Et si, pour se reconnecter au monde qui nous entoure, il fallait d'abord se reconnecter à soi et à sa propre créativité ? C'est en tout cas la conviction de Samuela Burzio et Morgane Lombard, cofondatrice du collectif La Nature Émoi. Interview.
Samuela est éco-aventurière, conférencière et fondatrice de plusieurs collectifs engagés. Morgane est photographe et utilise sa pratique comme moyen d’expression et outil thérapeutique. Leur devise commune ? Tout le monde peut être poète ! Le duo créatif et engagé porte ainsi le collectif « La Nature Émoi », dans lequel elles invitent chacun à devenir artiste dans sa relation avec le monde vivant. À travers des ateliers et des résidences, elles offrent des moments de reconnexion à soi et à la nature en utilisant l’écriture et la photographie, et plus largement l'art et la littérature. De quoi nourrir un activisme poétique et inspiré.
Comment est né « la Nature Émoi » ?
Samuela Burzio : Il faut qu'on vous raconte l'histoire de notre première séance... La Nature Émoi est née de la rencontre de Morgane et moi-même, et de nos recherches respectives sur ce que représente l'écologie pour nous et quelle est notre relation à ce qui est autour de nous, ainsi que de nos démarches artistiques poétiques respectives. En sortie de confinement, nous sommes parties nous balader en forêt de Fontainebleau. À un moment, nous sommes sorties des sentiers battus pour aller nous immerger dans un océan de fougères, là où la végétation était vraiment explosive et luxuriante. Morgane avait son appareil photo, et on a commencé à faire des prises de vues de manière assez spontanée. Un corps humain – le mien – et les fougères. Quand on a regardé les photos, je me suis dit : « ces images racontent quelque chose de fort sur la relation entre l'élément humain et l'élément végétal ». Ça racontait une certaine horizontalité, une harmonie. Or, nous sommes convaincues que la crise climatique est une crise de la sensibilité. Étant toutes les deux très réceptives à l'image, au récit, à la poésie, quand on a vu la dimension sensible de ces images justement, on s’est vraiment dit : « il y a quelque chose à faire ».
Morgane Lombard : Exactement. Cette volonté de relationner différemment à notre environnement s’est perçue dans les images. C'est ça qui a été assez incroyable : de voir qu'on pouvait mettre du sensible et de soi dans la création. Ce jour là, on s'est mariées à l'univers, comme un acte symbolique pour appuyer notre engagement envers la Terre. On a rédigé un texte sur un petit post-it et on a énoncé à voix haute : « En ce jour, nous nous engageons à aimer toutes choses en tout temps ».
Expression de soi, expression artistique, connexion à la nature… N’y a t’il pas également une dimension thérapeutique, soit pour vous soit pour les personnes qui viennent à vos résidences ?
M. L. : Aujourd'hui on est plutôt sur une volonté d’être dans un espace d'art-création plutôt que d’art-thérapie. On part du cœur pour créer, pour émettre une création dans le monde. On ne fait pas ça de soi à soi, mais pour explorer l'écologie poétique. La posture artistique et politique est intégrée dans des espaces de méditation… et c'est ce qui permet d'avoir accès à soi pour créer quelque chose qui vient profondément du cœur.
S. B. : Oui, l’idée est de contribuer à fabriquer de nouveaux imaginaires et de nouveaux récits sur nos relations au monde. Les participant·es de nos ateliers et résidences nous disent souvent : « C'est un espace dans lequel j'ai vraiment trouvé une connexion à moi-même tout en étant avec l'autre ». L’autre étant, ici, l'humain ou la nature. La connexion est possible parce qu’on fait ça immergés dans la nature : on fait des marches silencieuses, des méditations guidées… Et puis, je dirais qu’on invite les gens à aborder la poésie comme une posture et comme une manière de voir et d'être au monde. Par exemple, on a proposé en retraite l’écriture de haïkus ; une forme de méditation dans laquelle on apprend à observer. Nous, ce qu'on propose, c'est de dire aux gens : « On ralentit, on s'arrête et on regarde ». On apprend à voir ce qu’il y a autour de nous et à souffler. L'acte poétique, c’est ça. Derrière toute forme d'expression artistique il y a un acte poétique, autrement dit une manière de voir le monde. Parfois on peut dire que « le poète, c'est quelqu'un qui a la tête dans les nuages ». Moi, j'aime bien dire que le poète dit la vérité. Il voit la vérité, il voit au-delà, au-delà de ce qui est là, qui est posé, qui est cadré. Je dirais que le poète manifeste l’invisible. Quand on regarde, on peut tisser des milliards de liens. Justement, des liens qui ne sont pas visibles tout de suite. Nous, ce qu'on veut faire avec nos retraites, c'est de les rendre visibles par l'acte de création artistique.
