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Mouvement ayant pris de l’ampleur ces dernières années, la justice climatique naît d’initiatives de lutte contre le réchauffement climatique. Associations ou collectifs de citoyens, ils sont de plus en plus nombreux à pointer du doigt l’inaction climatique de certains pays ou entreprises, aux conséquences irréversibles. Derrière ce terme de justice climatique se cache l’idée d’une inégalité face au changement climatique à laquelle il faut remédier. Alors, doit-on voir dans la justice climatique, le moyen de punir les pollueurs ?
Qu’est ce que la justice climatique ?
La justice climatique désigne les mouvements politiques, éthiques, moraux ou faisant appel à la justice, et qui se rapportent à la question de l'égalité face au dérèglement climatique. Cette notion va au-delà de l'aspect scientifique et environnemental qui était jusqu'à maintenant, prépondérant. Elle confère à ce phénomène une ampleur qui le rend plus préoccupant.
Voyons cela plus en détail...
Définition
La justice climatique est un terme récent, venu consacrer le fait qu'au-delà de l’impact environnemental, le changement climatique a également des répercussions sur l’économie, la politique, l’alimentation ou encore l'énergie.
Contraignant les pollueurs, elle les tient pour responsables de dommages irréversibles qu’ils ont provoquées, que l’on peut nommer écocides ou climaticides. Les dégâts dont ils sont responsables peuvent être d’ordre humains comme environnementaux. Leur responsabilité tient du fait qu’ils violent des droits fondamentaux tels que le droit en matière de santé par exemple.
Qu'est-ce que le réchauffement climatique, et son rapport avec la justice ?
Le réchauffement climatique a déjà commencé à provoquer sécheresses, moussons et autres dérèglements de notre écosystème et au sein de notre environnement. Dans les années à venir, ce phénomène devrait s’amplifier ; la température mondiale ayant augmenté d’un degré sur le siècle passé, elle devrait augmenter de 1,5°C entre 2030 et 2050.
Pourquoi instaurer une justice climatique ?
En instaurant des droits et des obligations à chacun, on responsabilise les individus face à ce phénomène, et ce, dans l'optique de vivre de manière plus harmonieuse. Car, en parlant de justice climatique, on part du principe que les règles de droit permettent la vie en société : elles sont un outil de lutte globale contre le dérèglement actuel.
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Ainsi, de nombreuses populations vont voir leurs ressources naturelles s’amoindrir. Cela provoque de grands mouvements d’exodes afin de s’adapter aux nouvelles conditions climatiques. D’après l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, c’est 203,4 millions de personnes qui ont dû être déplacées entre 2008 et 2015 pour cause de catastrophes naturelles. Le réchauffement climatique et la justice climatique : un combat aussi contre les inégalités.
Au-delà de la crise alimentaire que cela implique, ces déplacements massifs de population entraînent également des perturbations d’ordre économique.
Le changement climatique doit donc être appréhendé sous plusieurs angles. Sa prise en compte ne doit pas se restreindre à des mesures environnementales ; c’est ce que les actions de justice climatique s’attellent à concrétiser.
Quand le climat est-il entré en justice ?
Les fondements de la justice climatique sont divers et naissent de principes inscrits dans le droit.
Depuis les Conférences des parties de la Convention-Cadre des Nations-Unis sur le Changement Climatique (CCNUCC), on considère le changement climatique à la fois comme une crise écologique, politique, alimentaire et énergétique.
La Conférence de Stockholm en 1972 instaure la reconnaissance d’un droit à l’environnement associée à la défense des droits humains.
Dans les Accords de Paris, le terme de justice climatique apparaît dans le préambule au paragraphe 13 :
« Notant qu’il importe de veiller à l’intégrité de tous les écosystèmes, y compris les océans, et à la protection de la biodiversité, reconnue par certaines cultures comme la terre nourricière, et notant l’importance pour certaines de la notion de « justice climatique », dans l’action menée face aux changements climatiques. »
Cependant, il s’agit d’une justice climatique restreinte dans son sens. En effet, elle n’est pas reconnue par les pays signataires comme principe d’action. Aucun mécanisme de sanction et de correction n’est prévu dans la COP21.
