Cabane, ma douce cabane : une passion écologique ou consumériste ?

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màj en août 2024

Fermez les yeux, et pensez au mot « cabane ». Que voyez-vous ? Une petite maison en bois dans une prairie ? Trois planches accrochées de biais dans un arbre ? Deux draps tendus au milieu du salon ? La cabane charrie tout un imaginaire ludique et beaucoup de citadins se rêvent propriétaires d’un lopin en pleine nature, si on en croit les millions de vues amassées sur YouTube pour les mots clés liés. Mais que signifie cet engouement ? Est-il le signe d’un besoin sincère de reconnexion à son environnement, ou un symptôme d’un renfermement sur soi ? Enfin, le modèle de la cabane est-il compatible avec les bouleversements climatiques à venir ? Nous explorerons tout cela dans cet article, en compagnie d’artistes bien sûr !

La cabane, premier refuge

Il y a déjà un peu plus de deux mille ans, le théoricien romain de l’architecture Vitruve considérait que la cabane était le premier exemple d’habitation, conçu pour se protéger des intempéries. De fait, la cabane est souvent construite avec des matériaux locaux (branches, pierres…), et se fond donc dans le paysage.

On peut imaginer que les humains se sont inspirés des animaux pour édifier leurs premiers abris. Après tout, les oiseaux, les castors, ou même les fourmis sont de grands bâtisseurs, qui savent mettre à profit les ressources environnantes pour se créer une chambre à soi.

Est-ce ce qu’a voulu montrer Nils Udo, artiste allemand proche du courant Land Art, quand il a tressé en forêt un immense nid dans lequel il s’est lové le temps d’une photo ? Nu, souhaite-t-il vivre un retour aux origines - que nous nous empresserions de chercher dans la cabane ?  

Nils Udo – Nid (1978) Bavière

Retour en enfance

S’il est peu recommandé d’installer un nourrisson au cœur d’un nid d’artiste ou d’une cabane en pleine nature, les enfants manifestent vite un intérêt pour ces habitats mobiles qu’ils peuvent construire à leur image. La cabane pourrait alors jouer un rôle important dans leur développement psychomoteur et social, en leur permettant d’apprendre à manipuler des objets et en affirmant un espace intime dont ils peuvent exclure les adultes.

La fascination pour les cabanes ne va sans doute pas sans une certaine nostalgie de l’enfance. Qui ne voudrait pas revenir à cette époque simple où l’on pouvait s’isoler dans le jardin (ou dans le salon) et imaginer ce que l’on souhaitait, sans se préoccuper du loyer et du prix du carrelage ?

Mais les jeux d’enfants ne sont pas toujours innocents, et on a tendance à oublier qu’ils peuvent aussi être l’arène de rapports de force… qui peuvent rencontrer les cabanes d’adultes.

Depuis 2016, le Festival des cabanes [dont l’édition 2023 se tient jusqu’au 15 novembre] invite des équipes à dessiner et construire des cabanes dans la communauté des communes des Sources du Lac d'Annecy. L’architecte Lucas Hadjimichalis a joué le jeu en 2017 : après avoir choisi un lieu en bordure de bois pour ériger la cabane « La lisière », son équipe découvre qu’elle n’est pas la première à avoir sélectionné ce bout de forêt. Une « vraie » cabane élevée par des enfants les a précédés. Édifiant la leur à proximité, les architectes reviendront quelques heures plus tard pour constater qu’elle a été vandalisée par les enfants. « C’est normal, on avait empiété sur leur territoire », conclut le participant.  

La lisière - la cabane a ensuite été réparée par l’équipe du festival et les enfants. Crédit photo : Collectif URBZ

Fantasmes et reflets 

Le miroir de la cabane nous renvoie une certaine image de nous-même, un idéal qui serait à portée de branche : une existence simple, solitaire et en communion avec la nature. 

Celle que souhaitait tester Henry David Thoreau quand il est allé vivre deux ans, deux mois et deux jours dans une cabane au bord d’un lac dans le Massachusetts, aux États-Unis. Plus de 150 ans après la publication de Walden ou la vie dans les bois, l’expérience continue de fasciner les lecteurs… et les artistes. Un article entier ne suffirait pas à faire le tour des œuvres inspirées par la cabane de Thoreau, des étranges sculptures écrasées d’Erwin Wurm aux  installations en bois massif d’Ed Levine, en passant par pléthores de peintures plus ou moins kitsch. 

