Pierre Suchet : des photos, pour nous éviter de prendre l'eau

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màj en août 2024

Depuis 10 ans, Pierre Suchet, photographe, parcourt les rivières pour témoigner de leur évolution sous la main de l'Humain. Muni d’une carte et d’un appareil photo, il arpente inlassablement le lit des cours d’eau avec une seule idée en tête : rendre visible ce qui a été invisibilisé pour transformer notre rapport à l’eau. Entretien.

Qu’est-ce qui vous a amené à photographier les rivières ?

Pierre Suchet : Ça fait dix ans que je m'intéresse à ce sujet. Ça a commencé avec la Nièvre, qui coule dans la ville de mon enfance, Nevers. En fait, il y a dix ans, j'ai découvert pour la première fois que cette rivière coulait dans ma ville… Elle avait été enterrée dans les années 50 pour faire passer la voiture, à l'époque en pleine expansion. On a tout aplani, mis la rivière dans une buse sur plus d'un kilomètre et on a fait passer la déviation de la Nationale 7 qui arrivait en plein cœur de la ville, là où c'était devenu trop étroit par rapport au trafic. Depuis, cette rivière est devenue invisible. 

La Nièvre © Pierre Suchet

Face à cette découverte j’ai ressenti un mélange à la fois de stupeur et de colère à l’idée de découvrir seulement à l’âge de 50 ans qu’une autre rivière que la Loire coulait dans ma ville. Et puis, j'ai voulu aller au-delà de ces émotions pour comprendre. Comprendre que cette rivière vient bien de quelque part, qu’elle n'est pas enfouie depuis sa source. Voilà ce qui m’a mis en mouvement.

Que concluez-vous de cette expérience sur notre rapport à l'eau ?

P. S. : Au fil des années j'ai beaucoup lu sur l'eau et j'ai découvert que c'était un sujet colossal dans la vie des humains et dans celle des cités : au niveau anthropologique, dans toute la mythologie, dans les imaginaires autour de l'eau, en termes de sociologie, des usages et évolutions des usages à travers l'Histoire… L'eau est centrale dans l'activité humaine depuis les origines de l'Humanité. Je trouve ça passionnant de voir à travers les époques comment les humains ont composé avec l'eau. Comment ils se sont protégés des inondations, comment ils ont utilisé l'eau pour les besoins humains, que ce soit la pêche, la navigation, les moulins pour la force hydraulique, etc. Je trouve que c’est un sujet absolument passionnant !

Extraits des Nymphéas peints par Claude Monet

Comment choisissez-vous les rivières que vous allez photographier ?

P. S. : Pour la Nièvre, c’était un peu particulier puisqu’il s’agit de la ville de mon enfance. Pour les autres, ça dépend. Parfois, je profite d’un déplacement dans une ville pour prendre en photo la rivière qui y coule. Mais de plus en plus, ce que j’apprécie, c’est de collaborer avec des chercheurs qui étudient les rivières. Par exemple, en ce moment, je mène un projet sur le Furan, un affluent de la Loire enfoui sur plusieurs kilomètres sous la ville de Saint-Étienne. Nous sommes un groupe de travail constitué de professeurs de l’université de Saint-Étienne, de l’école d’architecture, de la direction de l’eau, du musée d’art et d’industrie, des archives métropolitaines, ainsi que d’une équipe de géomaticiens (métier à la croisée de la géographie et de l'informatique, ndlr). Ce projet ambitieux a pour objectif de mieux connaître cette rivière afin de nourrir la réflexion des riverains, mais aussi celle des politiques et des aménageurs.

Le Furan © Pierre Suchet

Y a-t-il un travail de préparation à réaliser avant de vous rendre sur le terrain ?

P. S. : Oui, à chaque exploration de rivière, je commence par repérer sur une carte tous les points qui me paraissent intéressants. Par exemple, quand je vois une « rue des Castors » ou une « rue du Barrage », ou bien quand la rivière s'élargit et se rétrécit d'un coup, et que je me dis : « Oh, là, il y doit y avoir un seuil et donc un ancien moulin ». Ça m’aide à trouver le bon point de vue, celui qui est signifiant, qui dit des choses à travers l’image, sans besoin d'avoir une explication de texte. Je préfère une bonne photo qu'une belle photo. Une photo qui questionne les choix des humains dans les transformations que le paysage – et la rivière en particulier – a pu subir.

