Nées en 2019 au Liban, les Rencontres REEF célèbrent chaque année depuis leur création les liens entre cinéma et environnement – et ce malgré un contexte géopolitique toujours plus tendu. À quelques jours de sa sixième édition, qui se déroulera fin juillet, Carbo s'est entretenu avec la directrice artistique de l'événement autour des difficultés d'organiser un festival sur l'environnement dans un pays en guerre. Entretien.
Les rencontres REEF (ruralité en arabe) qui allient cinéma et environnement, sont nées à l’aube de la pire crise économique de l’histoire du Liban. Un an plus tard, le petit état méditerranéen était meurtri par la double explosion dans le port de Beyrouth. L’équipe du festival a su trouver les ressources financières, matérielles et humaines pour surmonter ces épreuves et continuer d’organiser l’événement. Cette année, alors que la guerre fait rage en Palestine et dans le sud du Liban, la sixième édition de REEF se veut être un miroir de l’actualité sociale et politique du Liban et de la région. Pour la directrice artistique du festival, Eliane Raheb, également cinéaste, les festivités doivent rester, malgré les difficultés, une célébration de la diversité culturelle et de la biodiversité du Liban, aujourd’hui menacées par la guerre.
Cette année, le festival REEF fêtera sa 6ème édition. Pourquoi et comment l’avez-vous mis en place ?
Eliane Raheb : Pour un de mes films, Ceux qui restent, j’ai rencontré Antoine Daher, qui est un activiste environnemental de la région de Kobayat (municipalité du gouvernorat du Akkar, au Liban, où se déroule le festival REEF, ndlr). Nous voulions montrer ce film, mais il n’y avait pas d’endroit approprié dans le Akkar. Nous l’avons donc finalement diffusé dans un restaurant, chez un ami. C’est là que nous avons vu à quel point les gens étaient intéressés par le cinéma, mais aussi que la région elle-même présentait des atouts environnementaux uniques, qui ne sont pas très connus. Faisant partie de l’association Aflamuna, qui s’occupe de cinéma, j’avais l’expertise pour organiser des festivals. Avec Antoine Daher qui est, lui, au Conseil de l’environnement du Akkar, nous avons décidé de joindre nos efforts et de créer ce festival qui relie le cinéma à la ruralité et à l’environnement.
Le Akkar est une des régions les plus pauvres et les plus marginalisées du Liban… Votre volonté est-elle aussi d’y apporter un peu plus de culture ?
E. R. : Bien sûr ! Quand il n’y a pas de cinéma, il n’y a pas de culture… C’est une région qui est mise à l’écart par l’État libanais. Pourtant, il y a un véritable potentiel avec une véritable identité culturelle et, tout ceci, dans des paysages magnifiques avec des arbres emblématiques, comme le cèdre et le genévrier, qui représentent aussi une valeur culturelle intéressante. Nous avons pensé qu'à travers le cinéma, nous pourrions faire découvrir la région.
Depuis sa création, le festival a traversé de nombreuses zones de turbulences avec la crise économique, la double explosion dans le port de Beyrouth, et maintenant la guerre en Palestine et au sud du Liban. Est-ce que ces événements ont remis en péril la tenue du festival ?
E. R. : En 2021, il y a eu un important feu de forêt dans le Akkar qui a ravagé une grande partie de la région. C’était aussi l’année de nombreuses pénuries : il n’y avait plus d’électricité, plus d’essence… Déjà, à ce moment-là, nous nous étions posé la question de savoir si on allait continuer. Nous étions dans une situation catastrophique, mais nous n’avons pas arrêté. Cette année, bien sûr, nous nous sommes posé la même question.
Et finalement, le festival aura bien lieu…
E. R. : Cette année, nous allons parler de la biodiversité, nous allons parler de la terre… Nous ne sommes pas en train de faire un festival qui n’a rien à voir avec le contexte social et politique. Nous croyons tous que cette guerre israélienne, c’est une guerre contre la biodiversité du Liban et de la région. En montrant ce que nous sommes en train de perdre comme terres au sud, avec les dégâts du phosphore blanc, nous parlons de l’actualité…
D’habitude, nous organisons beaucoup de concerts. Mais là, nous faisons plus petit, car nous sommes aussi affectés par ce qu’il se passe. Et nous souhaitons nous montrer solidaires : beaucoup d’aspects de la programmation, comme le concert, seront en relation avec la Palestine et le Sud-Liban. Nous sommes vraiment dans un festival engagé. Nous voulions le faire sur plusieurs dates et nous rendre dans d’autres localités du Liban, mais en raison du contexte, nous avons décidé également de nous en tenir à une seule date et à un seul endroit. Nous le ferons ailleurs pour d’autres éditions.
« Avec le contexte actuel, tout acte culturel est un acte de résistance. » - Eliane Raheb
Pourquoi est-ce important de maintenir un festival sur l’environnement en cette période ?
E. R. : Nous parlons de l’environnement, de la terre, ce qui est essentiel au Liban. Nous sommes dans une urgence : comment protéger cette nature que l’on a ? Nous essayons de donner aux gens de la matière pour comprendre la richesse de la biodiversité que nous avons, la richesse des montagnes, de la nature, de la culture, des gens, des différentes ethnicités (identités ethniques, ndlr) et de l’écosystème… Maintenant, avec le contexte actuel, tout acte culturel est un acte de résistance. Que ce soit en Palestine ou au Liban, nous ressentons la même chose, nous sommes tous menacés.
Pourquoi l’art se doit-il d’être engagé aujourd’hui ?
E. R. : Je ne donne pas de leçons, je ne mets pas de règles à ce que doit être l’art ou non… Je viens du documentaire, j’ai toujours eu cet ancrage dans le social et je suis une personne très politisée, comme les gens avec qui je travaille. Le Conseil de l’environnement travaille aussi à protéger les forêts : c’est aussi un acte politique car ils sont contre la corruption, et contre l’abattage illégal des arbres et autres. Nous aimons avoir un impact. Nous pensons que notre outil pour évoquer nos idées sur l’environnement et la politique, c’est l’art.
Infos pratiques :
La 6ème édition des Rencontres REEF aura lieu les 26, 27 et 28 juillet 2024 à Kobayat dans le Akkar (Liban). Plus d'infos ici et sur le site de l'association REEF.