Les Objectifs de Développement Durable, définis par le Programme des Nations Unies, évoquent aussi une justice climatique ; l’objectif 13 traite de la lutte contre le réchauffement climatique. Quant à l’objectif 16, l’accès à la justice dans le monde.
On retrouve souvent la notion de justice sociale lors de négociations internationales, de réunions inter-étatiques. Ce sont les différents pays mais aussi la société civile, soutenue par certaines ONG qui l'utilisent.
🖐 La notion de justice est associée au concept de développement durable. En effet, l’un de ces trois piliers concerne le social : assurer la justice entre les personnes.
On peut facilement affirmer que c’est au début du XIXème siècle qu’apparaît les recours climatiques ou la mobilisation du droit en faveur d’une justice climatique.
Une justice inscrite dans le droit ?
Le droit international comme national reconnaissent tous deux la protection des groupes vulnérables aux changements climatiques.
Utiliser les recours climatiques, c’est mobiliser le droit. Une stratégie contentieuse et politique assumée par les ONG et collectifs engagés dans la lutte pour le climat et contre les inégalités.
🖐 Question à dix points 🙃. Existe-il un texte international sur le climat imposant des obligations juridiques et contraignantes aux États ? La réponse est non.
Le droit international et le droit européen
Au fondement de la justice climatique, 3 principes majeurs du droit international issus de conférences sur l’environnement :
- le principe de prévention pour empêcher et prévenir les atteintes et dommages causés à l’environnement,
- celui du pollueur-payeur permet d’attribuer le coût d’un dommage aux pollueurs,
- le principe de précaution. Il s'agit de prendre en compte la protection de l’environnement et la sécurité humaine dans la prise de décision afin d’anticiper les dommages.
Le droit français
En France, on retrouve le concept de justice climatique dans la Charte de l’environnement (2005) à l’article 1.
« Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
On retrouve aussi le concept à l’article 2.
« Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ».
Les principes évoqués ci-dessus sont intégrés dans la Loi Barnier (1995), dans le Code de l’Environnement (2000) et dans la Charte de l’environnement (2004).
Quelle justice climatique en France et dans le monde ?
Lutter pour le climat par le droit : est-ce efficace ?
L’objectif de la plupart des procès climatiques est double : rendre responsable l’Etat ou le groupe en pointant du doigt ses activités (ou son inaction) et rendre médiatiques des enjeux de taille afin de faire évoluer le droit.
On constate qu’il existe de plus en plus de procès en faveur de l’environnement médiatisés et obtenant gain de cause. En effet, d’après un rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement, entre 2017 et 2020, le nombre de procès climatiques aurait augmenté de 75 %.
Les grands procès climatiques qui ont marqué l’histoire
Une action juridique est engagée à l’encontre des Etats, des entreprises et des grands groupes pour inaction climatique, comme ce fut le cas pour la célèbre Affaire du Siècle. Décryptons ces grands procès qui ont marqué l’histoire :
L’Affaire Urgenda aux Pays-Bas
En juin 2015, la Fondation Urgenda, organisation néerlandaise, dépose un recours contre l’État néerlandais devant le Tribunal de première instance. La Fondation utilise la Déclaration universelle des droits de l’Homme et la Convention européenne des droits de l’Homme. Elle reproche à l’Etat de ne pas réduire suffisamment ses gaz à effet de serre, mettant en danger la population.
Après avoir fait appel deux fois et suite à un recours devant la Cour suprême des Pays-Bas, l’Etat néerlandais doit tout de même réduire ses émissions de GES de 25 % d’ici 2020 par rapport à 1990. Cette affaire est particulièrement importante. En effet, pour la première fois, le devoir de protection des citoyens contre le changement climatique d’un État a été reconnu. De plus, l’Etat doit légalement et obligatoirement définir un objectif de réduction des émissions de GES. Et ce, en cohérence avec le consensus scientifique, ses engagements internationaux et sa Constitution.
🖐 Cette décision reste néanmoins symbolique. En effet, la Cour suprême n’a pas imposé de sanction en cas de non-respect de son obligation. Ce n’est donc pas une décision contraignante.