Il y a donc tout un travail de repérage qui me prend pas mal de temps. Et une fois sur le terrain, je confronte ce repérage à la réalité, avec les problèmes d'accessibilité, de privatisation de certaines berges, d'accessibilité visuelle, etc.

Vous utilisez différents appareils photo pour vos projets. Pourquoi ?

P. S. : Je travaille exclusivement en argentique, et pour chaque rivière, je choisis un appareil et je m'y tiens. Je me dis : « Cette rivière là, ce sera un appareil panoramique, ou ce sera un Rolleiflex (format carré) ». Idem pour le type de film : « Ce sera du noir et blanc ou de la diapo couleur ou bien du négatif couleur », et pareil, je m'y tiens avec les difficultés que ça peut poser. Par exemple, pour la Nièvre, j'ai eu un peu peur car le fabricant a arrêté de fabriquer le film que j’utilisais. Finalement, j'ai fait des gros stocks et ça m'a permis de finir mon travail.

À chaque fois, je fais un choix qui est plus ou moins argumenté ou justifié. Ça dépend de l'image que j'ai de la rivière avant d'aller la découvrir. Je pourrais dire que je photographie toutes les rivières avec toujours le même appareil, toujours le même film, mais je trouve que c'est intéressant de varier. J'aime bien mettre un peu de biodiversité dans mon activité photographique !

Le Verdanson à Montpellier © Pierre Suchet
Le Lez à Montpellier © Pierre Suchet

Quel message souhaitez-vous faire passer à travers votre travail ?

P. S. : Pendant dix ans, j'ai arpenté la rivière de ma ville natale. Printemps, été, automne, hiver, d'amont en aval, d'aval en amont, à prendre en photo la rivière sous toutes ses formes. Et les photographies, chez moi, ça déclenche souvent des questions : « Mais en fait, c'est comment pour les autres rivières ? Est-ce qu'on leur a fait subir des misères aussi fortes que la Nièvre ? ».

Il y a eu deux grandes périodes pendant lesquelles on a fait des misères à nos rivières :

  • la révolution industrielle, au 19e siècle, où l’on a beaucoup couvert les rivières pour des questions d'hygiène (maladies, odeurs…) ;
  • et les Trente Glorieuses avec le développement effréné de la voiture qui a conduit à enterrer beaucoup de rivières en France, et j'imagine aussi à l'étranger.

Au fil du temps, j’ai le sentiment qu’on s’est coupé du rapport à l’eau, surtout en ville. Notre génération a toujours connu l'eau courante, mais pendant longtemps, il fallait aller chercher l'eau à la rivière ou au puit, ça ne coulait pas en tournant un robinet à l'intérieur des maisons… À travers ce travail, mon envie est de contribuer à sensibiliser les individus à l'importance de l'eau. C'est une façon de dire : « Attention, il y a quelque chose de précieux, il faut en prendre soin »

Je me suis auto-attribué un rôle de passeur. À travers cette approche sensible qu'est la photographie, je pose des questions. J’attire l'attention sur l'existence de ces cours d'eau qui ont été invisibilisés. Sur les questions de qualité d'eau, de pratiques agricoles, industrielles, etc...

Où peut-on retrouver votre travail (site internet, expos, livre…) ?

P. S. : Il y a plusieurs possibilités. Tout d’abord, je mets une partie de mes photos en ligne sur des cartes interactives via uMap et OpenStreetMap (deux outils libres développés dans un principe d’ouverture et de coopération). Je publie également certaines photos sur mon compte Instagram. Et pour ceux qui habitent en région lyonnaise, je co-anime un café-géo avec Marylise Cottet, chercheuse en géographie sociale au CNRS, le lundi 18 septembre 2023 au Périscope. L'expo photo organisée dans le cadre de l’appel de la rivière est également toujours visible sur les berges de l'Yzeron, à Ste-Foy-les-Lyon, jusqu'au 31 décembre 2023. Enfin, la publication d'un livre d’art dans le cadre de mon travail sur le Furan, est prévue pour 2024 aux éditions Filigranes.

Carte interactive répertoriant les photos de la Nièvre © Pierre Suchet
Estelle Serrero
Estelle est rédactrice web freelance. Par sa plume, elle s'engage à rendre visible tout sujet lié à l'Eau, l'Énergie et l'Environnement.
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