Gabriel Malek : « Les mangas montrent qu’on a le pouvoir de se soulever pour renverser le système »

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màj en août 2024

Dans son premier ouvrage Les Sensei de la décroissance, paru au mois d'avril, Gabriel Malek, fondateur de l'association Alter Kapitae, propose une lecture écolo et anticapitaliste de grands classiques comme Fullmetal Alchemist ou Dragon Ball Z. Entretien.

Pourquoi est-ce que les mangas permettent de parler d’écologie de façon « joyeuse et inspirante », comme tu l’affirmes dans ton livre ?

Gabriel Malek : Le manga est un média de pop culture et un média de masse : la France est le deuxième pays où l’on achète le plus de mangas dans le monde, juste derrière le Japon. C'est aussi un bien culturel transclasse, accessible à tout le monde, apprécié à la fois par des adultes et par des jeunes : la génération qui a grandi avec le Club Dorothée (l’émission de TF1 qui a popularisé les mangas en France dans les années 1990, ndlr), certains fans sont devenus parents et peuvent en parler aujourd'hui avec leurs enfants… Enfin, c’est un média dont les codes ont été très repris sur internet, que ce soit par des créateurs de contenus comme Inoxtag (vidéaste français suivi sur Youtube par plus de 7 millions d'abonnés, ndlr), qui revendique « l’esprit Shonen » comme moteur pour se dépasser, ou juste pour faire des memes.

« Les mangas sont beaucoup plus politiques : ils parlent de pouvoir, de domination, de révolution, sans être manichéens. » - Gabriel Malek

De Ségolène Royal au député Rassemblement National Jean-Philippe Tanguy, de nombreuses personnalités politiques ont voulu empêcher les jeunes de lire des mangas, qu’ils jugeaient trop violents… Comment expliquer que ces stéréotypes perdurent encore aujourd’hui ?

G. M. : Ces prises de position témoignent d’une forme de mépris et d’ignorance. Quand le Club Dorothée s’est arrêté, on s’est retrouvés avec des dessins animés comme Scooby-Doo et Martin Mystère, avec des gentils, des méchants et des intrigues bouclées en un épisode. Alors oui, c’était moins violent, mais intellectuellement, il n’y a pas photo. Les mangas sont beaucoup plus politiques : ils parlent de pouvoir, de domination, de révolution, sans être manichéens. Cela permet de faire des parallèles avec notre monde.

Selon ton analyse, la violence des mangas est loin d’être gratuite : elle reflète celle de nos sociétés néolibérales. Est-ce que tu peux revenir sur quelques exemples ?

G. M. : Dans Fullmetal Alchemist, le gouvernement massacre des populations pour créer ce qu'il appelle un pierre philosophale. Cela peut faire écho aux enfants exploités dans les sweatshops en Asie ou dans les mines au Congo, pour pouvoir consommer toujours plus. Le manga The Promised Neverland contient une autre métaphore très brutale. On y découvre des fermes où les enfants sont élevés pour être consommés par des monstres. Les enfants sont mieux traités dans les élevages de luxe : ils sont choyés, aimés pour avoir meilleur goût, alors que dans les élevages industriels, ils n’ont pas de place et n’arrivent même pas à développer le langage… Ça fait forcément réfléchir à notre rapport aux animaux.

Les héros des mangas que tu cites sont confrontés aux mêmes dilemmes que nous : ils se demandent s’il vaut mieux saboter le système ou le changer de l’intérieur, s’il vaut mieux se soulever à l'échelle globale ou locale. Quelles leçons tactiques le mouvement écolo peut-il en tirer ?

G. M. : Premier constat : il est difficile de faire la révolution à l’échelle globale. Dans Death Note, le personnage de Light Yagami y parvient temporairement grâce à son carnet qui permet de tuer les personnes dont il écrit le nom. Pour arriver à son but, il a besoin d’une arme pour exercer la terreur : c’est une impasse stratégique. Une autre idée qui peut inspirer les mouvements écolo comme les Soulèvements de la Terre, c'est le fait que des personnes bien insérées à l’intérieur du système peuvent avoir besoin d’une aide extérieure pour le renverser. Dans Bleach, par exemple, quand le personnage de Rukia Kuchiki est condamné à mort, son grand frère ne l’aide pas, car il fait partie des grandes familles au pouvoir qui soutiennent cette décision. Mais à la fin, il remercie quand même les rebelles qui se sont battus pour libérer sa sœur.

