« Il n'y avait aucune prise en compte de l'impératif écologique dans la culture »

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màj en mars 2024

Très sensible depuis son enfance à la protection de la Terre, Fanny Legros est une ancienne directrice de galerie d’art qui a tout arrêté pour mettre le monde culturel en marche vers la sobriété. À partir de 2021, elle lance coup sur coup, Karbone Prod, une agence conseil pour accompagner les organisations dans la réduction de leur empreinte écologique. Puis Plinth, une plateforme de seconde main à destinations des acteurs de la culture. Entretien.

Le milieu culturel est connu pour son retard en matière de transition écologique : c’est ce qui vous a poussé à vous attaquer à cette lourde tâche ?

Fanny Legros : Oui, on peut dire ça. Pendant mes cinq années passées à la tête d’une galerie d’art, j’ai réalisé au fur et à mesure à quel point il n'y avait aucune prise en compte de l'impératif écologique dans le milieu de la culture. C’était quelque chose dont on parlait très peu. Pourtant, je constatais au jour le jour l’immense gaspillage matériel et énergétique que les événements pouvaient représenter. J’ai ressenti le besoin de m’arrêter pour pouvoir traiter le problème.

Vous définissez Karbone Prod comme une agence d'ingénierie culturelle. De quoi s’agit-il exactement ?

F. L. : Karbone Prod est une agence d’éco-conception qui s’adresse à la production culturelle. Nous œuvrons principalement dans le domaine de l’art visuel, ce qui inclut les institutions, les musées, les galeries, les foires... Nous travaillons avec les organisations pour réduire leur empreinte environnementale avec un outil qui s'appelle l'Analyse du Cycle de Vie (ACV). Cela veut dire qu’on ne se limite pas à l’empreinte carbone, mais que l’on travaille sur l’ensemble des impacts environnementaux d’un événement : sur la biodiversité, les eaux, les sols, l’épuisement des ressources, la toxicité... On parle sans cesse de calcul carbone ou de bilan carbone, c’est très important mais cela reste qu’un indicateur alors qu'il y en a une quinzaine en tout ! L’ACV est une méthode scientifique multi-critères, l’une des plus fiables dont on dispose aujourd'hui, pour savoir où sont exactement les impacts d’un événement et mettre en place des stratégies pour les réduire. Nous avons voulu aller plus loin en adoptant une approche plus globale. Nous travaillons d'ailleurs en étroite collaboration avec le cabinet Solinnen qui est spécialisé sur ces questions.

Analyse du Cycle de Vie © Karbone Prod

Sur le site, il est écrit que « 90 % des impacts d'une production ont lieu dès sa conception », qu'est-ce que cela sous-entend ?

F. L. : Cela signifie que le coût écologique d’un projet, quel qu’il soit, dépend en grande partie des choix qui sont faits par les équipes au moment de sa conception. C’est un aspect fondamental. Dans l’art visuel, cela va du choix des œuvres à leur transport, à la scénographie, à l’éclairage, aux conditions du bâtiment... tout ce dont on a besoin pour présenter une exposition. Sans oublier le déplacement des visiteurs, ainsi que tous les services qui sont mis à leur disposition durant leur passage (restauration, toilettes…).

Difficile pour le visiteur lambda de réaliser l’ampleur de la logistique derrière une exposition…

F. L. : C’est l’un des problèmes. Nous travaillons justement à l’élaboration de supports de médiation pour pouvoir présenter les processus de production derrière une exposition. Et ce que j'aimerais beaucoup, c’est que l'on puisse communiquer davantage sur leur impact environnemental auprès des visiteurs. En précisant, par exemple, d’où viennent les œuvres sur les cartels, les raisons pour lesquelles elles ont été amenées ici, et de quelle manière. Ou bien, si ce sont des reproductions, comment a été évité leur transport, justement. Globalement, lors d'une exposition temporaire, vous pouvez avoir 150 pièces dont 30 viennent des États-Unis et 15 viennent d’Asie, mais personne ne le sait… Il y a une forme d'opacité qu'il faudrait mettre à l'œil du public.

Avez-vous déjà obtenu des résultats significatifs avec les organisations  ?