Peut-on parler d'activisme poétique ?
S. B. : Quand on est activiste, on est engagé, on agit, c’est forcément une forme d'engagement. Clairement, je pense qu'il y a une forme d'activisme dans le cœur et dans le ventre de Morgane et moi. Ici, on ouvre des espaces qui sont inspirants et qui permettent de changer de point de vue. Donc je dirais que c'est une forme d'engagement qui commence par la conscience de ce qui est, la création et le soin plutôt que dans le : « Il faut faire, il faut agir, il faut y aller ». Il y a aussi une écoute de toutes les émotions générées par la crise climatique : on peut les intégrer, on peut les mettre sur papier, dans des images, dans des expressions artistiques. Chaque matin, pendant nos retraites, on demande aux participants·es d'écrire des haïkus avant de commencer leur journée ; ça les invite à insérer dans leur quotidien un vrai moment méditatif, dans le sens de « ok je m'arrête et juste j'observe ce qui est ».
M. L. : Il n’y a pas de désengagement politique en faisant ça, au contraire : c'est en prenant soin d’observer que ça donne envie de s’engager. Il y a des gens qui vont peut-être se rendre compte que leur relation aux écosystèmes naturels les touche beaucoup et qui, à terme, s’engageront dans une association qui en prend soin. Quand on est touché, on a davantage envie d'apporter sa petite pierre.
Ressentez-vous l'impact des saisons sur la créativité des participant·es ?
M. L. : Évidemment ! On n'est pas la même personne en fonction des saisons. À l'automne, nous, par exemple, on se positionne plutôt sur les sujets du passage et de la métamorphose. En observant les arbres et les feuilles qui en tombent, on réalise qu'il y a des choses qui sont à laisser mourir, d'autres qui meurent pour mieux revenir... On prend conscience que les rythmes ne sont pas les mêmes en fonction des saisons, alors on adapte notre proposition et nos thématiques, bien sûr.
S. B. : Notre intention, c'est précisément d’inviter les gens à ressentir l'impact des saisons. Le rythme des choses n’est pas du tout le même qu'on soit en été ou en hiver. J'aime bien l'idée de réconcilier les individus avec l'automne et l'hiver, il y a plein de gens qui sont en réaction par rapport à ça. Juste en observant la nature qui change, on explique qu’il ne faut pas regarder la vie et la mort de manière binaire, mais considérer la métamorphose comme un cycle, et que tout fonctionne comme ça dans la nature.
Quelles personnes viennent à vos résidences, des initié·s de l’écologie ou un public assez varié ?
M. L. : Il y a des gens sensibilisés, mais pas que. C'est souvent le prisme artistique qui fait venir les participant·s. Et pour certaines personnes, le fait de déconnecter de la ville pour pouvoir se connecter à soi. L'envie de faire un week-end au vert, en quelque sorte.
S. B. : J'ajouterais qu’on sent aussi une envie de se retrouver en collectif et de créer. Je trouve qu'avoir des espaces comme ça, c'est très précieux. On voit bien ce que ça génère, le fait de créer en groupe. À la maison, les gens ont du mal à s'astreindre à une discipline artistique, donc ils sont reconnaissants d'avoir des espaces conçus pour ça, un cadre dans lequel ils se sentent en sécurité mais aussi guidés. Le fait de se retrouver connecté, au contact des animaux, des plantes... ça suscite forcément envie de t'intéresser à l'écologie, de prendre soin du monde qui nous entoure.
Les relations qu'on entretient à soi-même et au monde qui nous entoure sont donc intimement liées...
M. L. : Exactement, c’est le lien entre écologie intérieure et extérieure.
S. B. : Je pense que dans l'écologie intérieure, il y a cette idée que l'écologie part de soi et rayonne vers l’extérieur. Dans nos valeurs, il y a l'idée de soin : le soin de soi, le soin de l'autre, le soin de toutes choses. Ce soin peut ensuite prendre plusieurs formes, comme l’engagement dans une association ou des gestes du quotidien plus conscients.
M. L. : Par exemple, sur notre site nous avons écrit « les pensées polluent » pour attiser la curiosité. On pense que l’engagement dans plusieurs associations ou activités n’est pas forcément l’unique solution. Si ces engagements se font au détriment de la santé mentale et émotionnelle, c’est retour case départ. On pense qu’il est parfois plus précieux et utile de s’engager dans une petite action avec joie et résilience que de tout cumuler.