Tiens, une abeille qui se pose à côté de notre sandwich au picnic. On regarde ses ailes, ses rayures, et elle est déjà repartie. Et si les artistes pouvaient nous aider à mieux connaître ce vibrant pollinisateur ?
« Si les abeilles venaient à disparaître, l’humanité n’aurait plus que quatre ans devant elle» : une jolie (ou effrayante, au choix) citation d’Einstein que vous avez peut-être déjà rencontrée. Dommage qu’il ne l’ait sans doute jamais prononcée. Mais le danger qui plane sur les abeilles, et son impact sur la biodiversité est lui bien réel. Alors que le 20 mai se tenait la journée internationale des abeilles, qu’est-ce que la culture nous apprend sur notre rapport aux abeilles ?
Écouter les abeilles danser
La plus ancienne représentation de l’apiculture a 8000 ans. Une fresque retrouvée dans une grotte en Espagne dépeint une figure humaine montée sur une échelle pour atteindre une colonie sauvage nichée dans une falaise. Des abeilles, figurées par trois ou quatre traits, s’en échappent.
Depuis, les apiculteurs portent des chapeaux et se baissent vers des boîtes en bois qui hébergent des abeilles qu’ils ne qualifient plus de sauvage. Mais le principe reste sensiblement le même. Certains artistes, de leur côté, ont troqué les pinceaux pour la technologie, et représentent les abeilles de façon plus… abstraite.
C’est le cas de Justine Émard, dont l’installation interactive Supraorganism s’appuie sur les mouvements des abeilles, analysés par une intelligence artificielle pour réagir aux mouvements des visiteurs. “Ce qui m’intéresse chez les abeilles, c’est la dimension collective de leur intelligence, le fait que l’essaim, qui fournit et traite des informations sur son environnement, puisse être comparé à un cerveau”, indique l’artiste. Le ballet des abeilles, qui est indispensable à leur survie, puisqu’il leur permet d’indiquer à leurs congénères où trouver des fleurs à butiner, se transforme en expérience esthétique pour humains qui confondent peut-être un peu trop vie réelle et artificielle.
AnneMarie Maes invite quant à elle directement les abeilles dans les galeries d’art, à travers un système de ruches transparentes. En plus de produire du miel, car elles butinent à l’extérieur à travers un tuyau dans le mur, leurs mouvements sont enregistrés et utilisés
par des scientifiques pour analyser leur comportement (et les dangers qui pourraient être apparaître dans leur environnement, comme des pesticides), et par l’artiste pour créer des œuvres d’art audio et des performances.
L’apic’, c’est chic
Vous rêvez de vous lancer dans l’apiculture, mais vous êtes plus fashionista que paysan ? Le monde de la mode a pensé à vous. En septembre 2020, le designer Felipe Oliveira Baptista dédiait la collection printemps/été 2021 (oui, la mode est prévoyante, comme les abeilles qui font des stocks de miel pour l’hiver) de la maison Kenzo à la figure de l’apiculteur.
Des mannequins ont foulé le runway vêtus de tenues monochromes ou aux imprimés floraux, et portant des chapeaux avec filet, qui couvraient parfois l’intégralité de leur corps. Pas très pratique cependant, qu’il s’agisse de manipuler les ruches ou de sortir son portefeuille pour acheter un pot de miel au supermarché.Époque oblige, le designer a rapproché cette protection intégrale de la crise du coronavirus, qui a rendu le port du masque banal. Mais c’est aussi la culture qui lui a servi d’inspiration directe : il a indiqué s’être lancé dans la collection après avoir visionné le film Honeyland, qui suit le quotidien de la dernière apicultrice d’abeilles sauvages en Europe.
Les abeilles numériques, ça pique ?
Si les abeilles risquent de se faire discrètes dans le monde réel, elles colonisent les mondes virtuels comme Minecraft ou Animal Crossing. Ne vous attendez pas à trop de réalisme cependant : les abeilles d’Animal Crossing ne piquent pas, et celles de Minecraft délivrent des points d’expérience… quand elles sont tuées (mais on peut quand même récupérer leur miel sous certaines conditions).
Évoquant plus directement la préservation des abeilles, Guerlain a lancé une collection de NFT, des œuvres d’art numérique, intitulées Cryptobees. Pas de traits de pinceaux, mais une composition sur silhouette d’abeille qui mêle images de fleurs, textures de matériaux géologiques et coordonnées géographiques. En achetant une Cryptobee (en crypto-monnaie uniquement), les collectionneurs techno-écolo financent « le réensauvagement de 28 hectares de réserve naturelle ». Vous êtes un peu perdus ? C’est normal.
Toute la culture n’est cependant pas adepte de ce que l’on appelle parfois le techno-solutionnisme, l’idée que la technologie peut répondre à tous les problèmes que nous rencontrons, dont le changement climatique, sans que nous ayons à modifier nos modes de vie. Dans l’épisode « Haine Virtuelle » de 2016, la série dystopique Black Mirror nous met en garde contre la tentation de remplacer les abeilles par des robots. En 2018, le géant du commerce américain Walmart déposait précisément un brevet pour des robots qui pourraient polliniser les fleurs à la place des abeilles…
Avant de s’envoler vers de nouveaux horizons, une dernière citation - véridique et poétique, issue du délicieux Dictionnaire des mots tordus de Zep. « Abeille : Petit insecte capable de fabriquer du ciel ».