À la Une : © Photo : Alice Jaroslaw pour Kesstutroc.
À l’heure où l’industrie de la mode semble plus que jamais obsédée par le profit, il peut sembler impossible de construire un rapport au style qui sort des logiques capitalistes. Pourtant, c’est parfaitement atteignable grâce à une pratique ancestrale réhabilitée par les jeunes générations : le troc de vêtements.
L’organisation engagée Kesstutroc, qui fait rimer écologie et fête, s’associe au Pavillon des Canaux à Paris pour proposer un espace de troc vestimentaire jusqu’au mois de septembre. Carbo est allé à la rencontre du collectif pour l’inauguration de cet événement zéro carbone et zéro budget.
L’écologie, dans le style et la bonne humeur
Samedi 22 juillet dernier, Carbo s’est rendu à la soirée d’inauguration du premier lieu fixe de Kesstutroc au Pavillon des Canaux (Paris 19e). Ce tiers-lieu féministe et écologique, notamment via des menus locaux et bio, a l’habitude d’accueillir des événements culturels engagés. Cette fois, c’est l’équipe Kesstutroc qui a investi l’étage de cette ancienne maison de gardien transformée en restaurant fantaisiste, qui comporte deux chambres, une cuisine, un salon et même une salle de bain où on peut croiser des télétravailleurs en plein « conf-call » dans la baignoire. Mais ce samedi soir de juillet, pas de travail, juste un groupe joyeux venu renouveler sa garde-robe.
Le salon rouge du Pavillon des Canaux était transformé en dressing pour l’occasion, avec des vêtements aux styles éclectiques présentés sur des portants. Robe en jean et chemise de luxe, top à paillettes et veste en cuir beige… Ici, les habits ne sont pas rangés par couleur ou par style, mais par « prix ». En effet, l’équipe Kesstutroc attribue à chaque pièce une valeur allant de 1 à 4, ce qui permet ensuite de récolter du « Kesstubiff », la monnaie locale, pour se choisir d’autres vêtements sur les portants. Les échanges se font dans une ambiance festive, entre adeptes aguerris du chinage, amis de la Kesstuteam et visiteur·euses du Pavillon qui découvrent avec étonnement le combo pièces à vivre et espace de troc.
Cerise sur le gâteau, une tombola est organisée pour remporter une carte postale du Pavillon ou le dernier numéro de Censored magazine, APOCALYPTICOTRASHECOCIDOCIOUS, dédié à l’écoféminisme. Un DJ set résonne également depuis la cuisine. Et pour une fois, cet événement qui rassemble mode, écologie et art ne se limite pas à une soirée : un stand sera installé dans la salle rouge jusqu’en septembre. « On est ravi·es d'être accueilli·es par le Pavillon des Canaux car ils ont une clientèle qui correspond à l’esprit de Kesstutroc », confirme Carmen Pombar, cofondatrice du collectif. « Ce lieu fixe peut toucher des personnes que nous n’aurions pas tous les jours. C’est aussi un bel endroit pour les gens qui ne partent pas cet été, car il y a un esprit vacances par exemple avec la vue sur le canal. » Un bel événement pour le collectif, qui est parti d’une -très bonne- idée entre potes.
Kesstutroc : un collectif qui croit au troc dur comme fer
Kesstutroc est né pendant le déconfinement sur une idée de Carmen Pombar, très vite rejointe par Marianne Dubois, puis Agathe Petiot, Rosa et Émile d’Argenlieu et Léna Lozinguez. Les six ami·es dénoncent une industrie de la mode qui cherche à accumuler toujours plus de profits, peu importe l’impact environnemental ou les conditions de travail déplorables. Face à l’essor de la seconde main et l’envie de renouvellement stylistique des jeunes générations, iels ont vu le troc comme une opportunité de réunir amour de la mode, écologie et festivités.
Car dans son manifeste, la Kesstuteam est claire : circularité, accessibilité, fun et communauté sont les piliers du projet. Des valeurs essentielles, mais trop souvent absentes de l’industrie. En effet, la mode c'est 100 milliards de vêtements neufs vendus chaque année dans le monde, qui vont régulièrement finir leur cycle de vie dans des décharges à ciel ouvert. Notamment dans des pays du Sud global comme le Ghana, ce que l’on appelle le waste colonialism. Il est donc primordial d’apprendre à réutiliser nos vêtements et à leur donner une seconde vie plutôt que de s’en débarrasser. L’accessibilité est également trop rare dans la mode éthique, notamment pour les vêtements neufs qui demandent des matières de qualités et des salaires élevés. En organisant ces événements, Kesstutroc permet donc aux personnes qui ont peu de moyens de s'intégrer à une démarche écologique.
Pour ce qui est du fun, Carbo l’a directement expérimenté avec le DJ set, la tombola et la bonne humeur générale de la soirée de lancement, qui se retrouve à chaque événement Kesstutroc. Dancefloor, jeux, ateliers de dessin… Le collectif illustre bien la joie militante, notamment car ses membres considèrent que les souvenirs qu’on a avec un vêtement impactent notre manière d’en prendre soin. Pour elleux, attacher des émotions positives aux acquisitions des troqueurs et troqueuses les encourage à les garder plus longtemps. Une formule qui porte ses fruits : le collectif a déjà organisé six événements sur une péniche, à la Rotonde, et dans divers lieux secrets… Près d’un millier de personnes suivent le projet sur les réseaux et des dizaines se rendent à chaque événement. Cet engouement indique l'intérêt grandissant du public pour la mode responsable.
Carmen Pombar se réjouit de ces progrès : « Pour notre première édition, je me disais, mais qui va venir à un troc de vêtements ? Et finalement, ça a vraiment marché. À chaque événement, je prends le temps d'expliquer notre concept, et aujourd’hui quelqu’un connaissait déjà ce genre de pratique. Il y a beaucoup de curiosité, tout à l’heure deux dames âgées s’en sont beaucoup amusées. » En plus de celles et ceux qui découvrent, le collectif a réuni une foule de fidèles, souvent jeunes, qui tiennent autant à leur style qu’à l’état de la planète. C’est le cas d’Adrien, 24 ans : « Ce n’est pas mon premier Kesstutroc. J’adore le concept avec la musique, et le fait de dire fuck à la fast-fashion. Si tout le monde pouvait troquer, la planète irait mieux. »
L’espace Kesstutroc est disponible tout le mois d'août au premier étage du Pavillon des Canaux dans le salon rouge, au 39 Quai de la Loire, 75019 Paris