Les yeux tournés vers le ciel par une claire nuit d’été - cette semaine c'est justement le pic d'activité des Perséides, avec une cinquantaine d'étoiles filantes attendues par heure - il est tentant d’imaginer des galaxies intouchées par l’être humain, épargnées par la pollution et nos soucis terrestres. Faux, rétorquent les scientifiques - et les artistes avec eux.
Pollution lumineuse : on n’y voit plus rien !
Pour commencer, la scène décrite en introduction de cet article, une simple contemplation du ciel nocturne, est déjà hors d’atteinte. En cause ? La pollution lumineuse, liée aux éclairages urbains et aux satellites. Un problème pour les fadas du ciel, qui en ville sont réduits à ne voir qu’une dizaine des 400 étoiles que compte la constellation de la Grande Ourse, mais aussi pour les astronomes : même au Chili, en plein désert d’Atacama, les télescopes géants perdent de leur efficacité.
« La pollution lumineuse est invisible, on peut facilement l’ignorer - mais elle a un impact écologique réel », nous dit l’artiste Sophia Pompéry. Le cercle en latex noir de son installation Fluten / Floods est perforé d’après un plan de la NASA représentant la pollution lumineuse de l’Arctique. Des bâtons noirs et blancs, rappelant un jeu de mikado, évoquent les missions de reconnaissance, lors desquelles les explorateurs balisent le territoire. « La pollution lumineuse des agglomérations humaines me fait penser à un cancer dont les métastases se propagent toujours plus loin vers le pôle Nord, en corrélation avec le réchauffement du permafrost ». Pour autant, l’artiste ne souhaite pas faire une « œuvre didactique » et les bâtons, s’ils peuvent symboliser la colonisation, ont également une dimension ludique. « On pourrait utiliser toute cette énergie qui éclaire les villes à quatre heures du matin pour faire autre chose, de plus utile. »
La course aux ressources, ici et là-bas
En 2012, le rover Curiosity, envoyée sur Mars par la NASA, transmettait des photos confirmant la présence (dans le passé) d’eau liquide, réveillant les spéculations sur une possible vie extraterrestre ou la possibilité d’adapter la planète rouge à la vie des humains. Une bonne nouvelle ?
Pas vraiment, pour l’artiste indienne Vibha Galhotra. Les œuvres de sa série Life on Mars transforment les photos de la NASA en tapisseries composées de ghunghurus, grelots portés à la cheville par les danseurs et danseuses classiques du sous-continent indien. Le résultat est une sphère abstraite, où les « cours d’eau » martiens scintillent, nous invitant à nous rapprocher… à l’image de ceux qui rêvent de quitter la Terre pour s’installer sur Mars plutôt que résoudre les multiples crises de l’eau. Dans les mots de l’artiste : « La NASA a ouvert ses archives afin de promouvoir l'idée d'aller sur Mars. Je suis intéressée par les détours que prennent toutes les machines capitalistes. Pourquoi dépensons-nous autant d'argent pour aller sur Mars ? Nous pouvons le faire ici. »
Un bac bleu pour les débris spatiaux
Non contents de multiplier les déchets sur terre, les humains en génèrent également dans l’espace. La NASA elle-même décrit l'orbite terrestre basse (la zone de l'orbite terrestre allant jusqu'à 2 000 kilomètres d'altitude) comme un « dépotoir de débris spatiaux ». Des millions de carlingues de vaisseaux, de minuscules éclats de peinture, de satellites hors d’usage s’y déplacent à plus de 28 000 kilomètres par heure et sont une menace aussi bien dans l’espace que sur terre en cas de collusion. En l’absence de législation internationale ordonnant l’onéreux traitement de ces déchets, ils risquent de continuer à proliférer.
L’artiste et designer hollandais Daan Roosegaarde entend proposer une solution : l’upcycling des déchets spatiaux. Son Space Waste Lab (Laboratoire de déchets spatiaux), en collaboration avec l’Agence Spatiale Européenne, a créé en 2019 une installation extérieure permettant de visualiser en temps réel les déchets spatiaux par le biais de LED. L’étape suivante du projet promettait de transformer des déchets spatiaux pour une multitude d’usages : feux d’artifices, habitats et camion à ordures spatiaux, réflecteur solaire visant à limiter le réchauffement climatique… Tout cela vous semble bien technosolutionniste ? Bilan en 2025 avec le lancement des premières « étoiles filantes artificielles » nous répond le studio de l’artiste.
Et en bonus : prière de s’abstenir d’envoyer des œuvres d’art dans l’espace
D’autres artistes se posent encore moins de questions quand il s’agit d’envoyer de nouveaux objets d’origine humaine dans l’atmosphère. La sculpture Orbital Reflector, de l’Étasunien Trevor Paglen se voulait un « reflet de nous-mêmes », sous la forme d’un ballon de trente mètres de long dont le matériau brillant devait être visible depuis la Terre pendant quelques mois. Les astronomes n’étaient pas exactement ravis : « c'est l'équivalent dans l'espace d'un panneau publicitaire au néon placé juste devant la fenêtre de votre chambre », déclarait l’astrophysicien Jonathan McDowell. L’œuvre a été lancée dans l’espace, mais jamais déployée à cause d’un problème tout à fait terrestre : l’arrêt des activités gouvernementales pendant un mois sous la présidence de Donald Trump.
Des œuvres d’art à taille plus raisonnable ont cependant bien été « exposées » dans l’espace, notamment sur la Lune. La dernière en date est la série Moon Phases par la méga star de l’art contemporain Jeff Koons, dans le cadre d’une mission commerciale de SpaceX. La compagnie (cofondée par Elon Musk) vise carrément la colonisation de Mars, qui serait « habitable » puisqu’« il y a fait un peu froid, mais on peut la réchauffer ».
Mais ne nous laissons pas tromper. Si des œuvres d’art (très résistantes) pourraient éventuellement se plaire sur Mars, l’association Astronomers for Planet Earth est formelle : « En tant qu’astronomes, il est de notre responsabilité d’informer le public que la Terre est notre seule chance. »