Thoreau a-t-il passé deux ans dans les bois en totale autarcie, à philosopher sur le temps qui file et la nature (y compris humaine) ? Pas tout à fait. Il se rendait fréquemment dans son village natal, situé à quelques kilomètres de la cabane, pour y rencontrer ses amis. Son intendance continuait d’être assurée par sa mère, à laquelle il amenait sa lessive et qui lui envoyait des sandwichs - à noter tout de même que Cynthia Dunbar Thoreau n’était pas qu’une simple maîtresse de maison, et militait en faveur de l’arrêt de l’esclavage.

On pourrait en déduire que Thoreau était l’ancêtre des influenceurs sur les réseaux sociaux, mettant en scène une vision idéalisée de sa vie, tout en dissimulant la logistique moins flatteuse. Ou que l’on peut vivre en lien plus étroit avec la nature sans se couper de la civilisation. 

Luxe, confort et taille mini

« La simplicité, oui. Le dénouement, non. » Telle pourrait être la devise des adeptes des tiny houses, des maisons fonctionnelles qui peuvent faire moins de dix mètres carrés.

Ce n’est pas ainsi que Le Corbusier aurait décrit son Cabanon, construit en 1952 à Roquebrune-Cap-Martin dans les Alpes-Maritimes - le terme n’existait pas. Il préférait dire : « J’ai un château sur la Côte d’Azur, qui a 3,66 mètres par 3,66 mètres ». Dans la structure en bois, on trouve un coin-travail, un coin-repos, des toilettes, un lavabo, une table, des rangements et un porte-manteau. L’architecte, figure du modernisme, y passait ses étés, dans une simplicité où rien n’est laissé au hasard. Les fenêtres ont été soigneusement installées pour capter le plus de lumière possible, et toutes les mesures intérieures correspondent à celles du Modulor, un étalon créé par Le Corbusier en prenant comme référence un homme de 1,83 m.

Le Cabanon - Crédit Photo : Olivier Martin-Gambier © FLC/ADAGP, 2022

Le mouvement des tiny houses, lui, a explosé suite à la crise de 2009, et aux difficultés de logement qui lui ont succédé. Il est donc porteur d’une forte ambivalence : vivre plus simple et petit parce qu’on l’a décidé, ou parce qu’on a pas le choix ? La journaliste et essayiste Mona Chollet, autrice en 2015 de Chez soi, Une odyssée de l'espace domestique, résumait ainsi le paradoxe dans un entretien à Alter Echos :

« Les adeptes du small living occupent exactement la place qu’un ordre social inique leur assigne. Ils se contorsionnent pour « entrer dans le placard qu’on veut bien leur laisser et prétendent réaliser par là leurs désirs les plus profonds. (…) il ne s’en faut pas de beaucoup pour que le carrosse du petit espace « malin » redevienne la citrouille du mal-logement. »

Quand la cabane n’est plus un abri

Passer une nuit dans une cabane croquignolesque louée sur un des multiples sites spécialisés puis rentrer chez soi, ce n’est pas la même chose que devoir vivre dans une habitation construite avec les moyens du bord, dans une situation de grande précarité. D’après le Larousse, une cabane est une « petite maison, le plus souvent en bois ; habitation médiocre, cahute ». Même si ce n’est pas le terme que l’on utilise, les « habitations » que sont contraintes de bricoler les personnes mal logées sont donc plus proches de la cabane que les luxueuses cabin qu’on peut réserver sur Airbnb.

Or les populations vulnérables sont les plus susceptibles d’être impactées par les catastrophes climatiques qui sont vouées à se multiplier dans un contexte de réchauffement climatique. Dans un récent article pour la newsletter Heated, la journaliste Arielle Samuelson rappelle comment la tempête Hilary a principalement impacté les personnes sans logement, insuffisamment prévenues (et protégées) par la ville de Los Angeles. « La crise climatique va toucher tout le monde », souligne une bénévole. « Mais les personnes en première ligne sont celles qui ne sont ni abritées ni logées. »

Stéphane Thidet, « Sans Titre, le Refuge » 2007 Frac Midi-Pyrénées, les Abattoirs, Toulouse

Dans la cabane imaginée par Stéphane Thidet, la pluie tombe sans discontinuer à l’intérieur du refuge. Les livres sont trempés, les murs suintent, mais la lampe est toujours allumée. Un signe de la folie de ses habitants, qui s’obstinent à vivre dans ce monde à l’envers, comme nous ? Un symbole d’espoir face à des conditions difficiles ? Ou la preuve que quoi qu’il arrive, on ne veut pas quitter notre cabane ? 

Crédit de l'image de couverture : Tadashi Kawamata - Tree Huts - 2008

Renée Zachariou
Renée est autrice et plume freelance. Elle écrit sur la technologie, les esprits et la nature.
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