L’Affaire Juliana contre les Etats-Unis
Cette célèbre affaire de 2015, portée par 21 jeunes Américains âgés d’entre 10 et 21 ans, vise l’Etat américain. Ces jeunes reprochent à l'Etat d'avoir mis en place un système énergétique fondé sur les combustibles fossiles. Or ces derniers sont forts émetteurs en gaz à effet de serre. Porté par Juliana et l’ONG Our Children’s Trust, les jeunes reprochent au gouvernement la mise en danger de leur avenir ; l’Etat bafoue le droit à la vie, à la liberté et à la propriété inscrits dans la Constitution américaine. Des droits bafoués par l’exploitation d’énergies fossiles.
Le gouvernement a essayé de faire échouer la procédure avec comme argument le fait « qu’il n’existe pas de droit constitutionnel à un système climatique stable ». Si la Cour du District donne raison à Juliana, le gouvernement fait appel. Et c’est en janvier 2020 que se termine l’affaire ; la demande est rejetée. Et si les juges reconnaissent un lien de causalité dans l’affaire, la Cour d’appel reconnaît « à contrecœur » que l’affaire relève du domaine politique, réglable par voie électorale.
L’Affaire du Siècle
L’Affaire du Siècle est une initiative lancée par plusieurs associations en 2018. On retrouve la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France, Oxfam France et Notre Affaire à Tous. Et elle a fait grand bruit. C’est en effet la première fois que l'on met en cause l’Etat français pour « inaction face au changement climatique». Le mouvement a rapidement remporté l’adhésion des citoyens, avec plus de deux millions de signatures récoltées en trois semaines.
Le 19 novembre 2020, cette mobilisation remporte sa première victoire. En effet, le Conseil d’Etat a jugé que les objectifs de réduction des gaz à effets de serre fixés par le gouvernement (-40% à horizon 2030) étaient contraignants. Cette décision illustre une des facettes de la notion de « justice climatique».
Pour finir, le 3 février dernier, le tribunal administratif de Paris a condamné l’Etat. L'objet de la condamnation : « carences fautives de l’Etat à mettre en œuvre des politiques publiques lui permettant d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’il s’est fixés ». Assortie d’une amende symbolique d’un euro reversé aux quatre associations requérantes pour « le préjudice moral ».
Justice climatique : vers une augmentation des procès à venir ?
France culture dans son émission Crise climatique : la justice est-elle la solution ? pose la question suivante : « La justice serait-elle donc le moyen d’accélérer la prise de conscience du dérèglement climatique et de réparer les crimes contre l’environnement ?».
Véritable question lorsque l’on sait que la multiplication des procès dans le monde peut déboucher sur une contrainte pour les gouvernements et entreprises. Et si l’on compte plus de 1300 procès entre 2006 et 2019, que nous réserve l’avenir si le climat devient une cause défendue par tous les citoyens ? Peut-on espérer des objectifs plus ambitieux en faveur de l’environnement ? 🙃
Hélas, le crime contre l’environnement, ou écocide, n’est pas (encore) reconnu ni par la Cour internationale de justice ni par la Cour pénale internationale. Or, cela changerait la donne d’autant plus si le climat était vraiment inscrit dans le droit international. Concernant la France, elle n’a toujours pas plaidé l’introduction des crimes écocides dans les traités et le droit international. De son côté, la Belgique est le premier membre de l’Union européenne en décembre 2020 à avoir plaidé pour que les membres de la cour pénale internationale examinent ultérieurement la question.
Une justice climatique étendue aux entreprises ?
Et à l’heure où cet article est écrit, une récente victoire pour la justice climatique s’est réalisée. Un juge a ordonné à une entreprise des plus connues de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Shell, célèbre groupe pétrolier, doit en effet réduire de 45% ses émissions dans les dix prochaines années. Ce qui fait suite à des plaintes d’associations environnementales au Pays-Bas. Trois aspects sont importants à noter :
- Shell a été tenu responsable des émissions de ses clients et fournisseurs (scope 3),
- le juge a reconnu le risque de violations des droits humains concernant le « droit à la vie » et le « droit au respect de la vie privée et familiale »,
- Shell doit prendre en compte immédiatement la décision, notamment dans sa politique climatique.
Une décision aux conséquences importantes pour les groupes pétroliers et autres pollueurs, s’ils deviennent tous responsables des émissions de leurs clients et fournisseurs.