Méconnue du grand public, la plasticienne suisse Maya Rochat s’est fait un nom à travers ses clichés d’une nature saturée de couleurs. Alors que son travail fait l'objet d'une rétrospective intitulée « Poetry of the earth », retour sur sa manière si singulière de mettre l'esthétisme au service de l'alerte écologique.
Présentée à la Maison Européenne de la photographie (MEP), à Paris, jusqu'au 1er octobre, l’exposition « Poetry of the earth » nous plonge dès l’entrée dans l’ADN de Maya Rochat : paysages, couleurs et rendu psychédélique. Une grotte prend des allures d'exploration spatiale féerique, des pierres en gros plan ressemblent à une mer déchaînée, un rocher se transforme en un océan vu du ciel. Le parcours de l’artiste se dévoile autour de quatre grandes séries correspondant à des périodes de création distinctes. Si depuis 2015, ses sujets de prédilection sont restés le monde végétal et minéral, elle n’a cessé d’explorer de nouvelles techniques de travail pour nourrir l’aspect lumineux de ses œuvres.
Le hasard, la tradition et l'organique
Peinture, vidéo, collage, photographie, performance, livres, installation, Maya Rochat aime varier les formats. Surtout, elle les mélange pour obtenir un rendu à la fois irréel et organique. Au troisième étage de la MEP, on peut s’amuser à repérer l'évolution des méthodes et matériaux utilisés : impression jet d’encre et UV, papier mat et métallisé, film transparent et polarisant, découpe de plastique à la main, bombage de diapositives directement sur les pellicules avec des produits chimiques, ou encore emploi de caissons lumineux. Un fil rouge ressort clairement : le hasard comme procédé créateur.
Certains verront des points communs avec un art ancestral suivant des préceptes identiques : l’Ebru ou papier marbré turc. L’artisan plonge dans l’eau des pigments dont les formes aléatoires viennent décorer magnifiquement des feuilles de papier. D’autres penseront aux clichés du génial photographe de guerre irlandais, Richard Mosse - visibles à Paris dans le cadre de Photoclimat. Lui aussi révèle un spectre de couleurs ahurissantes, mais cette fois grâce à un procédé infrarouge. Comme eux, Maya Rochat transcende le réel et donne envie de regarder le monde avec poésie.
© Maya Rochat - Poetry of the Earth (Fleurs protégées de la Suisse « N°20 »), 2022
La montée des périls, version instagrammable
Chez la trentenaire helvète, la nature domine. Cette fascination remonte à loin : enfant, elle grandit dans un moulin au fin fond d’une forêt, de quoi forger un goût marqué pour l’environnement. Quelques années plus tard, elle photographie les pierres, les arbres et leur écorce dans son pays natal, mais aussi au Pérou, où vit aujourd’hui son père. Petit à petit, elle intègre la montée des périls. Dans sa dernière série datant de 2022, elle s’intéresse par exemple aux fleurs menacées d’extinction. Sur un grand caisson lumineux, elle dispose des agrandissements de diapositives scientifiques, empruntées à la très sérieuse société de mycologie suisse, dont elle réinvente la chromatique en ajoutant du produit nettoyant sur la pellicule.
La manœuvre – attirer l’attention en convoquant l’esthétisme – n'est pas nouvelle. Mais la force de Maya Rochat est de maîtriser les codes de l’air du temps. À la MEP, un cours pointu de « color relaxation »(méthode de lâcher-prise basée sur la chromothérapie) a été organisé au milieu de ses œuvres. Toujours côté bien-être, l’artiste a récemment fait une collaboration avec une marque de tapis de yoga pour des créations vendues à l’unité 180 francs suisse (188 euros), fabriquées en Chine. Lors de notre visite, la « génération X » présente ne s’y était pas trompée, enchaînant les poses dans chaque galerie. Il faut dire que les tons fluos sont particulièrement « insta-compatibles » – rendant presque certaines productions plus belles en photo… qu’en vrai !
Des débuts punk trop en retrait
Maya Rochat serait-elle une artiste « à la mode » ? A chacun sa vision. Pour Carbo, son travail le plus intéressant est celui des débuts, « Vote for me ! », pourtant très confidentiel à la MEP. Sur un mur et sous un présentoir vitré, on découvre des choses éclectiques : là un photo-montage farfelu d’une tête sous les nuages, ici de véritables cheveux collés sur une feuille blanche, plus loin un auto-portrait en noir et blanc. Toutes semblent animées d’une énergie punk absente par la suite. Coïncidence ou non, cette série démarre en 2012, juste avant l’explosion des réseaux sociaux. Le visiteur ne pourra toutefois que faire marcher son imagination, face à des informations muséographiques très… minimalistes.
On regrette également que l’une de ses démarches originales n’ait pas été plus mise en valeur. Quand la plupart des artistes sortent un livre d’exposition après qu’elle a eu lieu, Maya Rochat fait l’inverse ! Depuis toujours, elle publie un « livre d’art » – et non un catalogue tient-elle à préciser – en amont de ses expositions. S’ils sont bien feuilletables tout au long du parcours à la MEP, il manque à nouveau quelques lignes pour rendre hommage à cette création singulière. En somme, que l’on soit sensible ou non à la poésie de Maya Rochat, le temple parisien de la photographie nous a un peu laissés sur notre faim pour découvrir cette jeune-femme prolifique.
Poetry of the earth, jusqu'au 1er octobre 2023 à la MEP
https://www.mep-fr.org/event/maya-rochat-poetry-of-the-earth/
Photo de couverture : © Maya Rochat, Vote for me ! (Pirat), 2012