À Beyrouth, les artistes investissent le champ de la publicité

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màj en janvier 2025

Donner à voir et à réfléchir sur la société de consommation et notre rapport à celle-ci : c’est ce qu’a souhaité réaliser l’association Temporary Art Platform (TAP) au cours des derniers mois avec le projet In the Blink of an Eye. L’association d’art libano-française a invité une dizaine d’artistes à se réapproprier à leur manière les panneaux publicitaires de la capitale libanaise.

© TAP

Beyrouth est une ville polluée et saturée. Mais cette pollution ne vient pas seulement de l’épaisse fumée noire qui sort chaque jour des générateurs pour les besoins en électricité des habitants. Elle ne vient pas seulement, non plus, des pots d’échappement des milliers de véhicules qui roulent à travers la ville. Cette pollution est aussi visuelle.

Les panneaux publicitaires sont en effet nombreux dans les différents quartiers de Beyrouth, comme dans de nombreuses villes à travers le globe. Pour faire réfléchir à leurs rôles dans notre société, l’association Temporary Art Platform (TAP) a demandé à plusieurs artistes de réaliser des créations avec et autour de ceux-ci. « Dans le contexte de Beyrouth, l’industrie publicitaire est une chose à laquelle nous avons été exposés récemment. Les panneaux et les publicités sont une réflexion sur le collapse économique et social du Liban », explique Jad Karam, curateur de l’association et du projet. Les panneaux vendent des produits en tout genre, du rêve aussi, de l’immobilier, une sorte de stabilité et même, la promesse d’un passeport aux nombreux visas pour voyager et sortir du Liban plus librement. « Nous avons vraiment souhaité mener une réflexion sur ce que nous traversons en ce moment », reprend le curateur. 

© TAP

TAP a souhaité continuer la logique des longues interventions sur les panneaux publicitaires par des artistes, dans l’idée de ce qui a déjà été fait aux États-Unis. L’idée était d’inviter les artistes à s’exprimer sur ces panneaux, qui sont des structures dans un aménagement urbain. « Ces interventions sont un moyen non pas de réfléchir seulement historiquement, mais aussi politiquement et économiquement, à leur signification », ajoute Nour Osseiran, une autre curatrice de l’intervention.

Au total une dizaine d’artistes ont pris part à cette initiative. Leurs œuvres sont restées dans le paysage urbain beyrouthin pendant deux semaines. Certaines amenaient notamment une réflexion autour de l’environnement et de la nature.

L’olivier de Tamara Kalo

Pour son projet, l’artiste libanaise a choisi de concentrer son œuvre autour des oliviers du village de Bchaalé (au nord du Liban), des arbres vieux de plus de 7000 ans, que certains désignent comme les plus anciens du monde. 

© TAP

Dans ses racines se racontent le passé, le présent et le futur du Liban. L’œuvre interroge la notion de temps autour de cet arbre. Pour ce travail, l’artiste a utilisé le panneau publicitaire comme un support matériel : le panneau capable de consommer la lumière, comme le fait l’arbre lors du processus de photosynthèse. « C'est un anthotype à grande échelle, utilisant des feuilles d'olivier pour créer le pigment photosensible et des images prises lors d'un cercle intime autour des arbres, où nous avons parlé du passé profond et commencé à imaginer un avenir lointain, en réfléchissant à notre relation avec cette plante ancestrale », explique l’artiste. 

C’est un moyen de renverser l’objectif premier de ce panneau publicitaire : de faire un pied de nez à la société de consommation. L'exposition à la lumière du soleil dans le présent alchimise les feuilles de l'arbre ancestral pour postuler un futur renouvelé. « Bien sûr, certains artistes ont travaillé sur leurs inquiétudes concernant l’environnement, explique Nour Osseiran. Tamara Kalo a juste utilisé le panneau comme structure, elle a utilisé ensuite du textile et du matériel photosensible… »

Pour Tamara Kalo, les oliviers sont intrinsèquement liés à l’identité libanaise, en tant que peuple et culture. Face aux violences infligées depuis des décennies à ces terres, et d’autant plus depuis plusieurs mois en raison de la guerre, l’artiste a ressenti le besoin de renouer le contact avec eux. « Ils portent un poids symbolique immense, mais ils sont aussi un fil conducteur entre nous. J’ai voulu imaginer l’étendue de leurs vies et tout ce qu’ils ont traversé comme un rappel que le moment difficile que nous vivons finira par passer, mais que notre lien avec ces arbres et cette terre demeurera inébranlable et profondément enraciné. »

