient écho, chacune à leur façon, aux territoires forestiers. Au programme donc, et devant des publics de tous âges, une performance suspendue aux arbres par Justine Grange et Elsa Marchand Cormery, un spectacle jeune public qui interrogeait les imaginaires des contes sur la forêt par la comédienne et musicienne Thérésa Berger ou encore une rando-danse au cœur de la forêt par le danseur, chorégraphe et architecte Aldéric Doyen. Anna Legrand a, elle, proposé un spectacle de clown au milieu de la forêt. « Pour cette création, je me suis demandée ce que ça ferait d'aller seule dans la forêt pour y vivre, et comment ce serait d'y trouver un public », détaille-t-elle. De son côté, Malo Patron a proposé des ateliers d'écriture, toujours autour des forêts. « J'ai notamment imaginé un atelier où on écrirait en prenant la forêt comme lieu d'un fait divers, ainsi qu'en s'immergeant dans la forêt pour écrire », souligne l'écrivain performeur.
Regarder nos forêts avec un œil nouveau
Autant de performances sensibles autour des arbres qui, au fil de la tournée, se sont vues ponctuées de rencontres avec des acteurs multiples, notamment lors d'interventions en EHPAD ou dans les écoles. Sans compter la rencontre avec des associations comme Recrue d'Essences, engagée dans la lutte contre la gestion extractiviste de la forêt. De là à faire de Plonger Orchestral une tournée militante ? La réponse est plus complexe, assure Anna Legrand : « C'est sûr que les personnes qui militent pour l'environnement pouvaient se retrouver dans la tournée, mais l'idée, c'était de dépasser cette seule question militante... Avec nos performances, en invitant les gens à regarder autrement la forêt, on les sortait déjà d'une position de stricte consommation, on les mettait dans un autre rapport à la nature et par là, il y avait bien sûr un aspect très militant sans que ce soit pour autant dit comme tel. »
Un rapport à l'engagement très fort – sans qu'il soit pour autant revendiqué clairement – et qui fait écho à la décision de l'équipe de se déplacer uniquement à vélo. « Il n'y avait pas forcément besoin de dire qu'on était écolo, le simple fait d'être à vélo permettait d'ouvrir la discussion », résume Anna Legrand, elle qui, rit-elle, « détestai[t] le vélo » avant le début de la tournée. Et de renchérir : « Le projet en lui-même a quelque chose de très militant par l'itinérance et le rapport sensoriel à la forêt, mais en même temps, on ne voulait pas porter d'étiquette pour aller vers un public varié. » Des propos corroborés par Malo Patron : « L'enjeu, ce n'était pas d'imposer nos récits sur l'écologie, mais d'offrir les conditions pour que de nouveaux récits puissent émerger ».
Un travail sensible autour des forêts et de leurs habitants que l'équipe entend bien poursuivre. Après un premier passage de Plonger Orchestral par la Communauté de communes Marches du Velay Rochebaron, en Haute-Loire, l'équipe y est de nouveau accueillie depuis le 2 décembre pour un travail de création autour des forêts avec quatre classes du territoire. À cette occasion, Anna Legrand et Malo Patron travailleront d'ailleurs en binôme, avec l'écriture, le son et le corps humain comme outils de travail.