Light Yagami de Death Note et Rukia Kuchiki dans Bleach

Tu parles aussi du shintoïsme, qui est toujours pratiqué par 70 % de la population au Japon. En quoi est-ce que cette religion soutient une représentation plus respectueuse du vivant et des écosystèmes ?

G. M. : L’occident hérite de la pensée de Descartes, selon lequel le vivant et le divin sont séparés, et l’homme est maître et possesseur de la nature. À l’inverse, au Japon, le shintoïsme a imposé une vision du monde beaucoup plus animiste, avec des divinités (les kamis) qui sont souvent des éléments naturels. Avec l’écologie, on redécouvre le fait que les humains et le vivant font partie du même ensemble ; dans la religion shinto, c’est une évidence. Cela se ressent beaucoup dans l’univers d’Hayao Miyazaki : dans Pompoko, par exemple, quand le personnage de Gonta découvre que sa forêt natale a été transformée en « colline sans visage ».

Dans l'introduction de ton livre, tu te demandes si les mangas ont influencé tes convictions écolo, ou si à l’inverse, celles-ci n'ont pas « recoloré » tes lectures… Est-ce qu'il n’y a pas un gros biais de confirmation dans ton analyse ?

G. M. : Évidemment, c’est une lecture très personnelle. La pop culture fait souvent l’objet de réappropriations politiques, sans doute parce qu’elle touche énormément de monde… Une œuvre que j’adore, Le Seigneur des anneaux, a été adulée par de nombreux hippies qui y ont vu une défense de leurs valeurs écolos, dans les 70. Mais dans l’Italie fasciste de Meloni, certains groupes d’extrême-droite y font aussi référence, car ils y lisent une ode à la race blanche. Cela dit, en ce qui concerne les mangas, je pense avoir réussi à identifier certaines lignes fortes : le message révolutionnaire, la défiance envers le pouvoir dépeint comme autoritaire et agressif. Ensuite, certaines œuvres portent un message écolo évident, comme les films de Miyazaki. Pour d’autres, comme Dragon Ball Z, j’ai eu plus de mal à faire le lien avec l’écologie, c’est clair.

La quatrième de couverture de ton livre annonce que les mangas sont « l’utopie de notre siècle ». Pourtant, la plupart des récits que tu décris nous plongent dans des univers dystopiques, on ne voit pas de projet de société écolo abouti. Est-ce suffisant pour donner envie d’agir ?

G. M. : Les mangas sont des utopies parce qu’ils montrent qu’on a le pouvoir de se soulever pour renverser le système, ça redonne un espoir fou. À la fin de Nausicaä de la Vallée du Vent, l’héroïne réussit à sauver son monde ravagé par la guerre. Le film se conclut sur une image de paix ; dans le générique de fin, la vie reprend son cours. Mais c’est vrai qu’à part cet exemple, j’ai eu du mal à trouver des représentations d’un monde utopique post-croissance. Nos imaginaires ont été colonisés : on a du mal à imaginer ce qu’il peut y avoir après le capitalisme…

En attendant, les mangas peuvent aider à se sentir légitime pour parler d'écologie. J’ai vu des filles de douze ans oser prendre la parole sur le sujet lors d’une conférence organisée avec l’association Banlieue Climat. Ce qui a facilité le dialogue, c’est qu’on a introduit le propos en faisant des références à One Piece (comme l’a fait l'autrice Fatima Ouassak dans son passionnant manifeste Pour une écologie pirate, ndlr). Ça aurait sans doute moins bien fonctionné avec des rapports du Giec, ou de livres de Frédéric Lordon !

Les Sensei de la décroissance, Gabriel Malek, Payot, 256 pages, 19,90€

Gabrielle Trottmann
La tête entre Paris et Marseille, Gabrielle s'intéresse aux histoires qui racontent les dérèglements du climat, à l'environnement et au mal-logement. Membre des collectifs Focus et Enketo, elle écrit aussi pour France 3, Le Parisien, Marianne, Madmoizelle, Phosphore ou encore Public Sénat.
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