Le bain de l’olivier de Dalia Baassiri

C’était sur l’une des plus grandes artères routières de Beyrouth. Au cœur d’une dense circulation : bruyante et dérangeante. Les panneaux publicitaires, ici aussi, sont rois. Les automobilistes et les passants ont parfois du mal à s’y retrouver. Au tout début de l’été, pourtant, l’un de ces nombreux et imposants panneaux dénotait. Pas de publicité. Pas de choses à vendre. Juste un olivier. 

© TAP

L’artiste visuelle Dalia Baassiri a pris part au projet de TAP. Elle a orienté son œuvre sur les conséquences environnementales de la guerre qui sévissait, alors, dans le sud du Liban d’où elle est originaire. Une guerre qui s’est maintenant étendue à tout le pays et qui touche de plus en plus de ressources naturelles. 47 000 oliviers ont disparu depuis un an selon les chiffres du gouvernement.

© TAP

Sur le panneau publicitaire comme support, on voit les mains de l’artiste en train de nettoyer un petit olivier à l’aide de savon artisanal. Dalia Baassiri a ainsi voulu perpétrer sa pratique de documentation des actes rituels de purification en témoignages de soin. « Tout comme le lavage délicat d’un défunt avant son dernier repos, je rends hommage aux dizaines de milliers d’oliviers qui ont été délibérément pris pour cible dans une guerre persistante », explique-t-elle sur ses réseaux sociaux. 

La rébellion par le repos de Nathalie Harb

À Beyrouth, le paysage urbain est saturé d’enseignes promettant un avenir radieux. Les panneaux publicitaires vantent la propriété privée, les investissements étrangers, l’assurance catastrophe, et même la nationalité comme produit de consommation. Ces projections futuristes, tout en brillant de promesses, recyclent les souvenirs d’un passé idéalisé pour mieux vendre un avenir standardisé. 

© TAP

L’artiste Nathalie Harb a souhaité casser cette cacophonie visuelle et proposer une rupture. Pour elle, le repos, le sommeil et le plaisir peuvent constituer des actes de résistance. Dans une ville prise entre nostalgie du passé et spéculation du jour d’après, le repos et autres moments volés au tumulte permettent de prendre du recul et d’interroger les narrations schizophréniques dans lesquelles sont pris les Libanais. 

© TAP

À travers son travail, l’artiste libanaise explore les relations complexes entre espaces publics et privés. Ses créations, qui mêlent interventions urbaines, théâtre et expositions, questionnent la notion de chez soi. Via ses collaborations avec des artistes et des praticiens qui viennent d’autres horizons, Nathalie Harb propose de revoir la manière d’habiter et de transformer l’espace en refuge contre les agressions. Par cette pause et cette alternative silencieuse à la frénésie ambiante, la créatrice envisage une nouvelle manière d’habiter le monde : en s’autorisant à rêver autrement.

L'art de Renoz et la mémoire urbaine

Monuments inachevés, objets abandonnés et projets avortés : le paysage urbain de Beyrouth compte de nombreux vestiges. Au fil des années, ces fragments non développés ici et là se fondent dans la ville. Ils deviennent des ruines modernes et des témoins d’un passé en suspens. Pour l’artiste de street art Renoz, ils constituent aussi un terrain de jeux à explorer. Il s’intéresse à leurs structures et à leur impact sur l’environnement. Renoz intègre dans son art les éléments du quotidien comme les billets dévalués, les camions-citernes, les panneaux routiers et les cabines téléphoniques pour interroger autour des thèmes comme la corruption, la pénurie d’eau et l’inflation.

© TAP

Avec ce travail, l’artiste visuel permet de revisiter ces traces de l’histoire et les réalités qu’elles contiennent. C’est aussi un miroir du rapport entretenu à la ville. Des ruines modernes qui mêlent le passé et l’avenir. 

Amélie David
Journaliste depuis bientôt 10 ans, Amélie a à cœur d’explorer les sujets liés aux changements climatiques et à l’environnement. Après avoir eu la chance de travailler sur différents continents, elle est aujourd’hui basée au Liban, à Beyrouth.
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