F. L. : Absolument. Nous avons travaillé avec le salon Art Paris pour déployer un dispositif d’éco-conception. Suite à une ACV, les équipes ont pu réaliser l'ampleur de ce qui était consommé pour l’événement. Elles l’ignoraient complètement ! Grâce à ce plan, nous avons pu réemployer 12 tonnes de matières, baisser la consommation électrique de 37 %, réduire les déchets de presque moitié et limiter notre impact sur l’ensemble des indicateurs : - 40 % sur le changement climatique, - 29 % sur la consommation de métaux, - 26 % sur la perturbation des sols… Le plus marquant est le travail que nous avons effectué sur le coton gratté, une matière qui sert à recouvrir les murs d’exposition derrière les stands. Il s’agit d’un coton qui vient principalement d'Asie, utilisé pour une très courte durée, qui génère une empreinte assez importante. Jusqu'alors, il allait à la poubelle ; maintenant il part dans une entreprise du nord de la France pour être revalorisé dans l’isolation de bâtiments.

Pour répondre à la question du réemploi, tu as lancé avec Carole Vigezzi la plateforme Plinth il y a quelques mois. Peux-tu nous en dire plus ?

F. L. : Plinth est un outil de Karbone Prod. C'est une plateforme de réemploi dédiée aux acteurs de la culture afin de mutualiser les biens disponibles. Elle fonctionne sous forme d’annonces en ligne qui leur permettent de s’échanger des biens de seconde main pour créer un système d'économie circulaire. 

La solution a-t-elle reçu un bon accueil dans le milieu ? 

F. L. : Elle a été très bien accueillie. La difficulté, cependant, c'est qu’elle change les usages du métier de régisseur. Se connecter à Plinth pour voir s'il y a du matériel disponible à proximité avant de commander du neuf chez son fournisseur habituel demande d'être très sensibilisé à adopter ce réflexe. C’est une création d’usage qui peut prendre un petit peu de temps. Il faut que les gens testent et apprivoisent la démarche. Mais cela fonctionne bien ! On a démarré l’aventure en récupérant des socles au centre Georges Pompidou destinés à être jetés. Ils étaient de très bonne facture, fabriqués avec des matériaux de qualité. Ils ont déjà été réutilisés 7 ou 8 fois. Aujourd'hui, on travaille avec des acteurs comme le Palais de Tokyo ou la Bourse du Commerce.

© Karbone Prod

Cette lutte contre les impacts du secteur ne doit-elle pas d’abord passer par une lutte contre la surproduction d’événements  ?

F. L. : Si bien sûr, mais c’est loin d’être simple. Pour le moment, on essaye de réduire le nombre de productions en travaillant sur l’allongement de leur durée de vie. Si on laisse une exposition 6 mois au lieu de 3 mois, on baisse de moitié ses impacts. 

Quelle est votre plus grande difficulté ? 

F. L. : Les événements culturels incluent énormément d'éléments temporaires et surtout, tout est sur-mesure. D’une exposition à l’autre, cela varie complètement, selon le lieu, le nombre de pièces, la typologie, ce qui demande de faire du cas par cas en permanence. Et plus globalement, trouver le temps de faire tout ce qu'il y a besoin de faire !

Concrètement, où en est le secteur de la culture aujourd’hui sur ces questions ?

F. L. : Ça bouge beaucoup depuis 2 ans. Il a fallu attendre le confinement lors de la crise du Covid-19. Ça a pris du temps, mais tout le monde a enfin pris conscience des enjeux et les échelles sont en train de changer. Ce n'est plus juste un sujet important dont on discute, c'est devenu un enjeu urgent qui est pris en compte dans les réflexions et les opérations. On ne bataille pas pour justifier notre démarche ! La difficulté c’est que c’est un vaste secteur, très hétérogène : art visuels, spectacles vivants, musique, cinéma… Les enjeux sont très différents d’un milieu à l’autre. Puis, on se rend compte que c’est un monde encore loin d’être outillé pour opérer sa transition écologique. Les organisations ne savent pas ce qu'elles consomment, ni les répercussions que cela peut avoir sur l'environnement. C’est pourquoi nous faisons aussi beaucoup de formations. À travers ces deux projets, on fait du plaidoyer sur les enjeux d'éco-conception, de réemploi, d'économie circulaire pour amener le secteur culturel vers un chemin beaucoup plus durable. 

Christelle Gilabert
Christelle est journaliste indépendante, elle scrute à la loupe tout ce qui touche à l'écologie, non sans un regard critique sur les technologies, et toujours accompagnée d'une pointe de féminisme.
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