
Hayao Miyazaki n'est pas écolo. Le célèbre réalisateur de films d'animation japonais – dont Le Voyage de Chihiro et Le Château Ambulant – s'en défend même : « Depuis la sortie de Nausicaä de la Vallée du Vent en 1984, on m'a collé l'étiquette d'écologiste. Or, je ne le suis pas du tout. Je gaspille beaucoup de papier, je bois du café ! » Certes éloigné du stéréotype de l'écologie des petits gestes, son univers véhicule néanmoins une réflexion philosophique sur le lien entre nature et civilisation, ancrée dans les croyances ancestrales japonaises. Plongée dans l'écologie selon Miyazaki : une invitation à repenser notre place dans l'environnement, entre souci de préservation du vivant et espoir d'une société juste.
L'humain et la nature
Une terre désolée, un homme portant un masque à gaz, des arbres envahis de champignons relâchant un gaz putride. « Encore un village mort », soupire Yupa. Voici la scène d'ouverture du film post-apocalyptique Nausicaä de la Vallée du Vent (1984), un monde où la Terre est anéantie par les ravages de la pollution industrielle, et recouverte par une forêt devenue toxique. Inspiré par l'empoisonnement au mercure de la baie de Minamata dans les années 50, Miyazaki crée une fiction évocatrice, éveillant nos consciences à de possibles futurs.
De fait, tout au long de sa filmographie, de nombreux personnages de Miyazaki font face à un conflit majeur au cours de leur voyage initiatique : comment vivre dans un monde marqué par un déséquilibre entre les intérêts de la civilisation et le respect de la nature ? Ayant grandi dans un Japon d'après-guerre en pleine industrialisation, le réalisateur cherche à montrer l'impact de l'humain sur le monde, sans pour autant user d'un discours moralisateur.
Une nature omniprésente
La nature est omniprésente chez Miyazaki, et tantôt souillée, tantôt sublimée, son ambivalence est toujours représentée. Même si la forêt toxique est mortelle, elle n'en reste pas moins un écosystème fascinant où Nausicaä (la Princesse de la Vallée du Vent, une petite communauté au bord de l'extinction) passe des heures à flâner, enchantée par le spectacle des champignons libérant leurs spores dans l'après-midi.
Miyazaki peint les environnements naturels dans toute leur diversité, de l'île refuge dans dans Conan, le fils du futur (1978) à la forêt primaire de Princesse Mononoké (1997). Dans Mon Voisin Totoro (1988), grand-mère explique les bienfaits de la terre et du soleil pour la production de légumes nourrissants pour le corps. Du côté de la Vallée du vent, les habitants s'attristent quand ils doivent brûler un vieil arbre qui leur permettait de préserver leurs réserves d'eau. En donnant à voir le souffle du vent animer un simple brin d'herbe ou la lumière passer à travers les branches du camphrier, Miyazaki offre une expérience poétique et sensorielle au spectateur.
Ce parti pris ne vient pas de nulle part. La forêt de Totoro, par exemple, est directement inspiré d'une zone boisée de 3,5 hectares, surnommée Kaminoyama, proche du lieu de résidence de Hayao Miyazaki dans la ville de Tokorozawa. Lors du boom économique du Japon, Miyazaki a également assisté à la déforestation au profit de l'urbanisation. De quoi nous mettre en garde : la civilisation a trop longtemps nié l'existence de l'environnement au profit de ses intérêts personnels.
Une écologie animiste
La culture japonaise est encore fortement influencée par le shintoïsme, une spiritualité animiste pour laquelle le sacré est étroitement lié à la nature. Les rivières, les montagnes et les forêts abritent des esprits, comme Totoro, leur insufflant la vie, et comme les susuwatari (noiraudes, en francais).
Ces croyances incitent à la préservation de la nature et à une absence de hiérarchie entre les êtres : l'humain n'est qu'un élément dans le grand tout. Toutefois, la nature n'est pas une entité immuable pour Miyazaki. Animée et évolutive, elle se préserve face à la menace. Dans Le Château dans le ciel (1986), elle reprend ses droits en se protégeant à l'aide de robots géants. La forêt toxique est créée par l'Humain dans Nausicaä, mais elle évolue en un écosystème complexe hors de son contrôle. Ainsi, l'écologie est abordée au sein d'une réflexion plus vaste, basée sur l'éthique et le respect du vivant. L'Humanité doit cesser de chercher à dominer la nature afin de retrouver sa juste place dans l'univers.
La technique au service de l'éthique
Miyazaki dénonce la foi aveugle en la science et la technologie, incarnée par des personnages de scientifiques (les créateurs du fongus mutant dans Nausicaä, par exemple), mettant en lumière une humanité irresponsable dans sa quête de pouvoir au prix de la destruction de la Terre. Pour lui, la technologie doit être au service de la vie, à l'image des robots soldats devenus jardiniers dans Laputa, l'île légendaire flottant dans le ciel dans Le Château dans le ciel.
Profondément influencé par l'école de Kyôto et Heidegger, le grand penseur de la technique en Europe, Miyazaki ne prend pas parti entre nature et civilisation. Il prône toutefois un équilibre, incarné par les personnages d'Ashitaka (prince de la tribu des Emishi dans Princesse Mononoké) et Nausicaä. Face aux machines de guerre n'apportant que destruction, Nausicaä manie son planeur avec justesse au nom de l'éthique du vivant. Dans une volonté de comprendre la forêt toxique, elle se comporte d'ailleurs en véritable scientifique, en collectant des échantillons de pollen dans des tubes à essai pour son laboratoire. Ashitaka, quant à lui, porte sur le monde un regard sans haine malgré la malédiction qui menace sa vie.
L'écologie selon Miyazaki : vers la sobriété ?
La vision de l'écologie de Miyazaki fait fortement écho à nos préoccupations contemporaines. En effet, on observe dans son œuvre une remise en question de notre relation au monde, un appel à la réintroduction de la nature dans la société, une critique du techno-solutionnisme ou encore une recherche d'équilibre entre nos besoins (consommation de ressources) et la préservation des écosystèmes (les limites planétaires). Plus remarquable encore, on retrouve dans Princesse Mononoké les fondements de l'écologie intersectionnelle, notamment dans l'affrontement entre Eboshi et la Princesse. L'une s'engage en faveur des plus vulnérables au détriment de la nature ; l'autre protège coûte que coûte la forêt et les animaux, niant l'humanisme. Qui a raison, qui a tort ? L'humanité finit par tuer le dieu de la forêt, marquant la fin d'une ère et le début d'une réconciliation entre nature et civilisation, essentielle à l'équilibre pour Miyazaki. Le message est clair : il n'y a pas d'écologie sans humanisme.
La plupart des films de Miyazaki sont disponibles sur la plateforme Netflix.